La lettre juridique n°314 du 24 juillet 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La revanche de la faute inexcusable face au non-professionnel de l'amiante ?

Réf. : Cass. civ. 2, 3 juillet 2008, n° 07-18.689, M. Robert Lemire, F-P+B (N° Lexbase : A4964D9Q)

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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Les liens entre faute inexcusable et amiante sont anciens. La définition de la faute inexcusable retenue par la Cour de cassation, depuis 2002, a été élaborée à l'occasion d'affaires relatives à l'amiante (1). De très nombreuses décisions postérieures ont mis en scène le couple faute inexcusable-amiante. Toutefois, la Cour de cassation a régulièrement précisé qu'elle n'entendait pas reconnaître un lien totalement indéfectible entre faute inexcusable et amiante. Ainsi, dans plusieurs décisions rendues le 14 septembre 2004 (voir ci-après), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a clairement affirmé qu'un salarié peut voir la maladie dont il souffre être qualifiée de maladie professionnelle parce qu'elle est due à l'amiante, sans pour autant que soit systématiquement retenue la faute inexcusable de l'employeur. N'entendant manifestement pas leur laisser ce terrain complètement libre, la Cour de cassation exerce un contrôle sur les juges du fond et les décisions de ces derniers, qui pourraient passer outre sa conception de l'articulation entre faute inexcusable et amiante. Or, depuis plusieurs années, la Cour de cassation a manifesté une tendance à privilégier une appréciation in concreto de la faute inexcusable, au détriment d'une appréciation in abstracto, pourtant a priori plus adaptée à la définition de la faute inexcusable consacrée en 2002.

Privilégiant donc une appréciation in concreto de la faute inexcusable, la Cour de cassation a régulièrement écarté cette qualification à l'égard d'employeurs non-professionnels de l'amiante (I). Dans un arrêt en date du 3 juillet 2008, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation semble faire évoluer sa position et rend une décision manifestement moins favorable que par le passé aux employeurs non-professionnels de l'amiante. En effet, dans cette affaire mettant en cause un employeur non-professionnel de l'amiante, la deuxième chambre civile censure la décision des juges du fond qui ont écarté la qualification de faute inexcusable sans rechercher si, compte tenu, notamment, de son importance, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié, l'employeur n'aurait pas dû avoir conscience du danger auquel il était exposé (II).


Résumé

Alors même qu'une entreprise n'utilisait pas l'amiante comme matière première et ne participait pas à l'activité industrielle de fabrication ou de transformation de l'amiante, son importance, la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté un salarié devaient conduire les juges du fond à rechercher si elle n'aurait pas dû avoir conscience du danger auquel ce salarié était exposé, pour, éventuellement, retenir la qualification de faute inexcusable.

Commentaire

I - L'importance de la spécialité de l'employeur dans la reconnaissance de sa faute inexcusable

En parfaite conformité avec la définition retenue depuis 2002, la Cour de cassation affirme régulièrement que la qualification de faute inexcusable ne saurait être retenue à l'encontre de l'employeur que lorsque celui-ci avait ou aurait dû avoir connaissance des risques et n'a pas pris les mesures qui s'imposaient pour préserver ses salariés Ainsi, la Haute juridiction rappelle régulièrement que faute inexcusable et amiante sont indépendantes et qu'aucune présomption de faute inexcusable ne saurait être tirée du seul lien de la maladie avec l'amiante (2).

Cependant, si le lien entre faute inexcusable et amiante n'est pas indéfectible, il ne saurait être trop rapidement écarté ou remis en cause. Ainsi, les juridictions sont régulièrement confrontées à des contentieux relatifs à l'articulation entre faute inexcusable et amiante. Plus précisément, il s'agit, souvent, pour les juges du fond, de déterminer si un employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger que l'amiante pouvait faire courir à l'un ou plusieurs de ses salariés. Or, il semble que la Cour de cassation n'ait pas une position toujours très claire en la matière ou, pour le moins, pas une position en parfaite adéquation avec la définition de la faute inexcusable qu'elle a, elle-même, dégagée en 2002.

En effet, plusieurs décisions ont pu montrer que, à propos de l'appréciation de l'existence d'une faute inexcusable leur incombant, la Cour de cassation entendait retenir une certaine clémence envers des employeurs non-professionnels de l'amiante. Tel fut, notamment, le cas dans une série d'arrêts rendus par la deuxième chambre civile le 14 septembre 2004 (3). Ainsi, par exemple, dans l'une des décisions évoquées (Cass. civ. 2, 14 septembre 2004, n° 03-30.089, F-D N° Lexbase : A3862DDE), écartant la faute inexcusable de l'employeur, la deuxième chambre civile insistait sur le fait que "l'amiante n'avait été utilisée comme protection que lors de trois essais [...] et que la SEP, non spécialiste de l'amiante, prenait des mesures de sécurité très importantes". La qualité de spécialiste, ou non, de l'amiante semblait influer très fortement l'appréciation de la conscience du danger (4).

Probablement même trop fortement : en effet, la définition de la faute inexcusable retenue depuis 2002 n'opère pas de distinction entre les employeurs spécialistes, ou non, de l'amiante, ni entre les employeurs producteurs ou transformateurs de l'amiante et les employeurs "simples" utilisateurs de l'amiante. Comme d'aucuns ont pu le relever, la Cour de cassation a, souvent, paru ajouter une condition à la définition de la faute inexcusable posée en 2002.

II - L'atténuation de la distinction entre employeurs professionnels et non-professionnels de l'amiante

La décision rendue le 3 juillet 2008 paraît atténuer la tendance qui marquait, jusqu'alors, la jurisprudence de la Cour de cassation. En l'espèce et comme les juges du fond purent le rappeler, s'il n'était pas contesté que, pour les besoins de son activité, la société EDF avait utilisé des éléments contenant de l'amiante, "cette société n'utilisait pas l'amiante comme matière première et ne participait pas à l'activité industrielle de fabrication ou de transformation de l'amiante". La qualité de "non-professionnel de l'amiante" ou de "non-spécialiste" de l'employeur était, ici, donc incontestable. Pourtant, et de manière assez significative à notre sens, la deuxième chambre civile ne reprend pas ces expressions sous sa plume. Il faut manifestement y voir sa volonté d'abandonner toute distinction supplémentaire, qui viendrait brouiller la définition de la faute inexcusable retenue depuis 2002.

La décision du 3 juillet 2008 mérite d'être approuvée en ce qu'elle paraît être en meilleure conformité avec la définition de la faute inexcusable retenue en 2002. En effet, si les décisions rendues en 2002 envisageaient les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués, elles visaient, également, les maladies professionnelles contractées du fait des produits utilisés par l'entreprise. La volonté de la Cour de cassation de se rapprocher de la définition de la faute inexcusable retenue en 2002 est renforcée par la référence à l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) effectuée en visa. Les distinctions qui étaient opérées entre employeurs, spécialistes, ou non, de l'amiante, faisaient courir le risque d'une remise en cause du caractère d'obligation de résultat attaché à l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur.

Nonobstant, la Cour de cassation n'abandonne pas les juges du fond. Si elle ne semble plus convaincue par la distinction entre employeurs selon leur spécialité, elle propose, cependant, aux juges du fond des critères d'appréciation de la faute inexcusable de l'employeur. Plus exactement, la deuxième chambre civile censure les juges du fond pour ne pas avoir recherché si l'employeur n'aurait pas dû avoir conscience du danger, "compte tenu, notamment, de son importance, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié". La référence, en visa, à l'article L. 230-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8438HNT, art. L. 4121-1, recod. N° Lexbase : L1754HXA) est, là encore, significative. On retrouvera assurément ces éléments dans les arrêts à venir à propos de la faute inexcusable de l'employeur....


(1) Voir, à ce titre, la série de décisions rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 28 février 2002. Notamment, Cass. soc., 28 février 2002, 6 arrêts, n° 99-21.255, Société Eternit industrie c/ M. Christophe Gaillardin, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0773AYB) ; n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI) ; n° 00-11.793, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI) ; n° 99-18.389, Société Eternit industries c/ Mme Marie-Louise Delcourt-Marousez, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0766AYZ) ; n° 99-17.201, Société Valeo c/ Mme Monique Rabozivelo, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0761AYT) ; n° 00-13.172, Société Everite c/ M. André Gerbaud, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0610AYA) et les obs. de V. Boccara, Amiante : la reconnaissance par la Cour de cassation du caractère inexcusable de la faute de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 13 du 6 mars 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2210AA4).
(2) Dans le même sens, v., notamment, Cass. civ. 2, 31 mai 2006, n° 04-30.654, Mme Annick Lepineau, épouse Freulon c/ Société Renault Le Mans, F-P+B+R (N° Lexbase : A7437DP7) et nos obs., Amiante : l'innocuité des tableaux de maladies professionnelles sur la preuve de la faute inexcusable de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9613AKA).
(3) v. Cass. civ. 2, 14 septembre 2004, n° 03-30.263, Mme Edith Chazal c/ Société Valeo embrayages, F-D (N° Lexbase : A3866DDK) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Du nouveau sur la faute inexcusable de l'employeur : clémence affirmée envers les non-professionnels de l'amiante !, Lexbase Hebdo n° 136 du 29 septembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2913ABI).
(4) Dans le même sens, v., également, Cass. civ. 2, 31 mai 2006, n° 05-17.737, Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8650DP3) ; Cass. civ. 2, 2 mai 2007, n° 06-13.785, M. Jérôme Wargnies, F-D (N° Lexbase : A0656DW9).

Décision

Cass. civ. 2, 3 juillet 2008, n° 07-18.689, M. Robert Lemire, F-P+B (N° Lexbase : A4964D9Q)

Cassation, CA Douai, ch. soc., 29 juin 2007

Textes concernés : C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ; C. trav., art. L. 230-2 (N° Lexbase : L8438HNT, art. L. 4121-1, recod. N° Lexbase : L1754HXA) ; CSS, art. L. 461-1 (N° Lexbase : L5309ADY) et L. 452-2 (N° Lexbase : L5301ADP)

Mots clefs : amiante ; maladie professionnelle ; faute inexcusable de l'employeur ; indemnisation complémentaire ; conscience du danger.

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