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N3592BG7
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe)
le 07 Octobre 2010
L'histoire des procédures collectives est celle de l'extension progressive de son champ d'application. Jusqu'en 1967, seuls les commerçants, personnes morales ou personnes physiques, pouvaient être déclarés en règlement judiciaire ou en liquidation des biens. La loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes (N° Lexbase : L7803GT8) a étendu l'application des procédures collectives aux personnes morales de droit privé. La loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises (N° Lexbase : L4126BMR) a poursuivi l'extension, en permettant l'ouverture des procédures collectives au bénéfice des artisans. La loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988, relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social (N° Lexbase : L9121AGW) a rendu possible l'ouverture des procédures collectives au profit des agriculteurs. La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT) a poursuivi l'extension en permettant l'ouverture de procédures collectives au bénéfice de tout professionnel indépendant.
On sait que la loi du 26 juillet 2005 est, par principe, inapplicable aux procédures collectives ouvertes antérieurement. Elle s'applique, en revanche, exclusivement pour les procédures collectives ouvertes à compter du 1er janvier 2006. Ce principe peut-il être tenu en échec lorsque la personne assignée en liquidation judiciaire, professionnel indépendant ne relevant pas des procédures collectives avant le 1er janvier 2006, se trouvait en état de cessation de paiement avant cette date ? C'est à cette question que répond la Cour de cassation, dans un arrêt de sa Chambre commerciale du 27 mai 2008, appelé à une large diffusion, même s'il n'est pas prévu qu'il figure au rapport de la Cour de cassation (arrêt FS-P+B+I).
En l'espèce, sur assignation de créanciers publics, une personne, qui exerçait la profession d'agent de recherches privées, a été assignée en liquidation judiciaire. Le tribunal a fait droit à la demande. La cour d'appel a confirmé la décision. Sur pourvoi, le débiteur soutenait que la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 n'était pas applicable aux situations en cours. En l'espèce, les créances dont se prévalaient l'URSSAF, le Trésor public et le comptable des impôts résultaient d'une situation qui était en cours lors de l'entrée en vigueur de cette loi, d'où la violation, selon l'intéressé, par la cour d'appel de l'article 190 de la loi du 26 juillet 2005, qui dispose que "la présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2006".
La Cour de cassation avait, ainsi, à répondre à la question de savoir si une personne en état de cessation des paiements avant le 1er janvier 2006 et qui, à cette date, ne pouvait être soumise à une procédure collective, pouvait, après le 1er janvier 2006, être placée en liquidation judiciaire. Sans surprise, la Cour de cassation répond à la question par l'affirmative : "il résulte des dispositions des articles L. 631-2 (N° Lexbase : L4013HBA), L. 640-2 (N° Lexbase : L4039HB9) du Code de commerce et 190 de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises qu'à compter du 1er janvier 2006, une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire peut être ouverte à l'encontre d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante dès lors qu'elle est en état de cessation de paiements à la date à laquelle le juge statue, peu important que son passif ait été exigible avant le 1er janvier 2006".
L'imagination des plaideurs est sans limite. Il fallait, en effet, singulièrement ajouter à la lettre de la loi, qui demande, pour placer une personne sous redressement ou sous liquidation judiciaire, qu'elle soit en état de cessation des paiements, un sérieux tempérament, en exigeant que son état de cessation des paiements soit caractérisé après le 1er janvier 2006.
Le seul critère d'application de la loi de sauvegarde dans le temps est que la procédure collective soit ouverte après le 1er janvier 2006. Dès lors que les conditions d'ouverture de cette procédure collective sont réunies à cette date, l'ouverture de celle-ci s'impose. Le plaideur soutenait que la loi de sauvegarde était sans application aux situations en cours, confondant, manifestement, procédures en cours et situations en cours. Il est exact que la loi de sauvegarde des entreprises est inapplicable lorsque la procédure collective est en cours au jour où il est demandé à la juridiction d'ouvrir une procédure collective. Il ne s'agit, d'ailleurs, nullement d'un problème d'application de la loi dans le temps, mais plutôt d'une question d'unicité de procédure. Le principe "faillite sur faillite ne vaut", posé sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 par la jurisprudence, a été clairement réaffirmé par la loi de sauvegarde des entreprises. Il est impossible d'ouvrir une liquidation judiciaire à l'encontre d'une personne déjà placée en redressement judiciaire, tant que sa procédure n'a pas été préalablement clôturée.
Une juridiction du fond avait déjà jugé que, même si l'assignation contre un professionnel libéral avait été délivrée avant le 1er janvier 2006, la procédure pouvait être ouverte à compter de cette date. La solution a été posée pour un médecin (1).
Un avis de la Cour de cassation permettait, également, déjà, de répondre à la question posée. Il avait été estimé que le professionnel libéral pouvait, après le 1er janvier 2006, demander l'ouverture de la procédure collective, alors même qu'il aurait cessé son activité avant l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises, et, alors même, que plus d'un an se serait écoulé depuis la date de cessation de son activité, dès lors qu'il se trouvait en état de cessation des paiements et que tout ou partie de son passif provenait de son activité professionnelle (2). La logique qui anime l'avis de la Cour de cassation est exactement la même que celle utilisée dans la présente espèce.
Il y avait, donc, manifestement abus du plaideur à former un pourvoi en cassation en soutenant un tel argument.
Toutefois, le plaideur avait un autre argument à soulever, dans lequel, sans doute, il croyait davantage. En effet, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, la procédure collective peut être ouverte à l'encontre d'un professionnel libéral. L'article L. 631-2 du Code de commerce pose, en pareil cas, lorsque les professionnels libéraux sont soumis à un statut ou à une autorité disciplinaire propre, des règles particulières, destinées à associer l'ordre professionnel ou l'autorité professionnelle à la procédure.
Lorsque le débiteur est un professionnel libéral soumis à un statut législatif ou réglementaire, l'ordre professionnel ou l'autorité compétente doit être entendue avant le jugement d'ouverture. La solution est posée pour la procédure de sauvegarde par l'article L. 621-1, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L4127HBH). Ce texte est applicable au redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-7 N° Lexbase : L4018HBG) et à la liquidation judiciaire (C. com., art. L 641-1-I N° Lexbase : L4044HBE). Cela doit lui permettre d'exprimer son point de vue au regard des règles déontologiques et disciplinaires dont il a la charge du contrôle (3).
Cette audition préalable ne s'impose, d'évidence, que s'il s'agit d'un professionnel libéral soumis à un statut. Elle interviendra en chambre du conseil.
Quoi qu'il en soit, pour que le dispositif prévu par la loi de sauvegarde des entreprises s'impose, il est nécessaire que l'on soit en présence d'un ordre professionnel ou d'une autorité compétente. En l'espèce, la question se posait de savoir si l'Observatoire des détectives de France et la Confédération nationale des enquêteurs et détectives professionnels devaient être considérés comme des ordres professionnels. C'est ce que soutenait le débiteur. La cour d'appel avait rejeté sa prétention et, de la même façon, la Cour de cassation va rejeter le pourvoi, en indiquant que "lorsque le débiteur exerce une profession libérale soumise un statut législatif réglementaire, le tribunal statue sur l'ouverture la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire après avoir entendu ou appelé l'ordre professionnel auquel ce texte confère la mission de représenter la profession. Et attendu qu'ayant relevé que l'Observatoire des détectives de France et la Confédération nationale des enquêteurs et détectives professionnels s'apparentent à des syndicats professionnels, la cour d'appel a retenu, à juste titre, que ceux-ci ne pouvaient recevoir la qualification d'ordre professionnel et n'avaient donc pas être appelés".
Il faut bien comprendre la portée de l'association de l'ordre professionnel d'un professionnel libéral à la procédure collective intéressant celui-ci. L'ordre sera d'office contrôleur. Un "rôle spécifique lui est reconnu de façon à assurer l'information réciproque de l'ordre, du tribunal et du mandataire judiciaire, et à concilier les actions susceptibles d'être engagées par les uns et les autres" (4). Ce contrôleur nommé d'office aura des prérogatives tendant à la défense des valeurs de la profession (5), et non à la défense des intérêts d'un créancier.
Une juridiction ne peut ouvrir une procédure concernant un professionnel libéral soumis à un ordre, sans désigner d'office l'ordre en qualité de contrôleur. Le jugement est susceptible d'annulation par la cour d'appel, qui, en application de l'effet dévolutif de l'appel, peut ouvrir la procédure et renvoyer l'affaire devant le tribunal, en enjoignant à celui-ci de désigner un contrôleur représentant l'ordre (6).
Selon une solution aujourd'hui bien acquise en jurisprudence, la déclaration de créance équivaut à une demande en justice. La solution avait été posée sous l'empire de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes, à l'époque de la production au passif. Rapidement après l'entrée en vigueur de la loi n° 85-98 du 25 janvier de 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, un contentieux très important se développait sur la question du pouvoir pour déclarer les créances. Saisie de la difficulté, la Cour de cassation avait rendu, en la matière, une décision de principe, fixant sa jurisprudence. Elle énonçait que "la déclaration des créances au passif du redressement judiciaire du débiteur équivaut à une demande en justice que le créancier peut, selon les deux derniers textes susvisés [C. civ., art. 1328 N° Lexbase : L1438ABU et C. proc. civ., art. 853, al. 1, N° Lexbase : L1796ADU], former lui-même ; que, dans le cas où le créancier est une personne morale, cette déclaration faite à titre personnel, si elle n'émane pas des organes habilités par la loi à la représenter, peut encore être effectuée par tout préposé titulaire d'une délégation de pouvoir lui permettant d'accomplir un tel acte, sans que ce pouvoir soit soumis aux règles applicables au mandat de représentation en justice dont un tiers peut être investi ; qu'il peut, enfin, être justifié de l'existence de la délégation de pouvoir, jusqu'à ce que le juge statue sur l'admission de la créance, par la production des documents établissant la délégation, ayant ou non acquis date certaine" (7).
La solution posée par la Cour de cassation concernait l'hypothèse d'une déclaration de créance effectuée par le créancier lui-même. C'est la fameuse question de la délégation de pouvoir lorsque le créancier est une personne morale.
La Cour de cassation devait rapidement statuer sur l'hypothèse toute différente du tiers déclarant la créance du créancier. Le principe posé par la Cour de cassation est que, si le créancier ne déclare pas personnellement sa créance, le déclarant, qui est un tiers, doit être muni d'un pouvoir spécial à cette fin (8). Le pouvoir spécial s'entend d'un pouvoir donné affaire par affaire, au contraire de la délégation de pouvoir reçue pour déclarer la créance de son préposé, qui est générale.
Le régime probatoire de la délégation de pouvoir pour déclarer une créance et celui du pouvoir spécial sont très différents. C'est ce que permet d'illustrer, une nouvelle fois, l'arrêt du 27 mai 2008 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
En l'espèce, deux époux vendent leur fonds de commerce à une société. L'acte est passé par un notaire. La société fait l'objet d'un redressement judiciaire, sans payer le prix d'acquisition. Le notaire des époux procède, alors, à une déclaration de la créance de prix de vente au passif de cette société. Le représentant des créanciers de la société conteste la déclaration de créance, au motif que le déclarant était un mandataire ad litem devant justifier d'un pouvoir spécial, dans le délai de la déclaration de créance. La cour d'appel va rejeter cette argumentation, en relevant que, au cours de l'instance, le créancier avait justifié du pouvoir spécial donné au notaire deux jours avant la déclaration de créance au passif. Elle soutient, en conséquence, pour considérer régulière la déclaration de créance effectuée, que si le défaut de pouvoir est une irrégularité de fond, tel n'est pas le cas de la tardiveté dans la justification de ce pouvoir, laquelle, au demeurant, n'a causé de griefs à quiconque.
La question posée à la Cour de cassation était, donc, de savoir si un notaire, déclarant la créance de son client, devait justifier, dans le délai de la déclaration de créance, d'un pouvoir spécial. A cette question, la Cour de cassation, sans surprise, répond par l'affirmative, en cassant l'arrêt de la cour d'appel : "la déclaration des créances équivalant à une demande en justice, la personne qui déclare la créance d'un tiers doit, si elle n'est pas avocat, être munie d'un pouvoir spécial et écrit, produit soit lors de la déclaration de la créance, soit dans le délai légal de cette déclaration".
La cause est, donc, entendue. Le notaire, comme tout tiers, doit justifier d'un pouvoir spécial pour déclarer la créance de son client. Jusqu'alors, et c'est là l'intérêt de l'arrêt commenté, la Cour de cassation n'avait pas été amenée à statuer sur l'hypothèse de la déclaration de créance effectuée par un notaire. Deux juridictions du fond avaient, cependant, statué en ce sens (9). A cette époque, nous avions clairement pris parti sur la question dans le sens retenu aujourd'hui par la Cour de cassation (10).
La solution méritait, en effet, d'être rapprochée de celles antérieurement retenues pour l'huissier (11) ou encore pour l'avoué (12). La seule dispense de pouvoir pour déclarer la créance de son client concerne, du fait d'une disposition spéciale du Code de procédure civile, l'avocat (13). Encore faut-il qu'il s'acquitte personnellement de son obligation. A cet égard, il a, en effet, été jugé que si la signature est précédée de la mention "pour ordre ou PO", le seul fait que la déclaration de créance ait été portée sur un bordereau établi au nom du créancier ayant pour avocat Me X, portant le cachet humide de cet avocat, ne permettra pas de rapporter la preuve de l'identité de l'auteur de la déclaration de créance (14). Au contraire, d'une manière souple, la Cour de cassation admet que, dès lors que figure sur la déclaration de créance le cachet de l'avocat, il n'y a pas à rechercher si c'est bien l'avocat qui a signé le courrier contenant la déclaration de créance (15). Ainsi, l'avocat qui part en vacances et qui reçoit instruction de déclarer une créance dont le délai expire pendant celles-ci devra donner instruction à sa secrétaire d'envoyer sur son en-tête la déclaration de créance non signée, plutôt que de donner consigne à sa secrétaire de signer "PO" la déclaration de créance.
Le défaut de pouvoir spécial est une irrégularité de fond. L'article 853, alinéa 1er, du Code de procédure civile oblige le tiers à être investi d'un pouvoir spécial. L'article 416 (N° Lexbase : L2649ADH) du même code oblige ce tiers à en justifier. Non seulement, donc, le notaire devra avoir reçu un pouvoir spécial pour déclarer la créance de son client, mais, en outre, il devra justifier de ce pouvoir spécial dans le délai de la déclaration de créances, c'est-à-dire, dans le délai de l'action. On mesure, ici, la distance qui sépare les exigences probatoires de la justification de la délégation de pouvoir, qui peut être faite jusqu'à ce que le juge statue, et la justification du pouvoir spécial émanant du tiers.
La prudence commandera que le tiers déclarant joigne à l'envoi de la déclaration de créances le pouvoir spécial qu'il a reçu de son client. Il est, en tout cas, certain, selon une jurisprudence bien établie (16), et ici rappelée, que le tiers ne saurait justifier de son pouvoir spécial que dans le délai de la déclaration de créances.
Indiquons qu'il est possible de combiner le régime de la déclaration de créance par un tiers, avec celui de la déclaration de créance effectuée par un préposé. Il faut, ici, supposer que la créance soit déclarée par un tiers, muni d'un pouvoir spécial, ce tiers ayant donné une délégation de pouvoir à l'un de ses préposés. La jurisprudence estime, en effet, que le tiers ayant reçu mandat spécial peut valablement déléguer ce pouvoir à l'un de ses préposés (17), sans que soit exigée de ce dernier la preuve d'un mandat spécial directement reçu du créancier (18), ni que sa délégation de pouvoir revête un caractère spécial (19). La preuve du pouvoir de ce salarié n'a pas à être apportée dans le délai de la déclaration de créance (20).
Observons que le principe selon lequel la justification du pouvoir ne pourra être apportée qu'à l'intérieur du délai de déclaration de créance vaut pour l'huissier de justice, qui tient son mandat de l'avocat du créancier, et qui n'est pas dispensé de prouver l'existence de ce mandat spécial, dans le délai de la déclaration de créance (21). La solution aurait été, en l'espèce, transposable à l'hypothèse du notaire donnant instruction à un avocat de déclarer la créance de son client.
Il ne restera plus aux clients du notaire qu'à rechercher sa responsabilité pour faute professionnelle, le préjudice à réparer n'étant, toutefois, égal qu'à la perte de la chance d'être payé dans la procédure collective.
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