Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2008, 2 arrêts, n° 07-40.799, Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes Lyon, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4995D9U) et n° 06-44.437, Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (CNCEP), FP-P+B (N° Lexbase : A4826D9M)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
La structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue, à l'expiration des délais prévus par le troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN, art. L. 2261-11, recod. N° Lexbase : L0574HXK), alors en vigueur, un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation. Il s'en déduit que l'employeur ne peut la modifier sans l'accord de chacun de ces salariés, quand bien même estimerait-il les nouvelles modalités de rémunération plus favorables aux intéressés. |
I - Un maintien des avantages individuels acquis jusqu'à présent limité au niveau de la rémunération
Lorsqu'une convention collective est régulièrement dénoncée ou mise en cause à l'occasion de la cession de l'entreprise et qu'aucun accord de substitution n'a été conclu dans l'année suivant cette dénonciation, les salariés conservent le bénéfice des avantages individuels acquis au jour de la prise d'effet de la dénonciation (1).
La notion d'avantage individuel acquis fait doublement difficulté car il s'agit de distinguer l'avantage acquis de la simple expectative et l'avantage individuel de l'avantage collectif (2). Cette dernière distinction est particulièrement délicate à analyser lorsque les droits en cause présentent une nature mixte, comme c'est incontestablement le cas de la rémunération qui peut résulter soit de l'application pure et simple du statut collectif, soit présenter une nature contractuelle.
Jusqu'à présent, seul relevait de la qualification d'avantage individuel le niveau de la rémunération perçue par le salarié au jour de la prise d'effet de la dénonciation, c'est-à-dire à l'expiration de la période de préavis (3) ; en revanche, étaient considérés comme des avantages collectifs, exclus de l'application du maintien, les règles de revalorisation de la rémunération (4).
Dans une décision inédite rendue en 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait, par ailleurs, considéré que seul devait compter le maintien du niveau de la rémunération, peu important que la structure de celle-ci soit modifiée à l'occasion de ce maintien (5).
C'est cette dernière solution qui se trouve remise en cause par les deux arrêts rendus le 1er juillet 2008, qui concernent, toutes deux, le sort d'avantages issus d'un accord dénoncé au sein de la Caisse d'épargne.
II - L'extension de la notion d'avantage individuel acquis à la structure de la rémunération
Dans ces affaires, il s'agissait d'un avantage individuel relatif à l'ancienneté, ainsi que d'une prime de durée d'expérience (pourvoi n° 07-40.799), et d'une prime de durée d'expérience, une prime de vacances et une prime familiale (pourvoi n° 06-44.437).
A la suite de la dénonciation de l'accord prévoyant ces éléments et en l'absence d'accord de substitution, l'employeur avait informé les salariés qu'il leur maintenait le bénéfice du montant de ces avantages non plus sous la forme de primes, mais en les intégrant dans la rémunération de base.
Des salariés avaient, alors, saisi le conseil de prud'hommes de demandes tendant, notamment, à ce que les bulletins de salaire soient rectifiés et fassent distinctement apparaître le salaire de base des primes liés à son ancienneté.
Les cours d'appel saisies (Lyon et Paris) avaient fait droit à ces demandes et l'entreprise tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt.
En vain, puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation rend, dans cette affaire, un arrêt de rejet, après avoir affirmé que "la structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue à l'expiration des délais prévus par le troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, alors en vigueur, un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation".
Cette affirmation constitue incontestablement une première, compte tenu des termes de la jurisprudence antérieure (6).
Désormais, l'employeur sera tenu de maintenir, non seulement le montant de la rémunération antérieure, mais encore la composition de cette rémunération. Cette dernière affirmation est, d'ailleurs, sans incidence sur le montant des avantages acquis, puisqu'il ne s'agit pas, ici, de contractualiser les règles de revalorisation, qui demeurent des avantages collectifs, mais, seulement, de contraindre l'employeur à maintenir la rémunération dans sa structure conventionnelle antérieure.
On se demandera, dans ces conditions, ce qui a conduit la Cour de cassation à modifier, ainsi, sa jurisprudence. Trois explications nous semblent pouvoir être avancées, l'une pratique, la deuxième politique et la troisième plus pragmatique.
Sur un plan pratique, la nouvelle solution permet au salarié d'avoir une lecture plus claire de la composition de sa rémunération. En interdisant à l'employeur de fondre salaire et primes dans un même ensemble informe, même sans modifier le montant total des sommes versées au salarié, la Cour de cassation, suivant en cela la solution adoptée par les cour d'appel de Lyon et Paris, évite une certaine confusion entre ce qui relève du paiement du travail accompli (le salaire) et ce qui relève de l'ancienneté, de l'expérience acquise ou d'autres avantages (les primes). Ce faisant, le salarié est, sans doute, mieux à même de négocier de futures augmentations de son salaire "de base", lequel ne se trouve, ainsi, pas artificiellement majoré par l'intégration des primes.
En étendant, ainsi, la sphère des avantages individuels acquis, la Cour de cassation incite les partenaires sociaux, singulièrement les employeurs, à conclure un accord de substitution, seul à même de totalement pouvoir refondre les rémunérations conventionnelles, en rendant plus dissuasive, pour les entreprises, la règle du maintien des avantages en l'absence de nouvel accord.
Sur un plan plus pragmatique, enfin, la solution rapproche le régime du maintien des avantages individuels acquis de celui de la modification du contrat de travail, dans une affaire où les deux questions étaient étroitement liées.
On sait, en effet, que la Cour de cassation considère, classiquement, que la structure de la rémunération contractuelle ne saurait être modifiée unilatéralement par l'employeur, sous prétexte que le montant total de cette rémunération serait maintenu à son même niveau (7), voire pourrait s'en trouver majoré (8).
En alignant la notion d'avantage individuel acquis sur le régime de la modification du contrat de travail, la Cour de cassation cherche, ainsi, très certainement, à unifier sa jurisprudence concernant la détermination des éléments essentiels du contrat de travail, éléments qui ne sauraient être différents selon qu'il s'agit de déterminer la notion d'avantage individuel acquis ou les éléments qui ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié. Cette double recherche de lisibilité et de cohérence nous semble bienvenue dans la mesure où elle assure aux salariés, et plus largement à tous les usagers du droit du travail, une meilleure prévisibilité des normes en cause.
(1) C. trav., art. L. 2261-13 (dénonciation) et L. 2261-14 (mise en cause).
(2) E. Dockès, L'avantage individuel acquis, Dr. soc., 1993, p. 826 ; Y. Aubrée, Le concept légal d'avantage individuel acquis, RJS, 2000, p. 699.
(3) Cass. soc., 26 novembre 1996, n° 93-44.811, Société Marquis Hôtels Partnership c/ M. Alia et autres (N° Lexbase : A4045AA3) : "si, du fait de la dénonciation de l'accord d'entreprise, l'employeur pouvait rémunérer les salariés au fixe, la cour d'appel a exactement décidé que les salariés avaient droit, au titre des avantages individuels acquis, au maintien du niveau de leur rémunération au jour où l'accord collectif a cessé de s'appliquer".
(4) Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, M. Aal et autres c/ Société fermière du casino municipal de Cannes (N° Lexbase : A4265AA9) : "si les salariés avaient droit au maintien de leur niveau de rémunération, en revanche le système de répartition des pourboires institué par les accords de 1980 et 1981 et l'accord de 1983 prévoyant une progression annuelle avait une nature collective et ne pouvaient être assimilés au sens de l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail à un avantage individuel" ; Cass. soc., 22 avril 1992, n° 88-40.921, Consorts Caillaud et autre c/ Société nouvelle d'assainissement et de travaux publics (N° Lexbase : A1512AAA) : "si, en cas de dénonciation d'un accord collectif, les salariés ont droit au maintien du niveau de leur rémunération, ils ne peuvent prétendre à la réévaluation de celle-ci en fonction des règles de variations contenues dans l'accord dénoncé qui ne constituaient pas un avantage individuel qu'ils auraient acquis" ; Cass. soc., 24 novembre 1992, n° 89-20.427, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Libournais c/ Syndicat national de l'encadrement du Crédit agricole du libournais (N° Lexbase : A4674ABQ) : "après dénonciation de l'accord déterminant le mode de calcul de ce complément de rémunération, les salariés ne pouvaient prétendre le voir évoluer, au-delà du niveau qu'il avait atteint, selon les modalités prévues par l'accord expiré" ; Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-43.377, M. Hervé Dorveaux c/ Centre médical de l'Argentière (N° Lexbase : A0234AZP) : "si, du fait de la dénonciation d'un accord collectif, le salarié a droit au titre des avantages individuels acquis au niveau de la rémunération atteint au jour où l'accord collectif a été dénoncé, il ne peut plus prétendre au coefficient résultant de cet accord, peu important qu'il soit représentant du personnel" ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-44.712, Association Vivre, FS-P+B (N° Lexbase : A2927DGI) : "si, du fait de la dénonciation de l'accord du 31 mai 1968, les salariés avaient droit au maintien du niveau de rémunération atteint au jour où cet accord avait été dénoncé, ils ne pouvaient plus prétendre pour l'avenir à la réévaluation de leur salaire selon les dispositions de cet accord, celle-ci ne constituant pas un avantage individuel acquis au sens de l'article L. 132-8 du Code du travail".
(5) Cass. soc., 11 mai 2005, n° 04-40.539, M. Alvaro Abrunhosa c/ Société Goodyear Dunlop Tires France, F-D (N° Lexbase : A2435DIZ) : "ayant relevé que la réduction à 36 heures de la durée effective du travail hebdomadaire résultait d'un accord collectif d'établissement et que l'horaire avait été rétabli à 39 heures à la suite de la dénonciation par l'employeur dudit accord, le conseil de prud'hommes en a exactement déduit que ce changement de structure de la rémunération dont le montant demeurait inchangé, s'imposait aux salariés sans que ceux-ci puissent se prévaloir d'une modification de leur contrat de travail ; que le moyen n'est pas fondé".
(6) Notamment, Cass. soc., 11 mai 2005, n° 04-40.539, préc..
(7) Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-40.275, Société Systia informatique c/ M. Bernard (N° Lexbase : A5348AC3), JCP éd. G, 1998, II, 10058, note C. Lefranc ; Dr. soc., 1998, p. 523, note G. Couturier ; Cass. soc., 3 mars 1998, n° 95-43.274, M. Herzberg c/ Société Bata-Hellocourt (N° Lexbase : A2544AC9), Dr. soc., 1998, p. 523, note G. Couturier ; Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 98-41.222, M. Ramond c/ Société Doc The Original (N° Lexbase : A9174AGU), Dr. soc., 2000, p. 1021, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 3 juillet 2001, n° 99-40.641, M. Pierre c/ Société des Transports Sicot et autres (N° Lexbase : A1249AUS), Dr. soc., 2001, p. 1006, obs. Ch. Radé (modification du taux horaire) ; Cass. soc., 23 octobre 2001, n° 99-43.153, M. Guy Godart c/ Société Boutaux, FS-P (N° Lexbase : A8055AWA), Dr. soc., 2002, p. 112, obs. Ch. Radé (intégration d'une prime périodique dans le salaire mensuel) ; Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-44.467, Mme Mireille Pruleau c/ Société Leroy, FS-P (N° Lexbase : A7796AXZ), Dr. soc., 2002, p. 358, obs. Ch. Radé.
(8) Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-40.275, préc.. Jurisprudence constante.
Décisions
1° Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.799, Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes Lyon, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4995D9U) Rejet, CA Lyon, ch. soc., 5ème ch., 13 décembre 2006, n° 05/07649, Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes Lyon c/ M. Claude Blanc (N° Lexbase : A7721DZY) 2° Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 06-44.437, Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (CNCEP), FP-P+B (N° Lexbase : A4826D9M) Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 1er juin 2006, n° 05/00393, Syndicat Sud Caisses d'épargne c/ Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (N° Lexbase : A1304DRQ) Textes concernés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN, art. L. 2261-11, recod. N° Lexbase : L0574HXK) Mots clef : conventions collectives ; avantage individuel acquis ; rémunération ; structure. Lien base : et |
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