Réf. : CA Paris, 18ème ch., section D, 12 février 2008, 3 arrêts, n° 07/02721, SA société Glem (N° Lexbase : A0261D7S) ; n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R) ; n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
La relation établie entre une société de production d'émission de télé-réalité et les candidats y participant constitue un contrat de travail à durée indéterminée du fait de l'existence d'une prestation de travail subordonnée donnant lieu à rémunération. Le fait que les salariés se tenaient à disposition permanente de l'employeur emporte le règlement d'heures supplémentaires. La relation démontre l'existence d'un travail dissimulé. Enfin, la cessation de la relation constitue un licenciement irrégulier et abusif. |
Commentaire
I. L'existence surprenante d'une relation de travail salarié
La Cour de cassation estime, depuis longtemps, qu'en matière de relation de travail, il n'y a pas lieu de s'attacher à la qualification contractuelle choisie par les parties (1). "L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs" (2).
La cour d'appel de Paris déduit, logiquement, de cette règle que la dénomination contractuelle énoncée, à savoir un règlement "participants" au programme "Ile de la tentation 2003" ne permet pas, en soi, d'exclure l'existence d'une relation contractuelle de travail subordonnée.
On sait, cependant, que ce "principe de réalité" est, parfois, mis à mal par le législateur, notamment, lorsqu'il pose des présomptions de salariat pour diverses catégories de travailleurs (3). C'est le cas, entre autres, des artistes de spectacle, comme le prévoit l'article L. 762-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5342ACT).
Les candidats invoquaient cette présomption de salariat. Mais leurs professions, en dehors du cadre de l'émission, étaient celles de comptable, de moniteur de jet-ski et de professeur de sport, activités qui ne ressortissent manifestement pas de la liste dressée par le Code du travail (4).
Le juge devait donc s'attacher à analyser les éléments de fait de la relation, afin de déterminer si celle-ci revêtait les caractéristiques d'un contrat de travail. Ainsi considère-t-il, de manière, là encore, très traditionnelle, que "la qualification de contrat de travail implique qu'un personnel accepte de fournir une prestation de travail au profit d'une autre personne en se plaçant dans un état de subordination juridique vis-à-vis de cette dernière, moyennant une rémunération" (5).
Si la forme du travail effectué par le salarié revêt, en général, peu d'importance, la jurisprudence exige, en revanche, de manière cumulative, que les tâches confiées au travailleur soient accomplies par lui, non seulement de manière effective et personnelle, mais, aussi, à titre professionnel et pour le compte d'autrui.
La cour d'appel estime que "l'immixtion de caméras dans la vie privée, même consentie, ne relève pas d'un simple divertissement", qu'elle n'est "pas exclusive de contraintes, dès lors que l'action consiste à isoler le sujet dans un contexte relationnel de nature à éprouver ses sentiments et partant sa personnalité". Cette mise à l'épreuve constituait une "activité humaine exigeant un effort soutenu qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou là la production de nouvelles choses, de nouvelles idées". Enfin, les juges ont considéré que "la prestation de travail est consacrée [...] par le règlement liant les parties", puisque celui-ci "impose [...] une disponibilité permanente du participant [...] pendant plusieurs jours et nuits de tournage".
Il ne fait que peu de doute qu'une telle activité soit bien une prestation personnelle des candidats ayant, au moins indirectement, pour but de profiter à la société de production qui diffusera l'émission télévisée.
Il faut, en revanche, discuter sur la question de savoir si les activités des participants pouvaient être qualifiées de "tâches" à vocation "professionnelle". A l'examen des faits, les participants étaient obligés de participer à différentes activités ludiques et agréables, telles que du jet-ski, des ballades à cheval ou des séances de massage. De telles activités ne sont pas, par principe, exclusives d'une activité professionnelle. Pour l'illustrer, il est possible de prendre l'exemple de salariés testeurs de jeux vidéos pour le compte d'éditeurs de logiciel. Leur activité, certes ludique, n'en reste pas moins professionnelle. Pour autant, dans le cadre de l'émission de télé-réalité, il est probable que l'engagement des participants ait eu moins pour objet de produire une activité professionnelle que de participer à ce qui reste une forme particulière de jeu télévisé.
L'argumentation de la cour d'appel n'est, d'ailleurs, pas toujours parfaitement convaincante. Ainsi, par exemple, l'évocation du contenu du "règlement" des participants, imposant la disponibilité permanente des participants, peut paraître en contradiction avec l'exclusion de ce contrat au nom du principe de réalité. Plus encore, la référence à la disponibilité permanente des candidats se réfère à une question de quantité de travail plus qu'à une question de qualité du travail. Autrement dit, cette mise à disposition permanente nous semble pouvoir justifier l'existence d'un lien de subordination ou permettre de calculer le temps de travail effectif, mais plus difficilement de justifier l'existence d'une activité professionnelle.
Les tâches professionnelles seraient donc constituées de la mise à l'épreuve des sentiments des salariés sous l'oeil de caméra s'immisçant dans leur vie privée. En forçant un peu le trait, est-ce qu'un entretien filmé dans le cabinet d'un conseiller matrimonial ne présente pas les mêmes caractéristiques, le voyeurisme d'un seul, se substituant à celui de tous ?
Si l'existence d'une prestation de travail pouvait donc être au minimum discutée, les autres éléments du contrat de travail sont, en revanche, plus nettement caractérisés.
Le critère essentiel de la relation de travail réside dans l'existence d'un lien de subordination. La Cour de cassation estime que "le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné" (6).
En l'espèce, les éléments du "règlement" des participants permettaient d'établir l'existence d'une véritable subordination des candidats à la société de production. Les conditions de vie pendant le tournage étaient "exclusivement déterminées par la production", qui fixait les heures de réveil, l'emploi du temps des participants. Ils devaient, en outre, suivre les instructions de production et participer aux différentes activités ou réunions. Enfin, la production était en droit d'interdire toute relation des participants avec leurs proches.
La société de production invoquait l'existence d'une faculté pour les participants de s'isoler de temps en temps de l'équipe de tournage pour justifier l'absence de lien de subordination. Cet argument, qui ne séduit pas la cour d'appel, n'était pas particulièrement convaincant. Au contraire, il y a tout lieu de penser qu'il s'agissait plus là d'une sorte de temps de pause plutôt que d'une faculté de se dégager de la subordination de l'employeur. Le pouvoir de donner ordres et directives est manifestement établi.
Il n'en va pas différemment du pouvoir disciplinaire caractéristique du lien de subordination, puisque la production pouvait "sanctionner par la rupture unilatérale du contrat le non-respect par le participant" de quelconque obligation prévue par le contrat. De plus, une sanction pécuniaire était prévue en cas de violation de l'obligation de sécurité par les participants.
Restait, enfin, un dernier critère permettant l'établissement d'une relation de travail, celui de la rémunération des participants.
Au contraire du lien de subordination, la rémunération n'est pas un élément déterminant de la relation de travail, si bien qu'une relation contractuelle peut parfaitement être requalifiée en contrat de travail alors même que le travailleur n'aurait perçu aucune rémunération. Si, pendant longtemps, l'absence de rémunération ou le caractère dérisoire de celle-ci faisait présumer l'absence de contrat de travail (7), la rémunération semble, aujourd'hui, être un critère en recul du contrat de travail (8).
Les candidats avaient bénéficié du paiement de leurs billets d'avion, des frais de visa, de l'hébergement, des repas et de la gratuité des différentes activités sportives ou ludiques. Ils avaient, en outre, perçu une somme de 1 525 euros, somme qualifiée par le contrat de minimum garanti sur les royalties à percevoir à la suite de la diffusion de l'émission. Mais, estimant que ce montant étant fixé à l'avance, sans être remboursable et qu'aucun versement de royalties n'avait postérieurement été opéré, cette somme constituait, pour le juge, une véritable rémunération.
La caractérisation d'une rémunération établit donc l'existence d'un critère, certes d'importance moindre, de la relation de travail. Cependant, au vu des difficultés de qualification d'une véritable prestation de travail, l'établissement d'une rémunération fait figure de renfort précieux dans la caractérisation du contrat de travail.
Depuis l'apparition, en France, des premières émissions de télé-réalité, combien de candidats se sont succédés sur le tournage de ces divertissements ? Potentiellement, et comme l'avait, d'ailleurs, pressentis certains auteurs (9), l'ensemble de ces candidats pourraient, à l'avenir, revendiquer la requalification en contrat de travail avec, comme en l'espèce, une indemnisation des différents préjudices relativement substantielle.
Il y a, certainement, une volonté implicite de prendre en compte les recettes publicitaires substantielles générées par la télé-réalité, et de procéder à une redistribution auprès des candidats qui, pour la plupart d'entre eux, ne tiraient finalement que bien peu d'avantages de leur télédiffusion.
La requalification des relations en contrat de travail emporte l'ensemble des conséquences habituelles qui seront présentées rapidement.
II. Les conséquences classiques d'une relation de travail salarié
L'article L. 122-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9625GQK) prévoit expressément que l'acte contractuel dépourvu de motif légal de recours au contrat de travail à durée déterminée est réputé être à durée indéterminée. La cour d'appel tire les conséquences logiques de ces dispositions et estime que le "règlement" de participation doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée. La société de production invoquait l'existence d'un contrat d'usage, puisque appartenant à un secteur pour lequel le pouvoir réglementaire avait prévu la possibilité de conclure des contrats à durée déterminée d'usage. Pour autant, la Cour de cassation, estimant classiquement que le contrat à durée déterminée d'usage doit comporter la mention du motif, et donc du fait qu'il constitue un contrat d'usage, la solution des juges d'appel paraît entièrement justifiée (10).
S'agissant du temps de travail, le contrat entre les parties stipulait que les participants ne faisaient pas l'objet d'un enregistrement permanent. Pourtant, les caméras permettaient de compter tous les faits et gestes des participants et d'enregistrer leurs paroles à tout instant. Les équipes de tournage étaient amenées à suivre les candidats en permanence et à les filmer à tout instant. Le juge en déduit que, pendant la durée du tournage, les candidats étaient "en permanence à la disposition de l'employeur de jour comme de nuit". La délimitation, relativement vague, de la prestation de travail opérée par le juge permettait, en effet, d'estimer que la simple présence des candidats sur l'île, alors qu'ils étaient filmés, constituait du travail effectif. La preuve de l'existence d'heures supplémentaires, qui répond aux conditions de l'article L. 212-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5837AC8), est donc rapportée.
Pour autant, il y aurait eu lieu de s'interroger sur d'autres règles relatives au temps de travail et, spécialement, aux temps de repos. Si les candidats demeuraient à la disposition permanente de l'employeur pendant douze jours, il était, dès lors, porté atteinte aux règles relatives au respect de temps de pause, de repos quotidien et de repos hebdomadaire (11).
Les candidats avaient demandé à ce que la Convention collective de travail des artistes-interprètes engagés dans des émissions de télévision leur soit applicable. Comme elle l'avait fait s'agissant de la présomption de l'article L. 762-1 du Code du travail, la cour d'appel refuse de faire application de ce texte, au motif que les candidats ne peuvent être considérés comme appartenant à cette profession.
La question était, pourtant, essentielle s'agissant de la détermination de la rémunération horaire des candidats-salariés et, partant, du paiement des heures supplémentaires. La cour d'appel se contente donc de calculer le taux horaires des salariés au vu de la somme de 1 525 euros qui leur était versée, sans, d'ailleurs, prendre en considération les avantages en nature, également, concédés.
Là encore, il n'y rien que des conséquences logiques de la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée. La cessation des relations contractuelles, au retour du voyage des participants, s'analyse comme un licenciement qui, à défaut de respect de la procédure imposée par le Code du travail, est irrégulier et abusif.
L'ensemble de ces conséquences permet aux candidats-salariés de bénéficier de coquettes indemnités, d'un montant supérieur à 25 000 euros. Cela reste, pourtant, relativement modeste au regard des recettes publicitaires de la real TV. Les avocats de la société de production ont, d'ores et déjà, fait s'avoir qu'ils avaient l'intention de former un pourvoi en cassation. Suite au prochain épisode !
Décision
CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 février 2008, 3 arrêts, n° 07/02721, SA société Glem (N° Lexbase : A0261D7S) ; n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R) ; n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E) Réformation, CPH Paris, 30 novembre 2005, 3 arrêts, n° 04/00618, Monsieur Arnaud Laize c/ Société Glem (N° Lexbase : A0715D7M) ; n° 04/00621, Monsieur Anthony Brocheton c/ Société Glem (N° Lexbase : A0716D7N) ; n° 04/00622, Madame Marie Adamiak c/ Société Glem (N° Lexbase : A0717D7P) Mots-clés : Candidats à une émission de télé-réalité ; prestation de travail ; lien de subordination ; rémunération ; requalification ; contrat de travail à durée indéterminée ; inapplication de la convention collective des artistes interprètes ; paiement des heures supplémentaires ; licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; travail dissimulé. Liens base : ; ; |
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