La lettre juridique n°314 du 24 juillet 2008 : Procédure civile

[Textes] Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile

Réf. : Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I)

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N6679BGH

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[Textes] Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210445-textesletempsdelactionenjusticepresentationdelaloin2008561du17juin2008portantrefor
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par Etienne Vergès, Professeur agrégé à l'Université de Grenoble

le 07 Octobre 2010

La prescription de l'action en justice constitue, au sens de l'article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2068ADX), une fin de non-recevoir dont les principales règles figuraient pourtant dans le Code civil aux articles 2219 et suivants (N° Lexbase : L2507ABH). A vrai dire, il n'existe pas une, mais plutôt deux prescriptions, qui ne produisent pas les mêmes effets juridiques et sont de natures très différentes : d'une part, la prescription extinctive, véritable règle de procédure, qui éteint l'action en justice et, d'autre part, la prescription acquisitive, règle de droit substantiel, qui opère directement sur le droit de propriété. Présent dans le Code civil depuis 1804, les principes du droit de la prescription ont progressivement été concurrencés par de multiples règles légales ou jurisprudentielles qui ont précisé le régime de la prescription, mais surtout qui ont ajouté au dispositif initial de nombreuses dérogations. Plusieurs instances se sont attaquées à la réforme de la prescription civile pour tenter de dégager une théorie générale et d'adapter le régime de la prescription aux réalités actuelles. En premier lieu, la commission dite "Catala" proposa un avant-projet de réforme du droit de la prescription à la suite de l'avant-projet consacré au droit des obligations. Le rapport "Catala" fut remis au Garde des Sceaux en septembre 2005. En second lieu, la mission d'information de la commission des lois du Sénat remit, en juin 2007, un rapport d'information n° 338 intitulé "Pour un droit de la prescription moderne et cohérent". Il proposait une analyse approfondie et une réforme des prescriptions civile et pénale. Les recommandations de ces deux instances ont été partiellement reprises pour la matière civile. Le droit de la prescription pénale nécessitant une réforme du Code de procédure pénale, il n'entrait pas dans le champ de la loi du 17 juin 2008. La réforme concerne donc principalement le Code civil. Refonte du Code civil. Le livre III du Code civil comporte, désormais, un titre XX consacré à la prescription extinctive et un titre XXI consacré à la possession et à la prescription acquisitive. La réforme procède à un profond bouleversement de la numérotation des articles et la fameuse présomption de propriété mobilière n'est, désormais, plus logée à l'article 2279 du Code civil (N° Lexbase : L7198IAT), mais à l'article 2276 (N° Lexbase : L7197IAS). Par ailleurs, certaines dispositions relatives à la responsabilité du constructeur ou du sous-traitant ont été ventilées dans les parties du code qui leur son dédiées.

Définitions. Sur le fond, la réforme met un terme à la controverse sur la distinction entre prescriptions extinctive et acquisitive en choisissant de les séparer nettement et de donner à chacune une définition. La prescription extinctive est "un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps" (C. civ., art. 2219 N° Lexbase : L7189IAI) et la prescription acquisitive est "un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi" (C. civ., art. 2258 N° Lexbase : L7194IAP).

Le délai préfix. Restait à clarifier la situation du délai préfix. Constatant que le fondement, la nature et le régime juridiques des délais préfix étaient particulièrement complexes, le législateur a préféré ne pas légiférer sur ce délai. L'article 2220 du Code civil (N° Lexbase : L7188IAH) prévoit donc que "les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre". On peut avoir, à l'égard de cette disposition, un sentiment de travail inachevé. Comment, en effet, légiférer sur la prescription extinctive en ignorant le délai préfix qui en est un proche parent ? Le Parlement a reculé devant la lourdeur de la tâche qui consistait à recenser la grande diversité de délais préfix et d'en dégager un régime commun. On peut le regretter.

Le régime procédural de la prescription. Le législateur a repris certaines dispositions du Code de 1804 en prévoyant, par exemple, que "les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription" ou que "sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel". Ces dispositions, qui s'appliquent à la prescription extinctive, auraient pu être transportées dans le Code de procédure civile par voie réglementaire. Elles sont restées dans le Code civil.

De même, les dispositions relatives à la renonciation à la prescription extinctive ne sont pas modifiées sur le fond mais subissent quelques retouches. Sans entrer dans le détail, on peut citer les nouvelles dispositions :

"Art. 2250. -Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation." (N° Lexbase : L7172IAU)

"Art. 2251. -La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription." (N° Lexbase : L7171IAT)

"Art. 2252. -Celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise." (N° Lexbase : L7170IAS)

"Art. 2253. -Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce". (N° Lexbase : L7169IAR)

Par ailleurs, la réforme a permis de clarifier la nature juridique de la prescription extinctive en précisant qu'elle a pour effet "d'éteindre un droit". Cette solution n'était pas évidente dans le Code de 1804 et l'on pouvait se demander si la prescription extinctive produisait un effet sur l'action en justice (le droit d'agir) ou sur le droit substantiel lui-même. La controverse est aujourd'hui vidée puisque le Code civil prévoit que le droit substantiel est éteint. Cet effet soulève une autre question : celle du paiement d'une obligation effectué après la prescription. Dans ce cas, le droit étant éteint, le paiement n'a plus de fondement juridique et il devrait logiquement être soumis à répétition. La doctrine a, toutefois, considéré que le paiement d'une dette prescrite correspondait à une obligation naturelle. La réforme entérine cette solution à l'article 2249 (N° Lexbase : L7173IAW) qui dispose : "le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré".

A la lecture de cette présentation liminaire, on mesure la portée de la réforme dont l'objectif était de moderniser le droit de la prescription sans le bouleverser. Certaines règles sont inchangées, d'autres sont précisées, d'autres, encore, consacrent des solutions jurisprudentielles ou tranchent des controverses. Cet esprit général domine toute la loi qui peut être découpée en trois parties : les délais (I), la computation des délais (II) et l'aménagement contractuel de la prescription (III).

I - Les délais de prescription

A - Les prescriptions extinctives

1. Les nouveaux délais

Un nouveau délai de droit commun. Le principal aménagement de la réforme consiste à réduire le délai de droit commun de 30 ans à 5 ans. Derrière cette modification d'ampleur se cache une réalité plus complexe qui se traduit d'abord par deux principes complémentaires ainsi énoncés :

"Art. 2224. -Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". (N° Lexbase : L7184IAC)

"Art. 2227. - Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". (N° Lexbase : L7182IAA)

La grande majorité des actions (personnelles ou mobilières) sont ainsi régies par le nouveau délai de droit commun de 5 ans. Par ailleurs, le point de départ de la prescription est harmonisé. Il correspond au jour où celui qui agit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action en justice. La solution est donc, ici, favorable au demandeur qui est resté dans l'ignorance d'une situation de fait préjudiciable pendant de nombreuses années. Par ailleurs, les actions réelles et immobilières (action en revendication de propriété par exemple) ne subissent pas de modification de délai, lequel demeure de 30 ans. Le point de départ de la prescription est aligné sur celui des actions personnelles ou mobilières.

Le délai de droit commun (5 ans) est étendu au droit commercial (modification de l'article L. 110-4). On comprendrait mal, en effet, qu'une matière dans laquelle la rapidité est l'un des éléments moteurs, connaisse une prescription plus longue qu'en matière civile.

La réforme de la prescription civile emporte donc un phénomène d'harmonisation que l'on retrouve en droit du travail puisque l'article L. 3245-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7244IAK) prévoit que "l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du Code civil".

Le maintien de multiples exceptions. La loi du 17 juin 2008 a pour effet de moderniser la prescription et son ambition n'est donc pas de remettre en cause les délais dérogatoires qui se justifient par des situations particulières. Pour autant, le respect de ces spécificités a nécessité plusieurs dispositions de coordination. Nous nous contenterons de citer les principales.

- En droit de la famille, les actions en nullité du mariage des articles 184 (N° Lexbase : L7237IAB) et 191 (N° Lexbase : L7238IAC) du Code civil se prescrivent par 30 ans à compter de la célébration.

- En droit de la responsabilité civile, les actions "nées à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel" se prescrivent par 10 ans à compter de la "date de la consolidation du dommage initial ou aggravé" que la responsabilité soit contractuelle ou délictuelle. Ce délai est porté à 20 ans lorsque le fait générateur est un acte de torture ou de barbarie, un acte de violence ou une agression sexuelle commis sur mineur (C. civ., art. 2226 N° Lexbase : L7212IAD). L'harmonisation en matière de responsabilités contractuelle et délictuelle est souhaitable. En revanche, on se retrouve avec une nouvelle distinction entre responsabilité d'un dommage corporel (10 ans) et responsabilité d'un dommage autre que corporel (matériel, c'est certain, mais moral ?). La distinction entre dommage à la personne et dommage aux biens aurait constitué, ici, une délimitation plus judicieuse à la fois sur le fond, et sur la précision des concepts.

- Les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux (C. civ., art. 1792-4-3 N° Lexbase : L7190IAK).

- L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par 5 ans à compter de la fin de leur mission (C. civ., art. 2225 N° Lexbase : L7183IAB).

- Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le Code de l'environnement se prescrivent par 30 ans à compter du fait générateur du dommage (C. envir., art. L. 152-1 N° Lexbase : L7241IAG).

- L'exécution de certains titres exécutoires ne peut être poursuivie que pendant 10 ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long (art 3-1, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution).

2. Les délais inchangés

Par principe, la réforme du droit commun de la prescription n'a pas eu pour effet de modifier les délais spéciaux prévus dans des dispositions particulières du Code civil ou d'autres codes. Cette solution qui découle de l'adage legi speciali per generalem non derogatur est mentionnée expressément dans l'exposé des motifs et dans les travaux parlementaires.

Par ailleurs, tout en procédant à des harmonisations formelles, le législateur à maintenu certaines règles de prescriptions spéciales.

Par exemple, l'action des marchands contre les particuliers non marchands de l'article 2272 du Code civil devient l'action des professionnels pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs. Le délai de 2 ans est maintenu pour la prescription de cette action (C. consom., art. L. 137-2 N° Lexbase : L7231IA3).

De même, l'action civile en réparation du dommage causé par une infraction conserve son double régime antérieur à la loi mais la formulation de l'article 10 du Code de procédure pénale est modifiée ainsi : "lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique. Lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du Code civil".

B - Les prescriptions acquisitives

Le lien entre possession et prescription acquisitive se maintient puisque le Code civil contient, désormais, un titre XXI du livre III intitulé "De la possession et de la prescription acquisitive".

Globalement, la réforme reprend pratiquement in extenso les précédents articles de sorte que le régime de la prescription acquisitive est très peu modifié.

On note, toute de même, quelques actualisations terminologiques. Par exemple, le terme "chose" est remplacé par l'expression "biens et droits" à l'article 2267 (N° Lexbase : L7205IA4) ainsi rédigé : "les héritiers de ceux qui tenaient le bien ou le droit à quelqu'un des titres désignés par l'article précédent ne peuvent non plus prescrire". De même, le "fermier" des articles 2266 (N° Lexbase : L7191IAL) et 2269 (N° Lexbase : L7203IAZ) devient un "locataire".

La modification la plus notable est celle de l'article 2272 du Code civil (N° Lexbase : L7195IAQ) concernant le délai de la prescription acquisitive en matière immobilière. Le délai de droit commun demeure de 30 ans mais le délai d'acquisition de bonne foi et par juste titre d'un bien immeuble est de dix ans. Est, ainsi, supprimée la distinction entre 10 et 20 ans selon que le propriétaire habitait ou non dans le ressort de la cour d'appel de la situation du bien immeuble.

Pour le reste, le régime de la prescription acquisitive suit celui de la prescription extinctive prévu par les articles 2228 à 2254, de sorte que la computation du délai de prescription suit un régime unique (cf. infra sur la computation des délais).

C - Les principes de droit transitoire en matière de délai de prescription

L'application dans le temps des réformes de la prescription extinctive fait surgir d'importantes difficultés. En effet, lorsque la prescription n'est pas acquise, on se demande quel est le délai qui prévaut et le principe d'application immédiate des lois de procédure mérite d'être précisé. La jurisprudence a, ainsi, fixé des principes d'entrée en vigueur des lois de prescription qui distinguent selon que le nouveau délai est plus long ou plus court que l'ancien. Cette distinction est reprise par le législateur sous la forme de deux principes :

- Premier principe issu de l'article 2222, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L7186IAE) : "La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé".

Par exemple, un délai de 5 ans court à partir du 1er janvier 2001. Une loi nouvelle entrée en vigueur au 1er janvier 2003 qui allonge le délai à 10 ans s'applique immédiatement à la prescription qui court encore. Le nouveau délai de 10 ans sera prescrit au 1er janvier 2011 (il est tenu compte du délai déjà écoulé depuis le 1er janvier 2001).

- Second principe issu de l'article 2222, alinéa 2, du Code civil : "en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure".

Par exemple, un délai de 10 ans court à compter du 1er janvier 2001. Un nouveau délai de 5 ans entre en vigueur au 1er janvier 2003. Ce nouveau délai s'applique à compter du 1er janvier 2003. La prescription est acquise au 1er janvier 2008 (5 ans après l'entrée en vigueur de la loi).

Si le nouveau délai entre en vigueur au 1er janvier 2008, la durée totale de la prescription ne peut dépasser 10 ans (loi antérieure), et la prescription est acquise au 1er janvier 2011. Dans ce cas, le nouveau délai de 5 ans ne produit pas son plein effet car il ne peut conduire à allonger la prescription au-delà de 10 ans.

La combinaison des deux règles est complexe mais elle permet, d'une part, de faire prévaloir le nouveau délai sur l'ancien (application immédiate de la loi nouvelle de procédure) et, d'autre part, de ne pas conduire à un allongement trop important de la durée de la prescription qui proviendrait d'une accumulation de l'ancien et du nouveau délai (la prescription pourrait alors courir durant 15 années dans l'exemple ci-dessus).

Enfin, le législateur a pris soin d'aménager, dans une disposition transitoire spéciale (article 26 de la loi), l'application dans le temps des dispositions qui allongent ou raccourcissent des délais. Les deux principes énoncés ci-dessus y sont repris. Le législateur a, par ailleurs, précisé que "lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation".

II - La computation des délais de prescription

Les règles relatives aux délais de prescription peuvent être profondément modifiées par celles qui déterminent le point de départ, les causes d'interruption ou celles de suspension de la prescription. Ainsi, en décalant le début de la prescription, ou en l'interrompant, on parvient à en reculer le terme de sorte que l'on peut évoquer, pour certaines actions, une véritable imprescriptibilité. Le législateur a voulu tout à la fois clarifier les règles de computation des délais et faire en sorte qu'une date butoir ne puisse être dépassée.

A - Les principes

La loi précise d'abord que "la prescription se compte par jours, et non par heures" (C. civ., art. 2228 N° Lexbase : L7213IAE) et qu'elle "est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli" (C. civ., art. 2229 N° Lexbase : L7214IAG). Rien n'est, en revanche, précisé s'agissant du point de départ traditionnellement désigné comme dies a quo et écarté du décompte du délai. On retrouve en réalité ici les dispositions du Code de 1804 (C. civ., art. 2260 N° Lexbase : L2546ABW et 2261 N° Lexbase : L2547ABX). Il faut donc considérer que les solutions antérieures de décompte du délai ne sont pas modifiées.

Le Code civil définit, ensuite, la suspension de la prescription comme celle qui "en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru" (C. civ., art. 2230 N° Lexbase : L7215IAH) et l'interruption comme celle qui "efface le délai de prescription acquis" et "fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien" (C. civ., art. 2231 N° Lexbase : L7216IAI). Cette dernière précision est importante car le législateur a souhaité mettre un terme à la jurisprudence qui procédait à une interversion de prescription après une interruption. Ainsi, lorsqu'un court délai était interrompu, la jurisprudence avait pris l'habitude d'y substituer le délai de droit commun (30 ans), sans que l'on comprenne vraiment le fondement de cette interversion. Il est donc acquis aujourd'hui que le délai qui recommence à courir après une interruption est identique au délai initial.

Enfin, les mécanismes de prolongation des effets de la prescription (report du point de départ, suspension ou interruption) ne peuvent avoir pour conséquence de prolonger la durée de la prescription au delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit (C. civ., art. 2232 N° Lexbase : L7217IAK). Ainsi, le Code civil pose, par principe, une durée butoir de la recevabilité de l'action en justice de façon à garantir une certaine sécurité juridique. Ce principe connait des exceptions, notamment pour les prescriptions trentenaires, mais encore, par exemples, pour les actions en responsabilité civile ou encore pour les actions relatives à l'état des personnes.

B - Suspension du délai et report du point de départ

Ces deux mécanismes sont traités par le Code civil dans une même section. Certaines causes produisent un simple report du point de départ ou une simple suspension. D'autres causes produisent un double effet de report et de suspension.

1. Le point de départ de la prescription "est retardé" dans plusieurs situations prévues par l'article 2233 du Code civil ([LXB=L7218IAL]) :

- à l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ;

- à l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;

- à l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé.

Un report particulier a été aménagé en matière de discrimination. L'action en responsabilité se prescrit alors par 5 années à compter de la révélation de la discrimination (1). Le point de départ est donc retardé au jour de la révélation.

2. Par ailleurs, le Code civil prévoit que la prescription "ne court pas ou est suspendue" dans un certain nombre de cas (C. civ., art. 2234 et s. [LXB=L7219IAM]) :

- contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure (C. civ., art. 2234). C'est ici la reprise du vieil adage contra non valentem agere non currit praescriptio qui avait été consacré en jurisprudence dès le 19ème siècle ;

- contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf pour les actions en paiement de créances périodiques (C. civ., art. 2235 N° Lexbase : L7220IAN) ;

- entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité (C. civ., art. 2236 N° Lexbase : L7221IAP) ;

- contre l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net, à l'égard des créances qu'il a contre la succession (C. civ., art. 2237 N° Lexbase : L7222IAQ).

3. Enfin, le Code civil prévoit des causes de suspension simple :

- durant une procédure de médiation ou de conciliation civile, la prescription est suspendue. Si la recherche amiable d'une solution échoue, le délai minimum de l'action en justice est porté à 6 mois pour laisser aux parties un temps minimum de réflexion avant d'agir ;

- lorsqu'un juge fait droit à une mesure d'instruction avant tout procès (procédure de l'article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2260AD3), la prescription est à nouveau suspendue. De la même manière, le délai de prescription ne peut être inférieur à 6 mois à compter du jour où la mesure d'instruction est exécutée.

C - L'interruption de la prescription

L'interruption de la prescription ne connaissait pas de régime légal dans le code de 1804, de sorte que des solutions éparses avaient été posées en jurisprudence. Le code tente de rassembler les principales causes d'interruption.

La demande en justice. Tout d'abord, le Code civil rappelle (comme une évidence ?) que la demande en justice interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, mais il ajoute que l'effet interruptif concerne aussi une demande en référé, une demande portée devant une juridiction incompétente ou un acte de saisine annulé pour vice de procédure (C. civ., art. 2241). Il s'agit là d'une remise en cause, au moins partielle, de la jurisprudence sévère relative à l'effet interruptif de l'assignation (en application de l'article 53 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2782ADE). L'effet interruptif se poursuit jusqu'à l'extinction de l'instance de sorte que le demandeur n'est pas tenu de renouveler un acte manifestant sa volonté d'agir plusieurs fois au cours de l'instance lorsque le délai de prescription est court. En revanche, en cas de désistement d'action, de péremption d'instance, ou de rejet définitif de l'action, le Code civil précise que "l'interruption est non avenue". L'expression n'est pas très claire mais on pourrait en déduire que la demande n'a alors produit aucun effet interruptif et qu'une demande nouvelle ne pourrait être formée (en cas de péremption) que sous la réserve que la prescription initiale ne soit pas arrivée à son terme. La solution est, ici, plutôt sévère.

Les autres causes d'interruption. D'autres causes peuvent entrainer l'interruption de la prescription :

- la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait (C. civ., art. 2240 N° Lexbase : L7225IAT) ;

- un acte d'exécution forcée (C. civ., art. 2244 N° Lexbase : L7178IA4).

La pluralité de défendeurs. Par ailleurs, le Code civil aménage les hypothèses d'interruption en cas de pluralité de défendeurs :

- la demande en justice, l'acte d'exécution forcée ou la reconnaissance de la dette par l'un des débiteurs solidaires produit un effet interruptif à l'égard de tous les autres (C. civ., art. 2245 N° Lexbase : L7177IA3) ;

- de la même manière, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance de la dette interrompt le délai de prescription contre la caution (C. civ., art. 2246 N° Lexbase : L7176IAZ) ;

- la solution est différente s'agissant des héritiers. La demande en justice contre un héritier, ou la reconnaissance d'un droit par l'un des héritiers ne produit pas d'effet interruptif à l'égard des autres. Si une personne possède une créance sur une succession, elle est tenue d'agir contre tous les héritiers pour interrompre la prescription à leur égard. Dans le cas contraire, le créancier s'expose à être prescrit pour une partie de sa créance (plus précisément pour la part qui revient aux héritiers non interpelés).

III - L'aménagement contractuel de la prescription

Le Code civil de 1804 avait élaboré un mécanisme paradoxal s'agissant de la maîtrise de l'action par les parties. D'un côté, l'ancien article 2220 (N° Lexbase : L2508ABI) prévoyait que l'"on ne peut d'avance, renoncer à la prescription", d'un autre côté, la jurisprudence avait admis assez largement que le délai de prescription pouvait être réduit par convention. Sans constituer une véritable renonciation, cette réduction n'en était pas moins une atteinte au droit résultant de la prescription (2).

Ce paradoxe s'est amplifié avec la loi du 17 juin 2008. D'une part, l'article 2250 dispose que "seule une prescription acquise est susceptible de renonciation" (3), d'autre part, une section consacrée à l'aménagement conventionnel de la prescription a été introduite dans le code (C. civ., art. 2254 N° Lexbase : L7168IAQ). Il faut donc admettre, d'un côté, que la prescription civile n'est pas une règle d'ordre public, mais d'un autre côté, que les parties ne peuvent, par avance et par convention, réduire à néant une prescription légale, ce qui produirait les effets d'une renonciation anticipée.

Animé par cet esprit de compromis, le Code civil prévoit que "la durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans". Par ailleurs, les parties peuvent créer des causes de suspension ou d'interruption qui n'ont pas été prévues par la loi.

Le principe de l'aménagement conventionnel subit plusieurs dérogations. Ainsi, toute modification par les parties est interdite :

- pour les créances à exécution successive (ou créances périodiques) (4) ;

- pour les contrats entre professionnels et consommateurs (C. consom., art. L. 137-1 N° Lexbase : L7232IA4) ;

- pour les contrats entre assureurs et assurés (C. assur., art. L. 114-3 N° Lexbase : L7234IA8).

- pour les contrats liant les mutuelles à leurs adhérents (C. mut., art. L. 221-12-1 N° Lexbase : L7235IA9).

Le législateur a ici affiché clairement une volonté de protection de certaines parties contre la tentative d'un professionnel, d'un employeur ou d'un assureur, de limiter les droits de son cocontractant en influant sur le délai d'action en justice.

L'aménagement contractuel de la prescription est donc très encadré par le biais de délais butoirs et de dérogations importantes. Il n'en reste pas moins que l'action en justice demeure, dans une large proportion, à la disposition des parties, avant même qu'un litige n'apparaisse.

Conclusion

Pour synthétiser cette importante réforme du droit de la prescription, on peut émettre d'abord une opinion positive en considérant que le législateur a fait preuve de rigueur et de pédagogie en proposant une véritable théorie de la prescription adaptée aux évolutions contemporaines de la société. On pourra regretter, toutefois, que certaines questions soient restées sans réponse législative (jour où la prescription commence à courir) ou que certains mécanismes aussi essentiels que la forclusion aient été totalement négligés. Enfin, mais peut-être était-ce trop ambitieux, on aurait pu attendre, comme l'avait envisagé la commission des lois du Sénat, une réforme d'ensemble des prescriptions civile et pénale. Une partie du travail est néanmoins réalisée. Il faut le saluer et s'en contenter provisoirement. Reste la question très académique de savoir à qui revient la charge, ou le privilège, d'aborder le droit de la prescription : l'enseignant de droit civil ou celui de procédure ? En maintenant le droit de la prescription dans le Code civil (5), le législateur a apporté une réponse qui ne saurait satisfaire le processualiste.


(1) Et non à compter de la date à laquelle la victime "aurait dû avoir connaissance" de la discrimination comme le veut désormais le principe.
(2) Celui de n'être plus actionné en justice.
(3) A contrario la prescription future ne peut faire l'objet d'une renonciation.
(4) Le code parle des actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.
(5) Plus précisément, la prescription extinctive qui constitue une fin de non-recevoir.

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