La lettre juridique n°309 du 19 juin 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Du principe de loyauté de la preuve

Réf. : Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-17.147, Société Sony France, FS-P+B (N° Lexbase : A9362D8A)

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N3590BG3

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

La jurisprudence a, depuis longtemps déjà, déduit de l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW), aux termes duquel "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention", un principe de loyauté de la preuve prohibant la recherche de la vérité par n'importe quel procédé et interdisant au juge d'admettre une preuve qui aurait été obtenue par un moyen frauduleux (1). Pour le dire autrement, s'il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, cette preuve doit être faite dans le respect du principe de loyauté. Ainsi a-t-il récemment encore été jugé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, sous le visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves, que "porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable la provocation à la commission d'infraction par un agent de l'autorité publique, en l'absence d'éléments antérieurs permettant d'en soupçonner l'existence ; que la déloyauté d'un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus, quand bien même ce stratagème aurait permis la découverte d'autres infractions déjà commises ou en cours de commission" (Cass. crim., 4 juin 2008, n° 08-81.045, F-P+F N° Lexbase : A9418D8C). Il y aurait, en quelque sorte, un conflit opposant ici deux intérêts, d'aucuns diront deux droits subjectifs -droit de rapporter la preuve de ce qu'on avance et droit pour celui qui détient éventuellement la preuve d'obtenir qu'elle ne soit pas acquise de manière déloyale- (2), le second constituant la limite du premier (3). Il est, en tout état de cause, certain que la recherche de la vérité peut menacer l'intimité de la personne et risquer de porter atteinte à sa vie privée ou à son image, ce qui explique que des conditions doivent être posées à l'admissibilité des modes de preuve, particulièrement en raison des progrès de la technique. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 3 juin dernier, à paraître au Bulletin, permet précisément d'y revenir.

En l'espèce, et sans qu'il soit sans doute ici utile de rentrer dans les détails de l'affaire à origine du litige, la cour d'appel de Paris (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 19 juin 2007, n° 2006/00628 N° Lexbase : A8544DWD) avait approuvé le Conseil de la concurrence (décision Conseil de la concurrence n° 05-D-66 du 5 décembre 2005 N° Lexbase : X4745AD4) d'avoir considéré que les enregistrements téléphoniques, qui étaient produits par la partie saisissante et non pas par les enquêteurs ou le rapporteur, ne pouvaient être écartés au seul motif qu'ils avaient été obtenus de façon déloyale, si bien qu'ils étaient recevables. Cette décision est cassée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui énonce, dans un attendu de principe sous le visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, "que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé par une parti à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve". En tant que telle, la solution ne surprend pas. On se souvient, en effet, que la Cour avait déjà affirmé, dans les mêmes termes, la règle (4), même si elle a plus récemment décidé qu'il n'en allait pas ainsi de l'utilisation, par le destinataire, de messages écrits téléphoniquement adressés (SMS), dès lors que leur auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur (5). En revanche, il est certain que constitue un mode de preuve valable des écoutes téléphoniques dont les salariés ont été dûment avertis (6).

Il reste que, en la matière, le principe de loyauté de la preuve est solide. Ainsi, par exemple, a-t-il été jugé que constitue un mode de preuve déloyal, donc illicite, l'enregistrement par l'employeur, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à l'insu des salariés pendant le temps de travail (7). Dans le même ordre d'idées, la jurisprudence considère que l'employeur ne peut, sans violation de l'intimité de la vie privée du salarié, prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par celui-ci grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur (8). On n'ignore pas non plus, dans un autre registre, qu'au sujet de la preuve de l'adultère en matière de divorce, s'il était admis que les lettres missives pouvaient être produites sans le consentement de l'expéditeur et du destinataire malgré le principe de l'inviolabilité de la correspondance, encore fallait-il qu'elles n'aient pas été obtenues "par fraude ou violence" (C. civ., art. 259-1 N° Lexbase : L2630ABZ), règle qui avait été étendue par la Cour de cassation au journal intime (9). Le législateur, à l'occasion de la réforme du divorce par la loi du 26 mai 2004 (loi n° 2004-439 N° Lexbase : L2150DYB), a élargi le champ de l'article 259-1 à l'ensemble des "communications échangées entre son conjoint et un tiers" qu'il aurait obtenues par fraude ou violence (N° Lexbase : L2825DZN).


(1) Sur la question, voir not. A. Leborgne, L'impact de la loyauté sur la manifestation de la vérité ou le double visage d'un grand principe, RTDCiv., 1996, p. 535.
(2) Voir, en ce sens, F. Terré, Introduction générale au droit, 6ème éd., 2003, Précis Dalloz, n° 490.
(3) Encore que, sur la preuve par testing, voir not. L. Collet-Askri, Testing or not testing ?, La Chambre criminelle de la Cour de cassation valide ce mode de preuve, serait-il déloyal..., D., 2003, p. 1309.
(4) Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-12.653, Mme Annick Slusarek c/ Mme Nicole Andrée Marthe Togni, épouse Collignon, FS-P+B (N° Lexbase : A5730DDL), Bull. civ. II, n° 447.
(5) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle (SCP) Laville-Aragon, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3964DWQ), D., 2007, AJ., 1598, obs. Fabre.
(6) Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98-42.090, M. Dujardin c/ Société Instinet France (N° Lexbase : A4968AG4), Bull. civ. V, n° 101 ; Cass. soc., 31 janvier 2001, n° 98-44.290, M. Alaimo c/ Société Italexpress (N° Lexbase : A2317AIN), Bull. civ. V, n° 28 ; Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari (N° Lexbase : A5741AGQ), Bull. civ. V, n° 167.
(7) Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter (N° Lexbase : A9301AAQ), D., 1992, p. 73, concl. Chauvy.
(8) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Société Nikon France c/ M. Frédéric Onof (N° Lexbase : A1200AWD), Bull. civ. V, n° 291.
(9) Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 97-12437, Mme X c/ M. Y (LXB=A3223CGH]), Bull. civ. II, n° 85.

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