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N3496BGL
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de publication
le 27 Mars 2014
Sur des sujets aussi consensuels que celui de la lutte contre les discriminations, on s'attendrait, pourtant, à une position commune de la part des députés comme des sénateurs, mais les débats orchestrés autour de l'adoption de cette loi sont le symbole d'une France divisée sur sa profession de foi : comment assurer l'égalité devant la loi ?
Bien évidemment, ni les députés, ni les sénateurs ne souhaitent attenter au sacro-saint principe gravé sur les frontons de la République. Mais, à la lumière de la transposition de cinq Directives européennes, sur injonction de la Commission, il apparaît clairement que l'approche des députés et celle des sénateurs, sur ce sujet, présente une différence de terminologie révélatrice des confrontations politiques à venir.
D'une part, le rapport du 6 février 2008 de Mme Isabelle Vasseur, député, rappelle une récente étude menée par le Bureau international du travail sur "Les discriminations à raison de l'origine dans les embauches en France", qui a montré que seuls 11 % des employeurs respectent une égalité de traitement lors du recrutement et que 70 % d'entre eux favorisent un candidat portant un nom français par rapport à un candidat portant un nom à consonance étrangère. La Commission de l'Assemblée nationale souligne, alors, la nécessité de transposer les Directives communautaires dans l'ordre juridique interne pour l'approfondissement de la lutte contre les discriminations en France. Ainsi, avec la loi nouvelle, sur laquelle revient, cette semaine, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, les définitions sont précisées, le champ des discriminations prohibées est étendu et certaines garanties sont renforcées.
D'autre part et, en revanche, le rapport du 2 avril 2008 de Mme Muguette Dini, sénateur, souligne que la recherche d'efficacité semble avoir conduit le Gouvernement à sous-estimer des difficultés de forme et de fond. Ainsi, le texte porterait, en germe, sans que cela soit immédiatement perceptible, une dérive communautariste des rapports sociaux et professionnels éloignée de la vision républicaine française. L'amalgame qu'il crée entre discrimination et inégalité de traitement laisserait, ainsi, penser que les inégalités sont toujours dues à des discriminations. Cette manière de raisonner conduirait chacun à se replier sur ses différences, alors que le combat contre les discriminations gagnerait à s'appuyer sur la conception républicaine de l'égalité, qui cantonne les différences dans l'espace privé et rassemble les hommes autour d'un principe commun. Et, derrière cette question juridique, se profile une interrogation de fond : dans le combat contre les discriminations, veut-on inciter au repli sur soi, à l'excitation des identités particulières, ou veut-on faire valoir des valeurs et des principes communs ?
Lutte contre les discriminations versus principe de traitement égalitaire, si l'objectif est le même, la différence de terminologie et, au-delà, la différence d'approche du problème, marque une confrontation de la conception anglo-saxonne du problème, conception qui semble s'imposer au niveau européen et dans la société civile, à la tradition française de l'égalité des personnes, en tant qu'elles sont humaines, avant toute revendication d'une différenciation expliquant, pour mieux la condamner, une discrimination.
Pour Friedrich Hayek, "il y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n'est qu'une nouvelle forme de servitude". C'est ainsi tout le débat sur la discrimination positive qui, insidieusement, refait surface, opposant l'Assemblée nationale et la Communauté européenne, d'un côté, et le Sénat, de l'autre.
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