La lettre juridique n°314 du 24 juillet 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Licenciement disciplinaire : règles particulières

Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.053, Société Téléperformance France, FP-P+B (N° Lexbase : A4979D9B)

Lecture: 7 min

N6754BGA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Licenciement disciplinaire : règles particulières. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210439-jurisprudencelicenciementdisciplinairereglesparticulieres
Copier

par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Le pouvoir disciplinaire est le corollaire du pouvoir de direction de l'employeur. Il s'agit du pouvoir reconnu à l'employeur de sanctionner des actes qu'il considère comme fautifs commis par tous les salariés placés sous sa subordination. L'employeur dispose, en principe, d'une totale liberté en la matière, qu'il s'agisse du principe, mais, également, de la nature de la sanction. L'employeur, qui décide de licencier un salarié pour un motif disciplinaire, n'a donc, en principe, pas à justifier d'une sanction préalable. Comme le rappelle justement la Haute juridiction dans une décision du 1er juillet 2008, un fait fautif isolé peut justifier un licenciement. Cette solution, qui n'est pas nouvelle, permet de faire le point sur les particularités du licenciement pour motif disciplinaire.


Résumé

La commission d'un fait fautif isolé peut justifier un licenciement, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à un avertissement préalable.

Commentaire

I - Régime du pouvoir disciplinaire de l'employeur

  • Teneur du pouvoir disciplinaire de l'employeur

La faute disciplinaire consiste en un agissement du salarié que l'employeur considère comme fautif (C. trav., art. L. 1331-1 N° Lexbase : L1858H9P).

Pour pouvoir recevoir cette qualification, le ou les faits doivent être imputables au salarié (Cass. soc., 11 juin 2003, n° 02-44.086, F-D N° Lexbase : A7311C8B) et, en principe, ils doivent consister en un manquement, par le salarié, à ses obligations professionnelles (Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-44.370, M. Marino c/ Société Semitag N° Lexbase : A6367AGW). La première limite au pouvoir disciplinaire de l'employeur est la sphère professionnelle. Seuls les faits tirés de la vie professionnelle du salarié peuvent être retenus au soutien d'une sanction. Les faits tirés de la vie personnelle du salarié ne peuvent, en effet, être invoqués que de manière exceptionnelle, lorsque le comportement du salarié, compte tenu de la nature de ses fonctions et la finalité de l'entreprise, génère un trouble caractérisé dans cette dernière (Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 90-42.517, Mme Rossard c/ Société Robuchon et fils N° Lexbase : A3737AAN).

L'employeur est seul juge pour déterminer si le salarié a commis une faute disciplinaire et pour déterminer la gravité de la faute : légère, sérieuse, grave ou encore lourde (C. trav., art. L. 1331-1). C'est, encore, l'employeur qui décide du principe et de la nature de la sanction qui sera prise contre le salarié fautif.

  • Limites au pouvoir disciplinaire de l'employeur

Le pouvoir de l'employeur n'est, toutefois, pas absolu. Le législateur et la jurisprudence sont venus encadrer le pouvoir disciplinaire de l'employeur.

Le pouvoir de sanction de l'employeur se trouve, en premier lieu, limité a priori. Certaines sanctions sont, en effet, interdites. L'exercice d'un droit ne peut être sanctionné. Il en va, par exemple, ainsi, du droit d'expression, du droit d'agir en justice, du droit d'exercer une activité syndicale, du droit (normal) de grève.

Le législateur interdit, par ailleurs, les sanctions pécuniaires (C. trav., art. L. 1331-2 N° Lexbase : L1860H9R). Le principe non bis in idem trouve, ici, à s'appliquer (Cass. soc., 13 novembre 2001, n° 99-42.709, FS-P N° Lexbase : A0989AXW). Un même fait ne peut, ainsi, faire l'objet de deux sanctions.

Le pouvoir disciplinaire de l'employeur se trouve, en deuxième lieu, encadré. L'employeur est, d'une part, tenu de respecter les délais de prescription posés par le législateur. L'article L. 1332-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1867H9Z) prévoit qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance. Sauf si des poursuites pénales ont commencé, passé ce délai de deux mois, aucune procédure disciplinaire ne peut plus être engagée. L'employeur se voit, en outre, interdire d'invoquer, à l'appui d'une nouvelle sanction, une sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement de poursuites disciplinaires (C. trav., art. L. 1332-5 N° Lexbase : L1869H94). L'employeur doit, d'autre part, lorsqu'il sanctionne un salarié respecter la procédure disciplinaire mise en place par le législateur (C. trav., art. L. 1332-1 N° Lexbase : L1862H9T et L. 1332-2 N° Lexbase : L1864H9W).

Le pouvoir de sanction de l'employeur se trouve, en troisième lieu, limité a posteriori. La jurisprudence exerce un contrôle plus ou moins étendu sur l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire. Outre la régularité de la procédure, les juges du fonds contrôlent si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, ainsi que la proportionnalité de la sanction par rapport à la faute commise (C. trav., art. L. 1333-1 N° Lexbase : L1871H98 et L. 1333-2 N° Lexbase : L1873H9A).

En présence d'un licenciement, les pouvoirs des juges du fonds sont un tout petit peu différents, le contrôle porte, outre le respect de la procédure, sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement .

C'est cette particularité que rappelle la Haute juridiction aux juges du fonds dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, deux salariés avaient été licenciés pour faute grave, après avoir été surpris en train de fumer un "joint" dans la salle de pause fumeur de l'entreprise. Contestant cette sanction, ils avaient saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Pour confirmer la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse de la rupture prononcée, la cour d'appel, après avoir retenu la réalité de la consommation de substances illicites par les salariés, affirme qu'il appartenait à l'employeur de rappeler l'interdiction de fumer un "joint" par la notification d'une sanction et que, s'agissant d'un fait isolé, la sanction immédiate de la perte d'emploi, sans mise en garde préalable, apparaissait disproportionnée.

La Cour de cassation n'a pas la même analyse. Elle considère, à juste titre, que la commission d'un fait fautif isolé peut justifier un licenciement, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à un avertissement préalable.

Cette solution est parfaitement logique

II - Spécialité du licenciement disciplinaire

  • Un mélange des genres

Ce rappel à l'ordre des juges du fond s'imposait. Il n'existe, en effet, dans le Code du travail, aucune disposition imposant à l'employeur, qui souhaite licencier pour motif disciplinaire un salarié, de justifier avoir pris, au préalable, une sanction de moindre importance. Les juges ne peuvent pas, non plus, juger de la proportionnalité de la sanction prononcée.

Si la sanction prise par l'employeur dans la décision commentée n'avait pas été un licenciement, la solution rendue par les juges du fond n'aurait pas été cassée. Il leur était, en effet, possible de juger que la sanction était disproportionnée et de prononcer son annulation (Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-45.309, Société Roche c/ Mme Guillaumin N° Lexbase : A7869AHW, Bull. civ. V, n° 375).

Mais, en l'espèce, la sanction était un licenciement, et le licenciement, en tant que sanction disciplinaire, est traité, par la volonté du législateur, d'une manière particulière. Les juges ne peuvent ni l'annuler, ni décider de sa proportionnalité. Le pouvoir des juges en la matière est celui qui leur est reconnu par le droit commun du licenciement. L'article L. 1333-3 du Code du travail soustrait le licenciement pour motif disciplinaire du pouvoir de contrôle de droit commun de la sanction disciplinaire reconnu aux juges du fonds.

Dans ce cas, le contrôle des juges porte sur le respect de la procédure et l'existence d'une cause réelle et sérieuse . Les juges contrôlent, ainsi, outre la procédure, l'existence de faits fautifs et leur imputabilité au salarié. Le juge doit répondre à quatre questions : l'employeur a-t-il respecté la procédure de licenciement ? ; les faits reprochés aux salariés existent-ils ? ; sont-ils bien fautifs ? ; permettent-ils de justifier un licenciement ?

En relevant, dans l'espèce commentée, qu'il appartenait à l'employeur de rappeler l'interdiction de fumer un joint par la notification d'une sanction et en retenant le caractère disproportionné de la sanction, les juges du fond ont fait application, au licenciement pour motif disciplinaire, des règles générales applicables à toute sanction disciplinaire autre que le licenciement.

Dans la mesure où la faute était établie, il leur appartenait juste de rechercher, en l'absence de clause particulière dans le règlement intérieur ou dans les conventions collectives, si le licenciement était, ou non, pourvu d'une cause réelle et sérieuse et de sanctionner l'employeur le cas échéant.

  • Limitations conventionnelles

La solution aurait, sans doute, été différente si le règlement intérieur ou une disposition conventionnelle, voire le contrat individuel de travail, avait fixé une échelle des sanctions.

La jurisprudence considère, en effet, à juste titre, que l'employeur est tenu de respecter les dispositions du règlement intérieur ou de la convention collective qui viennent limiter, et donc a fortiori, encadrer son pouvoir disciplinaire (Cass. soc., 8 octobre 1998, n° 96-43.237, M. Bruno Campagnolo c/ Société Vigilia, société anonyme et autres, inédit N° Lexbase : A9016CPM ; pour le contrat de travail, voir Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 95-42.184, M. Dominique Vernet c/ Fondation de la Miséricorde de Caen, inédit N° Lexbase : A2199CSA).

Certains règlements intérieurs fixent, par exemple, une liste limitative de sanctions, qui interdit à l'employeur de choisir d'autres sanctions que celles figurant dans le règlement intérieur (Cass. soc., 13 octobre 1993, n° 92-40.474, M. Fernandez c/ Société Marnier Lapostolle N° Lexbase : A3906AAW).

De la même manière, certaines conventions collectives de travail prévoient des sanctions maxima (exemple, une durée maxima pour une mise à pied). Dans ce cas, l'employeur ne peut sanctionner un salarié en lui infligeant une sanction plus lourde ou d'une durée plus longue (pour une mise à pied, par exemple).

Enfin, certains règlements intérieurs ou certaines conventions collectives subordonnent le prononcé des certaines sanctions (généralement les plus sévères) au prononcé antérieur d'autres sanctions.

Il a, ainsi, été jugé que le licenciement pour motif disciplinaire d'un salarié, sans qu'il ait fait l'objet de sanctions préalables, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, parce que la convention collective imposait, pour qu'un licenciement disciplinaire puisse être pris vis à vis d'un salarié, que ce dernier ait antérieurement fait l'objet d'une sanction (Cass. soc., 21 janvier 1992, n° 90-46.104, Association de prévention spécialisée de l'Agglomération paloise c/ M. Bestani N° Lexbase : A5225AB7). La même solution a été retenue en application des articles d'un règlement intérieur, lequel subordonnait le licenciement à plusieurs avertissements préalables du salarié (Cass. soc., 3 février 1998, n° 95-44.922, M. Peyès qualités d'administrateur judiciaire de la société Chemises c/ Mme Bay et autres N° Lexbase : A3222ABX).

Tel n'était pas le cas dans la décision commentée, les juges ne pouvaient donc limiter, sans aucun fondement, le pouvoir disciplinaire de l'employeur, ce qui ne peut qu'être approuvé. La faute étant caractérisée, reste à savoir si le licenciement est, ou non, causé...

Décision

Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.053, Société Téléperformance France, FP-P+B (N° Lexbase : A4979D9B)

Cassation partielle de CA Paris, 22ème ch., sect. B, 6 novembre 2006, n° 05/03571, M. Guillaume Desgrez c/ SA Téléperformance France (N° Lexbase : A2085DTE)

Texte visé : néant

Mots clefs : sanction disciplinaire ; licenciement ; caractère disproportionné de la sanction ; cassation ; contrôle du litige en présente d'un licenciement disciplinaire ; contrôle de l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

Lien base :

newsid:326754