La lettre juridique n°311 du 3 juillet 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Reconnaissance de dette et preuve de la remise des fonds (à propos de la mise en oeuvre de l'article 1132 du Code civil)

Réf. : Cass. civ. 1, 19 juin 2008, n° 06-19.056, M. Jean-Claude Bonnet, FS-P+B (N° Lexbase : A2145D9C)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Le droit français fait, nul ne n'ignore, de la cause une condition de validité du contrat. Ainsi, l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8), ouvrant le Chapitre II "Des conditions essentielles pour la validité des conventions" du Titre III du Livre III, subordonne-t-il la validité d'une convention à l'existence, non seulement du consentement de la partie qui s'oblige, à condition, bien entendu, qu'elle soit capable de contracter, d'un objet certain formant la matière de l'engagement, mais aussi, d'"une cause licite dans l'obligation". Les articles 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1133 (N° Lexbase : L1233ABB) du même code reprennent cette exigence, le premier énonçant que "l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet", le second précisant que "la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public". Aussi n'est-il sans doute pas exagéré de dire que la cause apparaît comme la "pièce maîtresse" du mécanisme contractuel (1). On comprend, dans ces conditions, que la formule de l'article 1132 du Code civil (N° Lexbase : L1232ABA), aux termes duquel "la convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée", ait pu susciter quelques difficultés d'interprétation. Alors que certains auteurs ont, en effet, considéré qu'il fallait déduire de cette disposition la validité de l'engagement abstrait, et ce, donc, par dérogation au principe posé par l'article 1131, de telle sorte que le débiteur serait tenu dès lors que l'engagement a pris la forme d'un billet écrit, sans qu'il y ait lieu de se préoccuper de sa cause (2), d'autres, attachés à la tradition juridique française et à l'idée que la volonté ne peut être la source d'obligation qu'à la condition d'avoir une cause, ont préféré limiter la portée de l'article 1132 à la seule question de la preuve de la cause (3). Telle est, du reste, l'analyse consacrée par la jurisprudence (4), comme en témoigne encore un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 19 juin dernier.

En l'espèce, en effet, le bénéficiaire d'une reconnaissance de dette avaient assigné son auteur en paiement de la somme stipulée à l'acte par lequel celui-ci avait reconnu lui devoir ladite somme en remboursement d'un prêt. La cour d'appel de Montpellier, par un arrêt rendu le 20 juin 2006, ayant accueilli cette demande, l'auteur de la reconnaissance de dette avait formé un pourvoi en cassation faisant valoir, pour échapper à son engagement, que la reconnaissance de dette ne dispense pas celui qui prétend être créancier d'une somme au titre d'un prêt de rapporter la preuve de la remise des fonds. Par suite, le moyen soutenait que la bénéficiaire de la reconnaissance de dette, prétendument prêteuse, ne prouvait pas qu'elle avait effectivement remis des sommes au prétendu débiteur, si bien que, en se fondant sur la seule reconnaissance de dette, la cour d'appel avait inversé la charge de la preuve, violant l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG).

Le pourvoi est cependant, sans grande surprise, rejeté. La Cour de cassation énonce, en effet, "que l'article 1132 du Code civil, en ce qu'il dispose que la convention est valable quoique la cause n'en soit pas exprimée, met la preuve du défaut ou de l'illicéité de la cause à la charge de celui qui l'invoque ; que la cause du contrat de prêt étant constituée par la remise de la chose, laquelle est une condition de formation du prêt demeuré un contrat réel lorsque celui-ci, comme en l'espèce, a été consenti par un particulier, l'arrêt qui constate que [l'auteur de la reconnaissance de dette] ne rapportait la preuve du non-versement de la somme litigieuse n'a pas inversé la charge de la preuve".

La Cour de cassation confirme, ainsi, une solution aujourd'hui acquise : l'acte juridique est valable même dans l'hypothèse dans laquelle la cause ne serait pas indiquée dans l'instrumentum, l'existence de la cause étant présumée du seul fait que la promesse est produite. Autrement dit, l'article 1132 du Code civil constitue une présomption d'existence et de licéité de la cause de l'obligation, et c'est alors au souscripteur qu'il appartient d'établir l'absence ou l'illicéité de la cause. Concrètement, la cause de l'obligation étant présumée exacte, il incombera aux signataires d'une reconnaissance de dette de prouver la réalité de l'absence de remise des fonds (5). En tout état de cause, la preuve de l'absence de cause peut être rapportée par tous moyens (6) puisque, aucun écrit ne faisant état de la cause de l'obligation, il ne s'agit pas de prouver "contre" un écrit, de telle sorte que l'article 1341 du Code civil (N° Lexbase : L1451ABD) est, ici, inapplicable. On remarquera, pour terminer, que la Cour de cassation rappelle, ici, que le prêt consenti par un particulier est bien un contrat réel (7), alors que, on le sait, elle décide, depuis quelques années, refoulant cette qualification, que le prêt d'argent consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel (8).


(1) En ce sens, voir H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, T. II, vol. 1, Obligations, Théorie générale, 9ème éd. par F. Chabas, 1998, Montchrestien, n° 255, p. 262.
(2) Voir not. Aubry et Rau, Cours de droit civil français, 6ème éd., T. IV, § 345, note 20 ; Capitant, De la cause de l'obligation, 1927, n° 165.
(3) Voir not., sur cette question, J. Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat, LGDJ, 1993, n° 898 et s., p. 912 et s..
(4) Voir not. Cass. civ. 1, 7 décembre 1961, n° 59-12.278, Dame Ranjavelo c/ Rasamimanana (N° Lexbase : A8390DIL), Bull. civ. I, n° 587 ; Cass. com., 13 octobre 1975, n° 74-14.203, Desaunette c/ Dlle Heurtebize (N° Lexbase : A3256CH3), Bull. civ. IV, n° 231 ; Cass. civ. 1, 1er octobre 1986, n° 85-13.514, M. Lejeune c/ M Ameline (N° Lexbase : A5399AA9), Bull. civ. I, n° 230 ; Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 98-23.080, M. Maurice Poupard c/ Mlle Annie Pitorin (N° Lexbase : A3518ATH), Bull. civ. I, n° 108, Rép. Defrénois, 2001, p. 1057, obs. Libchaber.
(5) Cass. civ. 1, 7 avril 1992, n° 90-19.858, Consorts Tristant c/ Consorts Etienne (N° Lexbase : A5526AH7), Bull. civ. I, n° 114, Rép. Defrénois, 1993, p. 371, obs. Vermelle.
(6) Cass. civ. 1, 4 juillet 1995, n° 93-16.236, M. Patrick X c/ Mme Isabelle Z, inédit (N° Lexbase : A5318CMW), JCP éd. N., 1996, II, 152.
(7) Cass. civ. 1, 20 juillet 1981, n° 80-12.529, Société Piter c/ Bibal, Banroques (N° Lexbase : A0228AZH), Bull. civ. I, n° 267 ; Cass. civ. 1, 28 mars 1984, n° 82-15.538, Consorts Guallar c/ Font, Consorts Cadene (N° Lexbase : A0374AA4), Bull. civ. I, n° 120.
(8) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-21.422, Société UFB Locabail c/ M. Bermond, ès qualités de liquidateur de la société Sanlaville et autres (N° Lexbase : A3516AUR), JCP éd. G, 2000, II, 10296, concl. Sainte-Rose, Grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd., n° 270 ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2001, n° 99-10.633, M. Didier Balkany, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2833AX9), JCP éd. G, 2002, II, 10050, note Piédelièvre.

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