La lettre juridique n°308 du 12 juin 2008 : Éditorial

Pour une mise en concurrence... mais pas à n'importe quel prix !

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Pour une mise en concurrence... mais pas à n'importe quel prix !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210219-pour-une-mise-en-concurrence-mais-pas-a-nimporte-quel-prix
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de publication

le 27 Mars 2014


A (re)lire Montesquieu, "c'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et qui établit les vrais rapports entre elles". Pourtant, en matière de commande publique, rien n'est moins certain que ce trait tiré De l'esprit des lois. En effet, l'article 55 du Code des marchés publics, suivant en cela la Directive 2004/18 du 31 mars 2004, permet d'écarter les offres présentant un prix anormalement bas. Ainsi, une offre anormalement basse ou "OAB" -pour les initiés- porterait en germe une suspicion à son endroit, soit que la prestation ne serait pas à la hauteur du cahier des charges imposé, soit que les matériaux employés ne répondraient pas aux normes techniques garantissant un maximum de sécurité, etc..

Et l'on peut, dès lors, se féliciter de la jurisprudence française, éclairée par la Cour du Luxembourg, qui impose au pouvoir adjudicateur un débat contradictoire avec le candidat présentant une offre a priori anormalement basse, afin que ce dernier puisse expliquer les raisons ou les motivations qui l'ont conduit à proposer une offre à un prix manifestement en deçà de ce que l'administration considère comme "normal". Malheureusement, aussi louable que soit l'intention du pouvoir adjudicateur français et du juge administratif d'instaurer ce dialogue avec le candidat soupçonné de pratiquer "un prix trop bas" (sic) pour le marché en cause, il n'en demeure pas moins que ce débat ne prévaut qu'à l'encontre de certains candidats, et non de tous, victimes d'un a priori qui se manifeste par rapport à une "normalité" établie, le plus souvent, avec toute la froideur mathématique du monde et qui n'appréhende certainement pas l'entièreté du marché.

C'est à cette difficulté que la Cour de justice des Communautés européennes a, récemment, tenté de répondre en excluant, par principe, toute discrimination à l'encontre des offres dites anormalement basses, lorsqu'il y va d'un intérêt transfrontalier certain. La Cour formule, comme de coutume en matière juridique, immédiatement un tempérament à cette règle, lorsque le nombre d'offres est tel qu'il est impossible au pouvoir adjudicateur de toutes les analyser. Pour autant, contradiction de cette contrariété au principe : comment déterminer, en dehors du simple critère de prix, qu'une offre est anormalement basse, sans l'examiner ?

Toujours est-il que l'exclusion ne peut être de rigueur en matière communautaire, notamment, si l'on veut promouvoir le commerce transfrontalier et ouvrir la commande publique à toutes les entreprises de l'Union. Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, tout en analysant la portée de cette extension du champ d'application du droit communautaire des marchés publics, ne manque pas, cette semaine, dans nos colonnes, de relever les ambiguïtés de cette décision, notamment quant aux notions employées.

"Détruire la concurrence, c'est tuer l'intelligence" écrivait Frédéric Bastiat. Mais si, au contraire, limiter un peu la concurrence, c'était préserver un certain modèle économique qui nourrit, par essence, "l'intelligence" d'un pays (une sorte de patriotisme économique qui porterait mal son nom et devrait s'appeler patriotisme social) ? Plus précisément, on sait que le problème central de l'offre anormalement basse ne réside pas tant dans les matériaux utilisés ou les garanties de la prestation servie, qui peuvent être examinés de manière objective, que dans les conditions sociales mises en oeuvre. A l'évidence, l'ouverture transfrontalière de la commande publique interroge sur le dumping social et l'acceptation d'une offre.

"Le désert n'ayant pas donné de concurrent au sable, grande est la paix du désert" écrivait Henri Michaux, dans Face aux verrous. La Cour du Luxembourg façonne alors, encore un peu plus, le droit des marchés publics, pour ouvrir une concurrence face au sable qui, en matière de commande publique, s'avère, après deux réformes en moins de quatre ans et une foison de décisions jurisprudentielles notamment communautaires, plus que mouvant...

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