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N3510BG4
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 07 Octobre 2010
A - Compétence du Conseil d'Etat
A la suite de sa saisine, un tribunal administratif, d'une part, a rejeté pour irrecevabilité les conclusions d'une partie de la demande, et, d'autre part, a transmis au Conseil d'Etat le surplus de la demande. Saisi par le requérant d'un appel contre une seule partie du jugement d'un tribunal administratif, le président de la cour administrative d'appel de Paris a renvoyé au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article R. 351-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2998ALM), l'examen des conclusions dont il était saisi. Le Conseil indique que des demandes distinctes relevant de voies de recours différentes ne sauraient présenter entre elles un lien de connexité. Par suite, saisi d'une requête en qualité de juge statuant en premier et dernier ressort, il ne saurait être saisi, par la voie de la connexité, des conclusions d'une requête d'appel. Or, la demande transmise par le président de la cour administrative d'appel, dirigée contre le jugement du tribunal administratif, ne relève pas de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat. Le Conseil en conclut que c'est par une inexacte application des articles R. 341-1 (N° Lexbase : L2983AL3) et R. 351-2 du code précité, que le président de la cour administrative d'appel de Paris lui a renvoyé l'examen de la requête. En effet, il résulte des dispositions de l'article R. 341-1 que le Conseil d'Etat, saisi d'une requête ressortissant à sa compétence en premier et dernier ressort, est également compétent pour statuer sur une requête connexe à la précédente dont il est saisi, alors même que celle-ci ressortit normalement à la compétence en premier ressort d'un tribunal administratif. Dans un arrêt rendu le 14 mai 2007, le Conseil d'Etat précise que la solution du litige relatif à la légalité d'un permis de construire n'est pas nécessairement subordonnée à celle du litige portant sur la légalité de la déclaration d'utilité publique (CE, 9° et 10° s-s-r., 14 mai 2007, n° 294660, Syndicat mixte du parc naturel régional de la montagne de Reims N° Lexbase : A3897DWA ).
Il résulte des dispositions des articles R. 321-1 (N° Lexbase : L2976ALS) et R. 222-1 (N° Lexbase : L2818HWB) du Code de justice administrative, que, lorsqu'une cour administrative d'appel est saisie d'un recours dirigé contre un jugement d'un tribunal administratif statuant sur un recours en appréciation de légalité, son président doit transmettre sans délai le dossier au Conseil d'Etat, sauf irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance. En rejetant comme manifestement irrecevable la requête d'une commune présentée devant une cour administrative d'appel et tendant à l'annulation du jugement d'un tribunal administratif, au motif qu'elle avait été introduite devant une juridiction incompétente pour en connaître alors que la lettre de notification du jugement en question précisait les voies et délais de recours, le président de la première chambre de la cour administrative d'appel a donc commis une erreur de droit. En revanche, dans un arrêt du 22 février 2008 (CE 1° et 6° s-s-r., 22 février 2008, n° 301912, M. Fauson N° Lexbase : A3716D7R), la Haute juridiction administrative a indiqué que les présidents de cours administratives d'appel peuvent, par ordonnance, rejeter les requêtes pour défaut de production du jugement attaqué, sans avoir à en demander la régularisation préalable, lorsque l'obligation de cette formalité a été mentionnée dans la notification du jugement. Signalons, cependant, que le juge administratif ne peut rejeter par ordonnance une requête pour défaut de production de la décision attaquée, si le délai laissé à la partie concernée pour régulariser sa requête n'a pas été valablement respecté (CAA Douai, 1ère ch., 24 mai 2006, n° 05DA01517, M. Pierre Courmont N° Lexbase : A5603DQL).
B - Compétence et prérogatives des juridictions du fond
Dans un arrêt du 20 février 2008, le Conseil d'Etat rappelle que la mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat pour refus opposé à une demande de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice relève, selon l'article R. 222-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7154HZY), des litiges sur lesquels le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Dans cette affaire, une SCI avait obtenu la résiliation des baux qu'elle avait conclus avec deux personnes, et, d'autre part, l'expulsion des intéressés dans un délai de trois mois. N'ayant pas obtenu le concours de la force publique pour obtenir l'exécution de ces décisions de justice, elle demande l'indemnisation par l'Etat de ce préjudice. Il appartenait donc à la cour administrative d'appel de transmettre ces requêtes au Conseil d'Etat et non, comme elle l'a fait par l'ordonnance attaquée, de la rejeter comme manifestement irrecevable. Le tribunal administratif est, également, compétent en premier et dernier ressort concernant les litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires ou agents de l'Etat et des autres personnes ou collectivités publiques et les litiges en matière de pensions. Cependant, dans un arrêt du 2 avril 2008, le Conseil a indiqué que ce principe connaît une exception concernant les recours comportant des conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d'un montant supérieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 (N° Lexbase : L2820HWD) et R. 222-15 (N° Lexbase : L2804ALG) du code précité, à savoir, notamment, 10 000 euros.
Les tribunaux administratifs ne peuvent statuer par ordonnance en présence d'une série si le sens de la solution dépend d'une appréciation spécifique différente de la précédente décision passée en force de chose jugée, indique le Conseil d'Etat dans un arrêt du 20 février 2008. L'article R. 222-1 6° du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4210HBK) énonce que "les présidents de formation de jugement des tribunaux [...] peuvent, par ordonnance : [...] 6° Statuer sur les requêtes relevant d'une série, qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision passée en force de chose jugée [...]". En l'espèce, la cour administrative d'appel avait indiqué que la demande, dont le juge du tribunal administratif était saisi, soulevait le même moyen, tiré de l'absence de délivrance au conducteur, au moment de l'infraction, de l'information prévue par le Code de la route, que celui retenu par le tribunal dans un jugement passé en force de chose jugée, les faits de l'espèce conduisant à retenir une solution identique à celle de ce jugement. Pour la cour, il avait donc légalement fait application de son pouvoir de statuer par ordonnance en présence d'une série. La Haute juridiction administrative indique que, toutefois, si le présent litige présentait une question de droit identique à celle posée dans une précédente décision passée en force de chose jugée, le sens de la solution à y apporter dépendait d'une appréciation spécifique des données de fait propres à l'affaire. La cour administrative d'appel a donc commis une erreur de droit. Par ailleurs, dans un arrêt rendu le 6 juillet 2006, la cour administrative d'appel de Douai a énoncé qu'une ordonnance qui vise deux avis du Conseil d'Etat examinant séparément des questions distinctes et non pas une décision ou un avis tranchant ou examinant ensemble les questions identiques à celles que les requêtes qui ont été jointes présentaient à juger, ne permet aucunement de vérifier que le premier juge a statué sur une requête relevant d'une série.
II - Les voies de recours et les recours pour excès de pouvoir
A - Les voies de recours
1) Les délais de recours
L'Etat dispose de deux mois à compter de la notification au préfet de l'arrêt litigieux pour se pourvoir en cassation, a rappelé le Conseil d'Etat dans un arrêt du 19 mars 2008. Dans les faits rapportés, l'arrêt dont l'annulation est demandée a été notifié au préfet qui assurait la défense de l'Etat devant la cour administrative d'appel le 1er septembre 2006, avec copie au ministre des Transports, intéressé au litige. La Haute juridiction administrative rappelle qu'en application des dispositions de l'article R. 821-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3299ALR), l'Etat disposait de deux mois à compter de la notification au préfet pour se pourvoir en cassation. Ainsi, le pourvoi du ministre de l'Intérieur, également intéressé au litige, qui n'a été enregistré que le 20 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, est tardif et, par suite, irrecevable.
Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision, rappelle le Conseil d'Etat dans un arrêt du 11 avril 2008. En l'espèce, la décision attaquée a été portée à la connaissance de la requérante le 3 décembre 2003, date à laquelle elle l'a produite devant le tribunal. Le délai de recours contentieux a commencé à courir à l'encontre de Mme X, tiers par rapport à cette autorisation, au plus tard à compter de cette date. L'article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8421GQX) dispose que "sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée". Ainsi, les conclusions formées le 24 février 2004 à l'encontre de cette décision devant le tribunal administratif, soit au-delà du délai de recours de deux mois prévu par l'article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8421GQX), étaient tardives et donc irrecevables.
2) Formalisme de la procédure de recours
Le Conseil rappelle qu'aux termes du troisième alinéa de l'article R. 741-10 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3206ALC), "en cas de recours formé contre la décision devant une juridiction autre que celle qui a statué, le dossier de l'affaire lui est transmis". Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que le dossier de première instance demandé au tribunal administratif n'a pas été transmis à cette cour, ce dossier ayant été perdu. Or, la cour n'en a pas informé les parties, ni n'a invité celles-ci à produire des copies de leurs écritures de première instance. De plus, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond, rapproché des motifs de son arrêt, que cette irrégularité ait été sans influence sur le règlement du litige. L'intéressé est donc fondé à demander l'annulation de cet arrêt.
3) Procédure d'urgence
Dans un arrêt du 17 avril 2008, le Conseil a indiqué que, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), d'une demande tendant à ce qu'il prononce, à titre provisoire et conservatoire, la suspension d'une décision administrative, le juge des référés procède dans les plus brefs délais à une instruction succincte pour apprécier si les préjudices que l'exécution de cette décision pourrait entraîner sont suffisamment graves et immédiats pour caractériser une situation d'urgence, et si les moyens invoqués apparaissent, en l'état de cette instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Il se prononce par une ordonnance qui n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, et dont il peut lui-même modifier la portée, au vu d'un élément nouveau invoqué devant lui par toute personne intéressée. Eu égard à la nature de l'office ainsi attribué au juge des référés, la circonstance qu'un juge ait statué sur une première demande en référé ne fait pas, à elle seule, obstacle à ce que ce même juge statue en cette même qualité sur une deuxième demande en référé du même requérant, tendant à la suspension d'une décision ultérieure prise sur la même demande.
B - Les recours pour excès de pouvoir
Le Conseil d'Etat annule un décret auquel le Gouvernement avait souhaité donner un effet rétroactif, dans un arrêt rendu le 17 mars 2008. En l'espèce, la fédération requérante demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2006-1352 du 8 novembre 2006, relatif à l'attribution d'une prime de sujétions spéciales à certains personnels des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire (N° Lexbase : L1141HTG). Le décret attaqué a prévu en son article 6 que ses dispositions prendraient effet le 1er janvier 2006. Or, aucune disposition législative n'autorisait le Gouvernement à donner à ce décret un effet rétroactif. Il est donc entaché d'excès de pouvoir en tant qu'il comporte une date d'effet antérieure à celle de son entrée en vigueur résultant de sa publication au Journal officiel du 9 novembre 2006. Dans la seconde espèce, la Haute juridiction administrative indique que le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 (N° Lexbase : L1684HKL), en application duquel l'arrêté litigieux a été pris, n'a pas eu pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d'habiliter un ministre à prendre un arrêté à portée rétroactive. Certaines dispositions de l'arrêté attaqué sont, par suite, entachées d'illégalité, en tant qu'elles prévoient, pour son entrée en vigueur, une date antérieure à la date de sa publication.
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