Réf. : Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-40.904, Comité d'entreprise de la société par actions simplifiée Goodrich Actuation Systems, FS-P+B (N° Lexbase : A7921D8U)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
La vente d'un fonds de commerce ne transmet pas au cessionnaire les dettes du cédant et, si le comité mis en place dans le cadre d'un établissement cédé demeure en fonction, il n'en résulte pas que l'employeur est tenu des dettes du cédant. |
Commentaire
I Transfert d'établissement et maintien du comité d'établissement
Le transfert d'une entreprise ou d'un établissement a, nécessairement, des incidences sur les institutions représentatives du personnel (1). Tout d'abord, et à l'évidence, les salariés investis d'un mandat vont être concernés par le maintien des contrats de travail. Ensuite, et surtout, le transfert va avoir des répercussions sur la structuration même de la représentation du personnel, en affectant ses cadres d'implantation. La question est, par suite, de savoir si le transfert d'une entreprise ou d'un établissement entraîne la disparition des institutions représentatives du personnel ou, au contraire, n'interdit pas leur survie.
Ainsi que cela a été relevé, il convient de discerner deux réalités différentes. En effet, "dans le cas des délégués du personnel, des délégués syndicaux et assimilés, l'institution fusionne avec la personne du représentant. La continuation de l'institution se confond, alors, avec celle du mandat. Lorsque, au contraire, l'institution représentative prend la forme juridique d'une personne morale [...] son existence ne s'épuise pas dans celle de ses membres" (2). Cette distinction se retrouve dans les textes du Code du travail, qui visent à régler les conséquences du transfert d'une entreprise ou d'un établissement sur les institutions représentatives du personnel.
S'agissant, tout d'abord, de la pérennité des mandats, elle est assurée en des termes similaires par les articles L. 2143-10 , L. 2314-28 (N° Lexbase : L6336ACN, art. L. 423-16, anc. N° Lexbase : L7794HBB) et L. 2324-26 du Code du travail, qui intéressent respectivement les délégués syndicaux, les délégués du personnel et les représentants élus des salariés au comité d'entreprise. Dans tous les cas, le mandat des représentants du personnel subsiste lorsque l'entreprise transférée "conserve son autonomie juridique". On sait que la Cour de cassation a écarté l'exigence d'autonomie juridique pour considérer que le maintien d'une autonomie simplement matérielle suffit à entraîner l'application des textes précités (3).
Pour ce qui est du maintien des institutions représentatives elles-mêmes, il est uniquement envisagé par l'article L. 2327-11 du Code du travail . Selon l'alinéa 1er de ce texte, "en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur prévue à l'article L. 1224-1 , le comité central d'entreprise de l'entreprise absorbée demeure en fonctions si l'entreprise conserve son autonomie juridique". La loi n'a, ainsi, envisagé que le cas où l'entreprise cédée possède un comité central d'entreprise. Il ne fait, cependant, aucun doute que la disposition en cause s'applique lorsque l'entreprise ne compte qu'un comité d'entreprise : celui-ci demeure en fonctions si la société absorbée conserve son autonomie. Ainsi que le relève M. Cohen, "cette solution est implicite dans l'article L. 433-14 (N° Lexbase : L6433ACA, art. L. 2324-26, recod. N° Lexbase : L0816HXI), qui prévoit que, dans ce cas, le mandat des membres du comité d'entreprise subsiste" (4).
Dans l'arrêt sous examen, était en cause la cession d'un fonds de commerce (5) comportant un comité d'établissement. Bien que la question de sa pérennité postérieurement à la cession n'était pas contestée en l'espèce, la Chambre sociale n'en précise pas moins que, selon l'article L. 2327-11 du Code du travail (art. L. 435-5, anc.), le comité mis en place dans le cadre d'un établissement cédé demeure en fonction. Il faut, ainsi, comprendre que cette disposition ne doit pas être prise au pied de la lettre et que la solution qu'elle énonce vaut pour le comité d'entreprise ou le comité d'établissement et non point, seulement, pour le comité central d'entreprise (6).
En résumé, lorsqu'un établissement distinct est cédé et qu'il conserve son autonomie "juridique" (7), le comité d'établissement doit être maintenu. Il en résulte, au premier chef, que le comité conserve l'intégralité de son patrimoine. Pour autant, et c'est l'enseignement majeur de l'arrêt sous examen, cela n'a pas pour effet de transférer au nouvel employeur les dettes de l'ancien.
II Transfert d'établissement et dettes de l'ancien employeur à l'égard du comité d'établissement
Au cours de l'année 2002, la société G. a acquis de la société T. un fonds de commerce situé à Vernon Saint-Marcel. En novembre 2003, le comité d'entreprise de la société cessionnaire a assigné cette dernière devant le tribunal de grande instance aux fins, notamment, de voir ordonner la remise sous astreinte de documents établis depuis 1982 et relatifs à la masse salariale de cet établissement, aux moyens matériels et en personnels mis à la disposition de ce comité d'établissement, ainsi que le versement d'une provision au titre de la subvention de fonctionnement due pour les années 1982 à 1999. Le comité d'entreprise requérant contestait, en effet, que la société cédante se soit, avant l'année 1999, régulièrement acquittée de son obligation de verser une subvention de fonctionnement au comité d'établissement de Vernon Saint-Marcel.
Pour dire recevable l'action du comité d'entreprise dirigée contre la société G., l'arrêt attaqué avait retenu que le comité d'établissement de Vernon Saint-Marcel, étant demeuré en fonction par application de l'article L. 435-5 du Code du travail (art. L. 2327-11, recod.), il était fondé à demander au nouvel employeur le paiement de la subvention de fonctionnement à laquelle il prétendait avoir droit au titre d'années antérieures à l'acquisition du fonds de commerce.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 141-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5670AIT) et L. 435-5 du Code du travail, devenu l'article L. 2327-11 du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "selon le premier de ces textes, la vente d'un fonds de commerce ne transmet pas au cessionnaire les dettes du cédant, et [...] si, selon le second, le comité mis en place dans le cadre d'un établissement cédé demeure en fonction, il n'en résulte pas que le nouvel employeur est tenu des dettes de l'ancien".
En vertu de l'article L. 2325-43 du Code du travail, alinéa 1er, du Code du travail "l'employeur verse au comité d'entreprise une subvention de fonctionnement d'un montant annuel équivalent à 0,2 % de la masse salariale brute". Lorsque l'entreprise comporte des établissements multiples, la subvention de fonctionnement doit être versée à chaque comité d'établissement (8).
Il ressort clairement du texte précité, que c'est "l'employeur" qui est débiteur de la subvention de fonctionnement. Cela étant, est-il possible de considérer que, lorsque le comité d'établissement reste créancier de sommes au titre de la subvention de fonctionnement au moment du transfert, il peut en exiger le versement auprès du nouvel employeur ? Le Code du travail n'apporte aucune réponse de ce point de vue, à la différence de ce qui est prévu à propos du maintien des contrats de travail. L'alinéa 1er de l'article L. 1224-2 précise, en effet, que "le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification".
Faute de dispositions précises dans le Code du travail, ne peut-on déduire de la règle du maintien des institutions représentatives du personnel en cas de transfert d'entreprise que le nouvel employeur est tenu des dettes de l'ancien à l'égard du comité d'établissement ? Cela aurait pu être discuté si certaines règles solidement ancrées dans notre droit positif ne s'y étaient pas radicalement opposées.
De prime abord, on peut être surpris que la Cour de cassation fonde sa solution sur l'article L. 141-5 du Code de commerce, qui concerne le privilège du vendeur de fonds de commerce. En réalité, c'est moins ce texte dans son ensemble qui est, ici, en cause que son alinéa 2, qui fournit quelques indications sur la composition du fonds de commerce. Or, l'énumération en cause ne comprend nullement les dettes du vendeur.
Plus fondamentalement, et au-delà de ce seul argument de texte, il est classiquement enseigné que le fonds de commerce n'a pas, au même titre que l'entreprise, la personnalité morale (9). Il s'en déduit que "le fonds de commerce est inclus dans le patrimoine de son propriétaire qui est seul titulaire des créances et des dettes se rapportant à l'exploitation du fonds" (10).
Le fonds de commerce ne comprend donc pas les créances et les dettes qui demeurent personnelles à l'exploitant. "En cas de transmission du fonds, il n'y a pas de transmission automatique des créances ni, a fortiori, des dettes de l'exploitation" (11). Appliqués au cas qui nous intéresse, ces principes de solution conduisent à affirmer que la solution retenue par la Cour de cassation est parfaitement justifiée. Les dettes du cédant à l'égard du comité d'établissement ne sauraient être transférées au cessionnaire du seul fait de la vente du fonds de commerce (12). Pour qu'il en aille ainsi, il faudrait qu'un texte légal le prévoie de manière expresse (13) ou que les parties au contrat de vente le stipulent (14).
Le nouvel employeur ne pouvait donc être tenu des dettes de l'ancien à l'égard du comité d'établissement. Cela étant, ce dernier reste en mesure d'agir contre le vendeur du fonds de commerce pour exiger le versement de ce qui lui était dû au titre de la subvention de fonctionnement. A notre sens, cependant, devrait s'appliquer, en la matière, la prescription quinquennale. En effet, tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts se prescrit par cinq ans (C. civ., art. 2277 N° Lexbase : L5385G7L) (15). Or, tel est le cas de la subvention de fonctionnement, qui est annuelle. Elle doit donc, normalement, être versée une fois par an en début d'année, même s'il est admis que l'employeur peut effectuer plusieurs versements étalés dans le temps.
(1) V., P.-Y. Verkindt, L'incidence des transferts d'entreprise sur les instances de représentation du personnel, Dr. soc., 2005, p. 752.
(2) P.-Y. Verkindt, ibid..
(3) Cass. soc., 28 juin 1995, n° 94-40.362, Mme Garnier c/ Office du tourisme de Grenoble (N° Lexbase : A2135AAC), Bull. civ. V, n° 219.
(4) M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 8ème éd., 2005, p. 755.
(5) Fonds de commerce qui, nous y reviendrons, ne possède pas la personnalité juridique.
(6) Remarquons que, dans un arrêt rendu le 30 novembre 2004, sous le visa des articles L. 432-9 (L. 2323-86), R. 432-11 (R. 2323-34, nouv.) et L. 433-14 (L. 2327-11, nouv.), la Cour de cassation avait déjà affirmé que "le mandat des membres élus du comité d'entreprise et des représentants syndicaux audit comité subsistent lorsque l'entreprise conserve son autonomie ; qu'il en résulte que l'institution se maintien dans la nouvelle entreprise, même si elle change de dénomination" (Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 02-13.837, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0943DEN, JCP éd. E, 2005, n° 319, note S. Béal et les obs. de C. Alour, La scission d'entreprise et le sort de la contribution aux activités sociales et culturelles, Lexbase Hebdo n° 146 du 8 décembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3842ABW).
(7) C'est-à-dire lorsque l'établissement conserve son caractère distinct.
(8) Cass. crim., 11 février 2003, n° 01-88.650, Dufau Bernard, FS-P+F (N° Lexbase : A0019A7T) et nos obs., La subvention de fonctionnement dans les entreprises à établissements multiples, Lexbase Hebdo n° 276 du 11 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6086BCE).
(9) V., notamment, F. Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, Droit commercial, Activités commerciales, commerçants, fonds de commerce, concurrence, consommation, Domat Montchrestien, 9ème éd., 2007, § 302 et s. Ces auteurs évoquent la notion "d'universalité de fait" pour qualifier le fonds de commerce.
(10) F. Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, ouvrage préc., § 302. Ceci est vrai, que le propriétaire soit une personne physique ou une personne morale.
(11) F. Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, op. cit., § 303.
(12) Un arrêt de la cour d'appel de Paris a parfaitement résumé les solutions du droit positif : "il est de principe constant que le fonds de commerce n'est pas un patrimoine autonome, et ne comprend ni les dettes ni les créances du commerçant ; par voie de conséquence, les contrats en sont exclus ; il n'est d'exception que pour certains d'entre eux admis par la loi à savoir les contrats de travail, d'assurance, d'édition et de bail ; pour tous les autres, il appartient aux parties de prévoir leur inclusion, ce qui peut être fait, de manière expresse ou tacite, et dans les cas, seulement, ou lesdits contrats n'ont pas été passés intuitu personae" (CA Paris, 5ème ch., sect. A, 19 juin 1991, n° 13741/89, SCP Bollet Baskal c/ Maitre Ribaut [LXB= A9623A7K], RTD com., 1991, p. 566, obs. J. Derruppé ; D., 1992, somm., p. 388, obs. D. Ferrier).
(13) Tel est le cas, nous l'avons vu, en matière de maintien des contrats de travail. Il en va, également, ainsi, pour les contrats d'assurance.
(14) Il conviendrait, alors, de se demander si, conformément au droit commun, il faut que le comité d'établissement accepte le remplacement du cédant par le cessionnaire. Cette question doit être posée dans la mesure où il ne s'agit pas, ici, de céder un contrat.
(15) V., en ce sens, M. Cohen, ouvrage préc., p. 831. L'auteur évoque cette question à propos de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles. Toutefois, il affirme, par ailleurs (p. 441), que l'action en paiement obéit aux mêmes règles que la contribution aux activités sociales et culturelles.
Décision
Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-40.904, Comité d'entreprise de la société par actions simplifiée Goodrich Actuation Systems, FS-P+B (N° Lexbase : A7921D8U) Cassation de CA Rouen, 28 juin 2006, n° 04/05250, Comité d'entreprise de la SAS Goodrich Actuation Systems (N° Lexbase : A8881D8G) Textes visés : C. com., art. L. 141-5 (N° Lexbase : L5670AIT) et C. trav., art. L. 435-5 (N° Lexbase : L6450ACU, art. L. 2327-11, recod. N° Lexbase : L0876HXQ) Mots-clefs : comité d'établissement ; subvention de fonctionnement ; cession de fonds de commerce ; dettes de l'ancien employeur ; transmission au cessionnaire. Lien base : |
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