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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
le 07 Octobre 2010
Le rapport du Président de section au Conseil d'Etat, rapport issu des travaux du groupe de travail mis en place en octobre 2007 par le ministre du Budget, propose, entre autres mesures, une modernisation et une redéfinition juridique de l'abus de droit. Cependant la notion de but exclusivement fiscal ne serait pas remise en cause et remplacée par celle de but essentiellement fiscal.
1. Redéfinition de l'abus de droit
1.1. Définition actuelle
Les jurisprudences récentes du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour de justice des Communautés européennes ont conduit à un renouvellement de la définition jurisprudentielle de l'abus de droit. Ce qui a semé le trouble dans l'esprit des contribuables et de leurs conseils. La définition actuelle de l'abus de droit, codifiée sous l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U), est issue pour l'essentiel de la loi "Aicardi" de 1987 (loi n° 87-502, du 8 juillet 1987, modifiant les procédures fiscales et douanières N° Lexbase : L9705AUY). Selon ce texte, "ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffres d'affaires correspondant aux opérations effectués en exécution d'un contrat ou d'une convention". L'interprétation de ce texte par le juge en a fait évoluer le contenu pour aboutir à deux critères alternatifs, d'une part, la fictivité, résultant du texte lui-même, et, d'autre part, le but exclusivement fiscal, hypothèse de la fraude à la loi.
1.2. Vers une définition retenant un but essentiellement fiscal ?
La question de l'évolution vers le but essentiellement fiscal repose sur la jurisprudence communautaire. Cependant, la portée de cette jurisprudence, rendue en matière de TVA, est incertaine. Certaines décisions se réfèrent au but essentiellement fiscal, d'autres au but exclusivement fiscal (CJCE, 21 février 2008, aff. C-425/06, Ministero dell'Economia e delle Finanze, anciennement Ministero delle Finanze c/ Part Service Srl, société en liquidation, anciennement Italservice Srl N° Lexbase : A0006D7D ; CJCE, 22 mai 2008, aff. C-162/07, Ampliscientifica Srl c/ Ministero dell'Economia e delle Finanze N° Lexbase : A6664D8C). Au motif de cette absence de fixité de la jurisprudence européenne, le groupe de travail ne propose pas la substitution de la notion de but exclusif par celui de but essentiel. En effet, selon les membres de ce groupe, cette modification entraînerait des difficultés en termes de gestion de procédure. Il serait délicat de chercher à pondérer l'importance relative des différents motifs qui ont pu présider à une opération quand il est bien plus objectif de rechercher l'existence d'un motif non fiscal pour exclure l'abus de droit. Les auteurs considèrent donc que l'introduction du but essentiellement fiscal serait une régression importante au regard de la sécurité juridique. Ils proposent de réécrire l'article L. 64 ainsi : "Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposable, les actes constitutifs d'abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par les auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
En cas de désaccord, sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification"
2. Amélioration de la procédure
La procédure actuelle ne visant que certains impôts, droits d'enregistrement, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, TVA, ISF et taxe professionnelle, mais s'appliquant, selon les juges, hors de ce champ, il en découle, pour les impôts non visés par le texte actuel, une absence de garanties au profit des contribuables. Le groupe de travail propose donc d'unifier la procédure quel que soit l'impôt concerné. De même, il est proposé de revoir la composition du Comité et son mode de fonctionnement. Ainsi, tout d'abord, sa composition serait modifiée pour inclure, outre deux conseillers d'Etat et deux conseillers à la Cour de cassation, la présence d'un notaire, d'un expert comptable et, le cas échéant, d'un avocat. En second lieu, il serait prévu que la procédure suivie devant le Comité serait contradictoire, même si, actuellement le Président dispose de la possibilité de convoquer le contribuable pour une audition.
L'administration vient de commenter les dispositions de la loi de finances rectificative pour 2006 (loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 N° Lexbase : L9270HTI), qui a étendu la possibilité pour l'administration fiscale de recourir à des experts externes pour l'exercice de ses missions d'étude, de contrôle, d'établissement de l'impôt ou d'instruction des réclamations. En effet, l'administration pouvait déjà recourir à un agent de l'Etat externe à l'administration fiscale, en vertu des dispositions des articles L. 45 A (N° Lexbase : L5589G4R) et L. 198 (N° Lexbase : L3888ALL) du LPF. Cependant, l'article L. 45 A limitait une telle consultation soit au cas où une procédure de contrôle requérait des connaissances particulières, soit au cas d'instruction de réclamations qui nécessitaient des connaissances techniques particulières. Ces articles étaient utilisés de façon marginale. La loi permet, désormais, aux services fiscaux de recourir à des experts du secteur privé. Ainsi, le champ des personnes auxquelles il peut être recouru, de même que les domaines au sujet desquels elles peuvent être sollicitées, sont considérablement élargis.
1. Conditions de recours à un expert externe
L'article L. 103 A du LPF (N° Lexbase : L3809HWY), qui se substitue aux articles L. 45 A et L. 198 A (N° Lexbase : L8479AER), permet à l'administration fiscale de solliciter toute personne de son choix dont l'expertise est susceptible de l'éclairer pour l'exercice de ses missions. Le recours à un expert externe public ou privé n'est plus limité au contrôle et au contentieux de certaines entreprises. Au-delà de ce domaine, une expertise externe peut-être sollicitée pour l'ensemble des missions exercées par le DGI. A titre d'exemple, l'instruction cite le cas de l'évaluation d'une entreprise dans le cadre d'un rescrit valeur, ou encore le cas d'évaluation d'actifs particuliers comme les droits d'auteur ou les bijoux et objets d'arts ou de collections. Or, on sait que ces deux derniers cas sont source de contentieux importants avec l'administration puisque, dans le premier cas, les méthodes retenues aboutissent à des résultats très différents, et dans le second, la notion de collection est un élément primordial.
2. Portée de l'expertise et secret professionnel
Selon l'instruction, l'expert a pour mission d'éclairer l'administration, sans s'y substituer, pour, selon le cas, notifier un redressement ou effectuer un contrôle. Cette expertise ne constitue qu'un simple avis. Si l'administration entend s'appuyer sur cette expertise, pour motiver des redressements ou justifier le rejet d'une réclamation, il lui est recommandé de communiquer une copie du rapport au contribuable. Enfin, l'instruction précise que la personne consultée est tenue au secret professionnel.
En principe, le dirigeant d'une société ne peut être déclaré solidairement responsable de l'impôt dû par la société qu'il dirige sans qu'il soit constaté, outre ses agissements, que le service des impôts a été normalement diligent pour en assurer le recouvrement. A cet égard, dans l'hypothèse d'une société relevant du régime simplifié d'imposition en matière de TVA, le comptable public n'est pas tenu d'engager des poursuites chaque trimestre, au motif que la déclaration qui détermine la taxe due chaque année ou chaque exercice est la déclaration annuelle qui ne fait que reprendre les acomptes versés trimestriellement.
1. Impossibilité du recouvrement et agissements du dirigeant
Le dirigeant ne peut être tenu au paiement de la dette fiscale de la société, sur le fondement des articles L. 266 (N° Lexbase : L8282AEH) ou L. 267 (N° Lexbase : L3699HBM) du LPF, que dans la mesure où le recouvrement a été rendu impossible par son fait. Autrement dit, les tentatives de mise en recouvrement de la part du comptable public doivent avoir été mises en échec par les agissements du dirigeant de la société. Ainsi, l'article L. 267 ne peut être appliqué si n'est pas caractérisé le lien entre les manquements relevés et l'impossibilité du recouvrement (Cass. com., 16 juillet 1991, n° 89-19.792, M. Dagut c/ Receveur principal des impôts de Morcenx N° Lexbase : A3993ABI).
2. Diligences du service du recouvrement
Le juge ne peut appliquer l'article L. 267 du LPF sans rechercher si le service a exercé tous les contrôles lui incombant pour obtenir en temps utile le paiement des impositions dues par la société (Cass. com., 22 octobre 1991, n° 90-10.029, M. Rémy c/ Trésorier principal de Nancy N° Lexbase : A4059ABX). Ainsi, il est jugé que les diligences du service ne sont pas suffisantes si la procédure de régularisation n'a pas été immédiatement engagée lorsque les manquements aux obligations déclaratives concernent la TVA (Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-14.149, Receveur divisionnaire des impôts de Strasbourg Nord, Comptable chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur des services fiscaux du Bas-Rhin c/ M. René Meyer N° Lexbase : A9116C3Z). De même, commet une négligence dans le recouvrement le comptable qui délivre une mise en demeure près de deux ans après le mois à partir duquel la société avait cessé de payer la TVA (Cass. com., 8 juillet 1997, n° 95-13.889, M. Jean Pierre Boileau c/ Receveur des impôts de Sainte-Menehould, ayant ses bureaux 4, place du Marechal Leclerc, 51800 Sainte-Menehould N° Lexbase : A8000CPY). Ainsi, les diligences sont-elles appréciées par rapport à la date de dépôt de la déclaration dans laquelle le redevable aurait dû calculer les droits dus par lui. Or, s'agissant d'un redevable à la TVA ayant opté pour le régime simplifié (versement d'acomptes et déclaration annuelle CA 12), l'administration n'est pas tenue d'effectuer ses poursuites à la suite de la constatation de l'absence de dépôt d'acompte, mais uniquement en l'absence de dépôt de déclaration annuelle. En effet, cette dernière déclaration étant la seule qui soit prescrite par l'article 287, alinéa 3, du CGI (N° Lexbase : L8271AE3), les diligences ne pouvaient être appréciées qu'au regard de cette seule obligation et non au regard de l'absence de dépôt de déclaration trimestrielle.
N'est pas suffisamment motivée la notification de redressements qui, s'agissant de la valeur vénale d'un vignoble, ne comportait aucune indication relative aux caractéristiques des vignobles retenus par le service des impôts. Or, l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5567G4X) impose à l'administration de motiver ses propositions de redressements de manière à permettre au contribuable de présenter ses observations ou de faire connaître son acceptation.
1. La nécessité de motiver les redressements...
Pour l'application de l'article L. 57 du LPF, le juge a décidé, en matière de droits d'enregistrement, que l'administration est tenue de préciser le fondement du redressement en droit comme en fait, et spécialement de mentionner les textes sur lesquels elle s'appuie (Cass. com., 28 janvier 1992, n° 90-10.465, Epoux Wallyn c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A4676ABS). Cette motivation permet ainsi au contribuable d'engager utilement un débat contradictoire avec l'agent des impôts.
2. ... appliquée aux rehaussements de valeurs
On sait, que, sauf exception, les insuffisances de prix ou de valeurs sont établies par le recours à la méthode par comparaison. Dans la mise en oeuvre de cette méthode, l'obligation de motivation impose aux agents des impôts de mentionner les termes de comparaison avec suffisamment de précision afin de permettre au contribuable de pouvoir en discuter la pertinence. C'est sur le fondement de cette obligation que s'est appuyé le juge pour estimer que, pour contester l'évaluation retenue par les parties d'un vignoble situé en Champagne, l'administration aurait dû, outre la localisation, les références cadastrales, la surface et le prix à l'are des éléments de comparaison, indiquer leurs caractéristiques. En effet, selon le juge, ces caractéristiques qui conditionnent le classement des vignobles, étaient déterminantes pour justifier de la valeur et pour permettre de vérifier si les cessions invoquées portaient sur des biens similaires à celui à évaluer. Cette décision, comme les précédentes (Cass. com., 13 mars 2001, n° 98-15.179, Mme Annick Nahe c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A0055AT9 ; Cass. com., 18 avril 2000, n° 97-21.432, M. Bruno Pâques c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A3755CWY), également relatives à des vignobles, met en avant l'importance des obligations du service des impôts en fonction des particularités des biens à évaluer. En effet, un vignoble a une valeur très différente selon sa situation et ses caractéristiques propres et on ne voit pas comment la méthode par comparaison pourrait faire l'économie d'un rapprochement de ces caractéristiques. Ainsi, outre la situation géographique, la nature et la contenance, il est nécessaire de constater, pour chaque élément de comparaison invoqué, l'entretien, l'âge, l'échelle des crus et la conjoncture pour établir une valeur de marché. Cette exigence est identique en matière d'évaluation d'immeuble. La spécificité de chaque bien doit être prise en compte pour rechercher des éléments de comparaison pertinents. Ces spécificités sont ses caractéristiques physiques, matériaux de construction, date de construction, emplacement, sa conception intérieure, la surface habitable et les contraintes juridiques qui l'affectent (bail, servitude, etc.).
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