La lettre juridique n°296 du 13 mars 2008 : Entreprises en difficulté

[Focus] Un tribunal peut-il adopter un plan de sauvegarde emportant, sur le vote des comités de créanciers, obligation pour un banquier d'octroyer un nouveau concours pendant l'exécution du plan de sauvegarde ?

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N3807BEQ

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par Pierre-Michel Le Corre, Praticien des procédures collectives, Formateur-consultant, Professeur agrégé des facultés de droit

le 07 Octobre 2010

La consultation des créanciers, préparatoire à l'adoption d'un plan de sauvegarde, peut intervenir de deux façons : par le biais de la procédure classique, telle qu'elle est pratiquée dans le cadre de la préparation des plans de continuation, sous l'empire de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L7852AGW), et par le biais de la procédure des comités de créanciers, nouveauté de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT), constituant une sorte de retour aux sources, par référence aux assemblées concordataires, telles qu'on les connaissait dans le Code de commerce, puis dans la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8). Dans le schéma classique, c'est-à-dire, en dehors des comités de créanciers, la procédure de consultation des créanciers est régie par les articles L. 626-5 ([LXB=L4105HBN ]) à L. 626-7 du Code de commerce.

Selon l'article L. 626-5 du Code de commerce, "les propositions pour le règlement des dettes sont, au fur et à mesure de leur élaboration et sous surveillance du juge-commissaire, communiquées par l'administrateur au mandataire judiciaire, aux contrôleurs ainsi qu'au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel. Le mandataire judiciaire recueille, individuellement ou collectivement, l'accord de chaque créancier qui a déclaré sa créance, conformément à l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3744HBB), sur les délais et remises qui lui sont proposés. En cas de consultation par écrit, le défaut de réponse, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire, vaut acceptation. Ces dispositions sont applicables aux institutions visées à l'article L. 143-11-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5768ACM) pour les sommes mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 622-24, même si leurs créances ne sont pas encore déclarées".

L'article L. 626-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4106HBP) s'intéresse à la consultation des créanciers publics. Selon cette disposition, "les administrations financières, les organismes de sécurité sociale, les institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 351-3 (N° Lexbase : L2788DCA) et suivants du Code du travail et les institutions régies par le livre IX du Code de la Sécurité sociale peuvent accepter, concomitamment à l'effort consenti par d'autres créanciers, de remettre tout ou partie de ses dettes au débiteur dans des conditions similaires à celles que lui octroierait, dans des conditions normales de marché, un opérateur économique privé placé dans la même situation.
Dans ce cadre, les administrations financières peuvent remettre l'ensemble des impôts directs perçus au profit de l'Etat et des collectivités territoriales, ainsi que des produits divers du budget de l'Etat dus par le débiteur. S'agissant des impôts indirects perçus au profit de l'Etat et des collectivités territoriales, seuls les intérêts de retard, majorations, pénalités ou amendes peuvent faire l'objet d'une remise.
Les conditions de la remise de la dette sont fixées par décret en Conseil d'Etat .
Les créanciers visés au premier alinéa peuvent également décider des cessions de rang de privilège ou d'hypothèque ou de l'abandon de ces sûretés".

Enfin, l'article L. 626-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L4107HBQ) prévoit que "le mandataire judiciaire dresse un état des réponses faites par les créanciers. Cet état est adressé au débiteur et à l'administrateur en vue de l'établissement de son rapport, ainsi qu'aux contrôleurs".

Ainsi, on le voit, les articles L. 626-5 à L. 626-7 du Code de commerce s'intéressent à la consultation des créanciers. Cette consultation porte, énonce l'article L. 626-5, alinéa 1er, de ce code, sur "les propositions pour le règlement des dettes".

A côté de cette consultation individuelle, la loi de sauvegarde envisage la consultation obligatoire au-delà de certains seuils, facultative en deçà, de comités de créanciers.

L'alinéa 1er de l'article L. 626-30 du Code de commerce (N° Lexbase : L4079HBP) prévoit que "les établissements de crédit et les principaux fournisseurs de biens ou de services sont réunis en deux comités de créanciers par l'administrateur judiciaire, dans un délai de trente jours à compter du jugement d'ouverture de la procédure". Ces comités sont donc, énonce le texte, des comités de créanciers. Si l'on n'est pas créancier, on ne peut être membre d'un comité.

Par construction, la qualité de créancier ne peut qu'être antérieure au jugement d'ouverture, dans la mesure où les comités doivent être constitués dans les trente jours de l'ouverture de la procédure, sans qu'il soit attaché de sanction à la constitution de comités au-delà de ce délai, dès lors, du moins, précise l'article L. 626-30, alinéa 2, du Code de commerce, que le débiteur aura présenté à ces comités, dans un délai de deux mois à partir de leur constitution, renouvelable une fois par le juge-commissaire à la demande du débiteur ou de l'administrateur, des propositions en vue d'élaborer le projet de plan mentionné à l'article L. 626-2 de ce code (N° Lexbase : L4102HBK). Il ne semble pas y avoir de conséquence lorsque le délai butoir de trois mois pour présenter les propositions aux créanciers, à compter du jugement d'ouverture, aura été respecté. L'intérêt à agir d'un créancier, relevant le dépassement du délai d'un mois pour la constitution des comités, ne semble pas exister, dès lors que le délai butoir de trois mois n'aura pas été dépassé.

Il importe de remarquer que l'article R. 626-56 du Code de commerce ([LXB=L0979HZB ]) (anct D. 28 décembre 2005, art. 165 N° Lexbase : L3297HET) indique que "pour déterminer la composition du comité des principaux fournisseurs, est pris en compte le montant des créances hors taxes existant à la date du jugement d'ouverture". Ainsi, on le voit, seuls des créanciers antérieurs peuvent être membres des comités de créanciers.

A ce stade, il est, donc, évident que la consultation de ces créanciers antérieurs, membres des comités, ne peut porter que sur leurs créances antérieures. Si la consultation pouvait porter sur autre chose, il n'y aurait pas eu besoin de prévoir que les comités soient composés de créanciers.

Le rapprochement avec les textes régissant la recherche de l'accord de conciliation est, à cet égard, éclairant. Il résulte, en effet, de l'article L. 611-7, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L4111HBU) que "le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise".

La référence aux "contractants habituels" résulte d'une intervention de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Cette dernière a prévu que le conciliateur pouvait, également, rechercher un accord avec les cocontractants habituels de l'entreprise, alors même que ces cocontractants, au moment de la conclusion de l'accord, ne seront pas créanciers (1). Il s'agit, plus précisément, de tenir compte de l'hypothèse où les cocontractants ne sont créanciers qu'à terme, leurs créances n'étant pas encore exigibles au jour de la négociation. L'association des cocontractants habituels de l'entreprise à l'accord de conciliation permettra d'obtenir, de leur part, des délais de paiement plus longs que ceux accordés jusqu'alors. A, aussi, été évoquée la possibilité pour un franchiseur de diminuer le montant de la redevance prélevée sur le chiffre d'affaires de son franchisé (2).

Pareille précision n'existe pas dans le cadre de l'élaboration du plan de sauvegarde et, plus spécialement, de la consultation des comités de créanciers. Il importe, donc, de s'en tenir aux textes et de réserver strictement la consultation des créanciers membres des comités à la question du règlement des dettes.

D'autres textes permettent de se convaincre de la solution.

Il en est d'abord ainsi de l'article L. 626-30, alinéa 4, du Code de commerce. Selon cette disposition, "le projet de plan adopté par les comités n'est soumis ni aux dispositions de l'article L. 626-12 (N° Lexbase : L4061HBZ), ni à celles des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 626-18 (N° Lexbase : L4067HBA). Les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne peuvent pas être membres du comité des principaux fournisseurs".

L'article L. 626-12 du code dispose que "sans préjudice de l'application des dispositions de l'article L. 626-18, la durée du plan est fixée par le tribunal. Elle ne peut excéder dix ans. Lorsque le débiteur est un agriculteur, elle ne peut excéder quinze ans".

L'article L. 626-18 du code, pour sa part, prévoit que "le tribunal donne acte des délais et remises acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 626-5 et à l'article L. 626-6. Ces délais et remises peuvent, le cas échéant, être réduits par le tribunal. Pour les autres créanciers, le tribunal impose des délais uniformes de paiement, sous réserve, en ce qui concerne les créances à terme, des délais supérieurs stipulés par les parties avant l'ouverture de la procédure qui peuvent excéder la durée du plan.
Le premier paiement ne peut intervenir au-delà d'un délai d'un an.
Au-delà de la deuxième année, le montant de chacune des annuités prévues par le plan ne peut, sauf dans le cas d'une exploitation agricole, être inférieur à 5 % du passif admis.
Pour les contrats de crédit-bail, ces délais prennent fin si, avant leur expiration, le crédit preneur lève l'option d'achat. Celle-ci ne peut être levée si, sous déduction des remises acceptées, l'intégralité des sommes dues en vertu du contrat n'a pas été réglée".

Il faut comprendre que, lorsque le plan de sauvegarde est adopté, après vote favorable des comités de créanciers, le tribunal ne peut réduire les délais et remises acceptés par les créanciers. Le premier paiement peut intervenir bien après la date anniversaire du plan. La progressivité instituée pour le paiement des dividendes du plan, en prévoyant l'obligation à partir de la troisième année (au-delà de la deuxième) de payer au moins 5 % du passif, est écartée.

L'article L. 626-30, alinéa 4, du Code de commerce mérite, assurément, une interprétation stricte, en ce qu'il prévoit, dans l'hypothèse de l'adoption d'un plan de sauvegarde, après vote favorable des comités de créanciers, la mise à l'écart de certaines règles de droit commun de l'adoption d'un plan de sauvegarde. Lorsqu'il n'est pas question de ces règles particulières, écartées par le jeu de l'article L. 626-30, alinéa 4, du Code de commerce, le droit commun de la consultation des créanciers préparatoires à l'adoption d'un plan de sauvegarde doit être respecté. Or, force est de constater que le périmètre de la consultation des créanciers n'est pas différent, selon que l'adoption du plan intervient avec ou sans vote des comités de créanciers. Cette consultation a, donc, exactement le même périmètre. L'interprétation a contrario s'impose, ici, avec évidence. Dès lors qu'il n'est pas question de raisonner sur ces textes d'exception, le droit commun s'applique. Le droit commun, en la matière, est celui de l'adoption du plan de sauvegarde sans comités de créanciers.

Un autre texte permet de conforter l'analyse. Il s'agit de l'article L. 626-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L4083HBT), qui apparaît de première importance. Selon cet article, "lorsque l'un ou l'autre des comités ne s'est pas prononcé sur un projet de plan dans les délais fixés, qu'il a refusé les propositions qui lui sont faites par le débiteur ou que le tribunal n'a pas arrêté le plan en application de l'article L. 626-31 (N° Lexbase : L4080HBQ), la procédure est reprise pour préparer un plan dans les conditions prévues aux articles L. 626-5 à L. 626-7 afin qu'il soit arrêté selon les dispositions des articles L. 626-12 et L. 626-18 à L. 626-20 (N° Lexbase : L4069HBC). La procédure est reprise suivant les mêmes modalités, lorsque le débiteur n'a pas présenté ses propositions de plan aux comités dans les délais fixés". Ainsi, lorsque le plan n'est pas adopté avec vote des comités de créanciers, il faut appliquer les articles L. 626-5 à L. 626-7 du Code de commerce pour permettre, néanmoins, l'adoption du plan.

Il faut, donc, comprendre que, lorsque le plan n'a pas été adopté par le biais des comités de créanciers, la consultation des comités est remplacée par la consultation individuelle de ces créanciers. La portée de la consultation est exactement la même : il s'agit, fondamentalement, de déterminer la position des créanciers antérieurs sur le règlement des dettes.

Sans doute, il n'est pas exclu, en marge de la constatation individuelle des créanciers sur le règlement des dettes, de solliciter certains d'entre eux sur des points précis, et, notamment, sur le maintien des concours bancaires pendant l'exécution du plan ou l'octroi, par certains, de nouveaux concours. Mais cette demande, qui sera, ensuite, retranscrite dans le plan, ne participe pas de la consultation des créanciers. Cela est tellement vrai, que ce n'est pas en tant que créancier que la demande de fourniture d'un concours est présentée à un établissement de crédit. Ce dernier peut être un partenaire du débiteur, dès avant le jugement d'ouverture, mais ne peut pas être créancier à cette date. Il en est ainsi si aucun prêt n'a été consenti, si la ligne de crédit autorisé n'a pas été utilisée et si le fonctionnement du compte courant de l'entreprise n'a pas généré, au jour du jugement d'ouverture, du débit. Le banquier pourra, néanmoins, être interrogé pour savoir s'il entend fournir un nouveau concours, par exemple, en augmentant une ligne de crédit. Il y a, ici, déconnexion complète de la qualité de créancier avec celle de personnes auxquelles il est demandé de prendre un engagement dans le plan.

Cette association de personnes, qui ne sont pas nécessairement des créanciers et qui, en tout cas, ne sont pas, ici, considérées en cette qualité, est prévue par le Code de commerce. Il s'agit des personnes tenues d'exécuter le plan.

L'article L. 626-10, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L4059HBX) oblige le tribunal à déterminer les personnes tenues d'exécuter le plan. Cette détermination est obligatoire.

Il y a, d'abord, les associés de la personne morale qui se seront engagés à faire des apports en compte courant ou à participer à une augmentation de capital. Il y a, également, les nouveaux associés, lorsqu'une partie des parts ou actions du débiteur, personne morale, a été acquise par des tiers. La disposition ici analysée envisage, d'ailleurs, explicitement la situation. Le candidat repreneur des actions, qui s'engage à apporter de l'"argent frais", pourra être condamné par le tribunal en cas d'inexécution (3).

La seconde catégorie de personnes est constituée de cocontractants qui ont pris des engagements particuliers dans le plan.

A ce stade, il importe de préciser que le plan de sauvegarde n'exerce aucune incidence sur la continuation des contrats en cours. Cela signifie, en conséquence, qu'un contrat résilié en période d'observation le restera. Inversement, un contrat continué en période d'observation ne sera pas résilié du seul fait de l'intervention du plan. En réalité, le débiteur étant redevenu in bonis, le droit commun retrouve son empire.

Il faut, cependant, réserver l'hypothèse où le cocontractant se serait engagé, dans le cadre du plan, à maintenir ses relations contractuelles. Il en est spécialement ainsi des contrats de banque. L'incidence de l'engagement du banquier doit être exactement mesurée. En s'engageant sur la durée du plan, il a pris un engagement à durée déterminée, alors qu'éventuellement, il était lié au débiteur dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Cela a une incidence sur ses possibilités de rupture des concours. Le banquier ne peut plus utiliser l'article L. 313-12, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2974G9Z) (anct loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, art. 60, al. 1er N° Lexbase : L7223AGM), qui prévoit la résiliation des concours à durée indéterminée, après respect d'un préavis (4). Il ne pourra se dégager, en phase d'exécution du plan, que par le recours à l'alinéa 2 de l'article L. 313-12 de ce code (anct loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, art. 60, al. 2). Il devra, donc, prouver, soit l'existence d'un comportement gravement répréhensible du débiteur, soit la situation irrémédiablement compromise de l'entreprise. Il ne pourra, évidemment, en être ainsi au lendemain de l'arrêté du plan, la notion de situation irrémédiablement compromise s'entendant de la situation d'une entreprise vouée à la liquidation judiciaire. En revanche, en cours d'exécution du plan, si la résolution du plan est proche, il pourra soutenir qu'il y a situation irrémédiablement compromise. On sait, en effet, que la résolution du plan conduira au prononcé de la liquidation judiciaire. Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, il faudra, cependant, que la résolution du plan s'accompagne de l'état de cessation des paiements du débiteur (C. com., art. L. 626-27-I, al. 2 N° Lexbase : L4076HBL).

Mais il faut bien, ici, comprendre que ces personnes tenues d'exécuter le plan ont souscrit des engagements précis, en en acceptant le principe. En effet, l'article L. 626-10, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que "les personnes qui exécuteront le plan, même à titre d'associé, ne peuvent se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation".

Il a été jugé, à cet égard, que le fait pour le tribunal d'imposer au débiteur des charges non souscrites est constitutif d'une faute du service public de la justice qui peut être indemnisée. L'action dirigée contre l'agent judiciaire du Trésor se prescrit par quatre ans à compter du fait dommageable, qui est la décision de justice augmentative des charges souscrites (5).

Le vote des comités de créanciers présente un caractère souverain, affirmé par les travaux préparatoires de la loi de sauvegarde. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle la modification substantielle dans les moyens du plan adopté après le vote favorable des comités de créanciers supposera un vote favorable de ces mêmes comités. Le caractère souverain des comités de créanciers doit, cependant, strictement s'inscrire dans les limites de la consultation de ces derniers, c'est-à-dire, dans le cadre de la discussion sur le paiement des dettes du débiteur nées avant le jugement d'ouverture. Ce même caractère souverain n'a aucune portée en dehors de ces limites légales.

D'ailleurs, la solution résulte, avec évidence, de l'article L. 626-31, alinéa 1er, du Code de commerce. Ce texte dispose que "lorsque le projet de plan a été adopté par les comités conformément aux dispositions de l'article L. 626-30, le tribunal s'assure que les intérêts de tous les créanciers sont suffisamment protégés".

Le vote favorable des deux comités de créanciers sur les propositions contenues dans le projet de plan ne suffit, donc, pas à l'adoption de celui-ci. En effet, le tribunal devra vérifier que les intérêts des créanciers sont suffisamment protégés. Le texte ne précise, cependant, pas de quels créanciers il s'agit. Il s'agit des créanciers membres des comités qui n'auraient pas accepté les propositions de plan et qui se les verraient, nécessairement, imposer en cas d'adoption du plan (6). Il faut éviter que le vote de la majorité ne conduise à imposer à des minoritaires des efforts disproportionnés par rapport à leurs capacités contributives (7). Mais il s'agit, aussi, des créanciers hors comité, qui pourraient voir leur gage affaibli par les garanties disproportionnées que prendraient les créanciers membres des comités ou qui avantageraient ces derniers dans l'exécution du plan (8).

Lorsque le tribunal estime que les intérêts des créanciers n'ayant pas voté favorablement le projet de plan, au sein des comités de créanciers, ne sont pas suffisamment préservés, le plan devra être rejeté, sans, a priori, de possibilité pour le tribunal de modifier le projet de plan (9).

Les intérêts des personnes membres des comités ne seront, assurément, pas préservés, si le vote majoritaire des comités conduit à imposer à ces créanciers réfractaires des charges non souscrites, puisque cette façon de procéder constitue, clairement, un excès de pouvoir. Le tribunal ne peut, donc, pas arrêter un plan de continuation comportant un vote d'un comité de créanciers sur des obligations imposées à la majorité à l'un de ses membres et qui sont sans rapport avec le règlement des dettes.

Le tribunal viendrait-il à adopter ce plan, sa décision comporterait un excès de pouvoir flagrant. Elle violerait ouvertement l'interdiction d'imposer à une personne des charges non souscrites pendant la période de préparation du plan.

La personne à laquelle est imposée, pendant l'exécution du plan, une charge non souscrite pendant la période d'observation, peut exercer un recours sur la décision arrêtant le plan de sauvegarde. Il s'agira d'une tierce opposition réformation, la loi de sauvegarde ayant ouvert aux créanciers la possibilité d'exercer un recours sur la décision arrêtant le plan de sauvegarde.

Il n'y aurait, ici, aucune difficulté à caractériser l'intérêt spécial à agir du banquier par rapport à la collectivité des créanciers. Il subit bien, en effet, un préjudice distinct de celui de la collectivité des créanciers, lorsqu'il se voit imposer, par la décision d'un comité de créanciers, relayée par une homologation judiciaire - la décision adoptant le plan - l'octroi d'un concours nouveau.

Conclusion

Il n'est pas de la compétence des comités de créanciers, consultés dans le cadre de la préparation d'un plan de sauvegarde, de voter à la majorité l'obligation pour un banquier de consentir un nouveau concours. Le banquier ne commet pas de faute à refuser l'octroi d'un concours bancaire. Il n'existe pas de droit au crédit, contrairement au droit au compte. L'Assemblée plénière de la Cour de cassation énonce, ainsi, que "hors le cas où il est tenu par un engagement antérieur, le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu'en soit la forme, de s'abstenir ou de refuser de le faire" (10). Il y a, donc, violation du principe de liberté d'octroi d'un concours par un banquier à imposer à celui-ci, lorsqu'il est membre d'un comité de créancier, la délivrance d'un nouveau concours.

Le tribunal ayant à statuer sur l'arrêté du plan ne peut, sauf à violer le principe d'interdiction d'imposer à une personne des charges non souscrites en période d'observation, adopter le plan qui imposerait à un banquier, sur décision des comités, de consentir un nouveau concours.

Cette décision comportant une telle obligation renfermerait un excès de pouvoir, qui rendrait possible la tierce opposition, l'intérêt à agir du banquier résultant de l'existence d'un intérêt propre, distinct de celui de la collectivité des créanciers.

Si le tribunal se refuse à rétracter sa décision dans le cadre de la tierce opposition, l'appel de la décision statuant sur la tierce opposition reste ouvert.


(1) Voir, rapp. Xavier de Roux, n° 2095, 24 février 2005, p. 137.
(2) Voir, J.-Cl. Commercial, A. Jacquemont, fasc. n° 2030, Procédure de conciliation et concordat, éd. 2006, n° 30.
(3) Voir, Cass. com., 29 avril 2003, n° 00-11.466, M. Félix Baranes c/ M. Antonio Tomassi, F-D (N° Lexbase : A8171BSG).
(4) Voir, Cass. com., 14 février 1989, n° 87-14.564, Société anonyme Unicrédit (N° Lexbase : A5424A4N) et Cass. com., 14 février 1989, n° 87-14.629, SA Banque Française du Commerce extérieur c/ SA Ducler et autres (N° Lexbase : A7910AHG), RTD com., 1989, p. 506, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; RJ com., 1990, n° 356, note Calendini.
(5) Voir, CA Paris, 1ère ch., sect. A, 16 octobre 2007, n° 05/10782, M. Jean Paul Barcon c/ M. P Agent judiciaire du trésor (N° Lexbase : A3252D3T).
(6) Voir, rapp. Xavier de Roux, n° 2095, précité, p. 323.
(7) Voir, rapp. J.-J. Hyest, n° 335, 11 mai 2005, p. 300.
(8) Voir, rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 300, précité - Voir aussi en ce sens, A.Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, éd. Delmas, 2ème éd., 2007, n° 1008.
(9) Voir, rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 300, précité.
(10) Voir, Ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056, Société CDR créances, Société anonyme, venant aux droits de la Société de banque occidentale (SDBO) c/ Société Mandataires judiciaires associés (MJA), Société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA), P+B+R+I (N° Lexbase : A6865DRP)  ; lire, R. Routier, Affaire "Adidas" : rappel des principes par l'Assemblée plénière, Lexbase Hebdo n° 232 du 19 octobre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N4036AL3) ; D., 2006, Jur, p. 2933, note D.Houtcieff ; JCP éd. E., 2006, n° 2618, p. 1924, note A. Viandier ; D., 2007, pan., p. 758, obs. D.-R. Martin ; Rev. Lamy dr. civ., novembre 2006, n° 32, 2265, p. 25 ; RD banc. et fin., novembre / décembre 2006, p. 13, n° 188, note F.-J. Crédot et T. Samin ; Rev. proc. coll., 2007/3, p. 99, n° 4, obs. A. Martin-Serf.

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