Réf. : Cass. crim., 6 mai 2008, n° 06-82.366, Da Silva Stéphane, partie civile, FS-P+F (N° Lexbase : A7833D8M)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Même lorsqu'il est conclu dans les secteurs dans lesquels il est d'usage de ne pas recourir à un contrat de travail à durée indéterminée, le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir d'autre objet que de pourvoir à un emploi représentant, par nature, un caractère temporaire. |
Commentaire
I - Un contrat sous haute surveillance
Le contrat de travail à durée déterminée constitue une exception au contrat de travail à durée indéterminée, qui reste donc le principe. A ce titre, il ne peut y être recouru que dans les cas et aux conditions expressément prévues par le législateur.
Le principe veut que le contrat de travail à durée déterminée ne puisse être conclu pour pourvoir à un emploi durable de l'entreprise. L'article L. 1242-1 du Code du travail prévoit, à cet effet, que le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Le second alinéa de ce texte le complète et prévoit que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et, seulement, dans les cas prévus par l'article L. 1242-2 du Code du travail .
Le législateur énumère limitativement les hypothèses dans lesquelles il est possible de recourir au contrat de travail à durée déterminée (C. trav., art. L. 1242-2, art. L. 122-1-1, anc.). Ainsi, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour le remplacement d'un salarié absent ou dont le contrat est suspendu ; en cas d'accroissement temporaire d'activité ; pour les emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ; en remplacement d'un chef d'entreprise artisanale, industrielle ou commerciale ; ou, enfin, en remplacement d'un chef d'exploitation agricole. Un écrit contenant certaines prescriptions est, en outre, obligatoire.
Le recours au contrat de travail à durée déterminée en violation de ces dispositions est civilement (C. trav., art. L. 1245-1, art. 122-1, anc. et art. L. 1245-2, art. 122-1-1, anc.) et pénalement sanctionné .
Ce sont les articles L. 1248-1 et suivants du Code du travail (art. L. 152-1-4, anc.) qui prévoient les sanctions pénales risquées par l'employeur ayant recouru au contrat de travail à durée déterminée en dehors des cas limitativement prévus, sans terme précis, renouvelé plus d'une fois ou portant la durée totale au-delà du maximum, renouvelé sans que les conditions de renouvellement ait été précisées dans le contrat, sans écrit, pour pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise...
L'employeur contrevenant encourt, ainsi, une amende de 3 750 euros, portée à 7 500 euros en cas de récidive et/ou un emprisonnement de 6 mois.
C'est l'obligation, pour les juges, de rechercher si le ou les contrats de travail à durée déterminée d'usage étai(en)t destiné(s) à pourvoir à un emploi permanent de l'entreprise et de sanctionner l'employeur, le cas échéant, qu'affirme la Chambre criminelle de la Cour de cassation aux juges du fonds dans la décision commentée.
Dans cette espèce, plusieurs salariés avaient été recrutés par une entreprise de déménagement par plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs. A la suite d'un contrôle effectué par l'inspection du travail, le directeur avait été cité devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article L. 1245-2 du Code du travail (art. L. 152-1-4, anc.).
Les juges du second degré avaient reconnu l'employeur non coupable, considérant que l'activité de l'entreprise était l'une de celle pour lesquels il est d'usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée.
Si cette affirmation n'est pas contredite par la Haute juridiction, la décision est, néanmoins, cassée. La Cour reproche aux juges du fonds de ne pas avoir précisé en quoi ces contrats de travail présentaient un caractère temporaire, soulignant que ces derniers avaient relevé que les contrats conclus avec les divers salariés avaient pour objet de pourvoir durablement des emplois liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Au visa des articles L. 122-1 (art. 1245-1, recod.), L. 122-1-1 (art. L. 1245-2, recod.) et D. 121-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8259ADA, art. D. 1242-1, recod.), elle affirme que, même lorsqu'il est conclu dans l'un des secteurs d'activité visé par ces textes, au nombre desquels figure le déménagement, le contrat de travail à durée déterminée d'usage ne peut avoir d'autre objet que de pourvoir à un emploi présentant, par nature, un caractère temporaire.
Cette cassation doit être approuvée. Une solution différente, bien que conforme à la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, aurait été contraire au principe entourant la conclusion du contrat de travail à durée déterminée.
II - Une source d'inégalité
Comme nous l'avons dit, le recours au contrat de travail à durée déterminée d'usage n'est possible que dans certains secteurs d'activité où il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Ces secteurs sont définis par décret, par voie de convention ou d'accord collectif étendu.
Le contrat de travail à durée déterminée d'usage bénéficie d'un régime particulier. Il est, en effet, admis que, dans ces secteurs où il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI, plusieurs contrats successifs peuvent être conclus (C. trav., art. L. 122-3-19, alinéa 2 N° Lexbase : L2919AWZ, non repris dans le nouveau Code), ces contrats d'usage pouvant, en outre, être conclus pour une longue durée et n'étant pas soumis à la durée maximale de 18 mois (Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-43.101, Société Nice Matin c/ Mme Vaché Irjud N° Lexbase : A1155AAZ, Bull. civ. V, n° 336).
Depuis 2003, le contrat de travail à durée déterminée d'usage déroge, également, à l'impératif de nature temporaire de l'emploi pourvu. En effet, après avoir, pendant longtemps, considéré que le juge devait rechercher, pour le contrat de travail à durée déterminée d'usage, si l'emploi occupé par le salarié n'était pas lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la Chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement. Désormais, l'office du juge est seulement de rechercher si, pour l'emploi concerné, et sauf si une convention collective prévoit, en ce cas, le recours au contrat de travail à durée indéterminée, il est effectivement d'usage constant de ne pas recourir à un tel contrat (Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-44.263, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2401DA8 et les obs. de G. Auzero, Demande de requalification de contrats à durée déterminée d'usage : précisions quant à l'office du juge, Lexbase Hebdo n° 97 du 4 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9618AAH).
Exit donc, pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, la recherche du caractère temporaire de l'emploi concerné. C'est, précisément, cette recherche que la Chambre criminelle reproche aux juges du fonds de ne pas avoir effectuée.
Les difficultés, tant théoriques que pratiques, soulevées par cette divergence entre les deux chambres risquent d'être nombreuses. Cette divergence est, en outre, et surtout, source d'inégalité entre les salariés, selon que leur litige sera porté devant la Chambre sociale ou devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
La solution rendue par la Chambre criminelle semble, cependant, être celle qui répond le mieux, tant à la lettre qu'à l'esprit, des dispositions applicables au contrat de travail à durée déterminée.
L'article L. 1242-1 du Code du travail (art. L. 122-1, anc.) se situe en tête du chapitre II (Titre IV, Livre II, Partie I), relatif à la conclusion et l'exécution du contrat de travail à durée déterminée. Il figure dans une sous-section 1 (cas de recours) à la section 1 de ce chapitre, consacrée aux conditions de recours (au contrat de travail à durée déterminée).
Cette place emporte son application générale à toutes les hypothèses de recours au contrat de travail à durée déterminée énumérées par l'article L. 1242-2 du Code du travail (art. L. 122-1-1, anc.), qu'il s'agisse de remplacement, d'accroissement temporaire d'activité, de contrats saisonniers ou d'usage....
Son contenu ne vient, en outre, pas contredire cette affirmation, car aucune exception n'est prévue, que ce soit directement ou indirectement, par ce texte ou par une autre disposition applicable au contrat de travail à durée déterminée.
Les exceptions étant d'interprétation stricte, quel que soit le motif de recours au contrat de travail à durée déterminée, il faut donc impérativement qu'il soit conclu pour pourvoir à un emploi par nature temporaire et que la recherche du caractère temporaire de cet emploi soit effectuée par les juges du fonds.
Cette position se trouve corroborée par la nouvelle rédaction de l'article L. 122-1-1 du Code du travail. L'article L. 1242-2 modifie, en effet, quelque peu la rédaction antérieure de l'article L. 122-1-1.
Avant d'énumérer les cas de recours autorisés au contrat de travail à durée déterminée, le législateur rappelle le caractère impératif du caractère temporaire de l'emploi. L'article L. 1242-2 du Code du travail dispose, désormais, que, "un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas suivants", vient, ensuite, l'énumération.
Les choses sont donc, désormais, claires et sans appel, le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, doit être conclu pour pourvoir à un emploi par nature temporaire. Il reste à attendre la décision de la Chambre sociale, laquelle, vu la rédaction nouvellement adoptée, n'aura que peu de marge de manoeuvre en la matière, et ne pourra que se rallier à la position de la Chambre criminelle.
Décision
Cass. crim., 6 mai 2008, n° 06-82.366, Da Silva Stéphane, partie civile, FS-P+F (N° Lexbase : A7833D8M) Cassation de CA Riom, 1er mars 2006 Mots clefs : contrat de travail à durée déterminée ; contrat d'usage ; secteurs visés ; emploi temporaire ; obligation pour le juge de rechercher si l'emploi est par nature temporaire. Liens Base : et |
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