Réf. : CJCE, 26 février 2008, aff. C-506/06, Sabine Mayr c/ Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner OHG (N° Lexbase : A0692D7R)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
La salariée qui procède à une fécondation in vitro n'est protégée, au titre de la Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (N° Lexbase : L7504AUH), qu'à compter du moment où les ovules fécondés in vitro ont été transférés in utero. Celle-ci est, en revanche, protégée au titre des dispositions de la Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH), qui s'opposent au licenciement d'une travailleuse qui, dans des circonstances telles que celles au principal, se trouve à un stade avancé d'un traitement de fécondation in vitro, à savoir entre la ponction folliculaire et le transfert immédiat des ovules fécondés in vitro dans l'utérus de cette travailleuse, pour autant qu'il est démontré que ce licenciement est fondé essentiellement sur le fait que l'intéressée a subi un tel traitement. |
Commentaire
I. La protection de la mère écartée
La femme n'est pas un travailleur comme les autres dans la mesure où, parce qu'elle donne la vie, elle est exposée à des risques physiologiques particuliers. C'est, fort de ce constat indiscutable, que le droit communautaire a mis en place, au travers de la Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, des dispositions protectrices dont les Etats membres doivent assurer la transposition. Reste, toutefois, à délimiter le champ d'application de cette Directive, lorsqu'une salariée est engagée dans un processus de procréation médicalement assistée et, singulièrement, lorsqu'elle a recours à une fécondation in vitro. C'est tout l'intérêt de cet arrêt de la CJCE en date du 26 février 2008, qui tranche une question d'interprétation inédite.
Une salariée de nationalité autrichienne, qui exerçait le métier de serveuse, avait été licenciée par son employeur alors qu'elle était engagée dans un processus de fécondation in vitro, très exactement alors qu'elle se trouvait en congé maladie entre la fécondation proprement dite, réalisée en laboratoire, et la réimplantation de l'embryon. Elle avait saisi le juge du travail compétent pour obtenir l'annulation de son licenciement et avait invoqué la violation, par ce dernier, des règles protégeant la maternité.
Elle avait obtenu gain de cause en première instance, mais la juridiction d'appel avait considéré qu'elle ne pouvait être considérée comme étant enceinte tant que l'implantation de l'embryon n'avait pas été réalisée. C'est cet arrêt intervenu en appel qui a fait l'objet d'un pourvoi en "révision". Devant le caractère inédit du problème soulevé, le juge autrichien avait, alors, saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation des dispositions de la Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail et, singulièrement, de celles qui prohibent le licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes (1). La question qui se posait était, alors, simple : doit-on considérer, au regard de ces dispositions, que la salariée engagée dans un processus de fécondation in vitro doit être considérée comme "enceinte" ou, plus exactement, à quel moment du processus ?
Se fondant sur le quinzième considérant de la Directive 92/85, aux termes duquel "le risque pour une salariée enceinte d'être licenciée pour des raisons liées à son état de grossesse peut avoir des effets dommageables sur sa situation physique et psychique", la Cour de justice considère que la prohibition du licenciement ne saurait commencer avant l'implantation de l'embryon fécondé in vitro dans la mesure où la salariée n'est pas encore physiquement enceinte.
Si la solution semble logique au regard de la notion même de grossesse, elle semble passer bien rapidement sur l'impact psychologique qu'un licenciement en cours de procréation médicalement assistée pourrait avoir sur le succès de l'implantation de l'embryon fécondé, la perte de l'emploi, et l'angoisse d'un futur, désormais, incertain qu'elle suscite, semblant dommageables à la réussite de l'opération. La Cour de justice rappelle, d'ailleurs, que "c'est précisément en considération du risque qu'un éventuel licenciement fait peser sur la situation physique et psychique des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, y compris du risque particulièrement grave d'inciter la travailleuse enceinte à interrompre volontairement sa grossesse, que le législateur communautaire a, en vertu de l'article 10 de la Directive 92/85, prévu une protection particulière pour la femme en édictant l'interdiction de licenciement pendant la période allant du début de la grossesse jusqu'au terme du congé de maternité" (point 34) (2). Pourquoi, dans ces conditions, ne pas avoir anticipé l'application de la Directive ?
C'est, sans doute, pour ne pas entrer dans des considérations psychologiques finalement assez hasardeuses que la Cour de justice a décidé de s'en tenir à une conception purement chronologique de la maternité et d'affirmer que, "il ressort tant du libellé de l'article 10 de la Directive 92/85 que de l'objectif principal poursuivi par cette dernière, lequel est rappelé au point 31 du présent arrêt, que, pour bénéficier de la protection contre le licenciement accordée par cet article, la grossesse en question doit avoir commencé" (point 37). Les dispositions communautaires propres à la maternité ne sauraient donc englober les préliminaires...
La solution est, finalement, sage. Comme l'a justement rappelé la Cour, les législations nationales permettent souvent de conserver, pendant un temps assez long, les embryons fécondés en nombre, et ce, dans l'attente de réimplantations ultérieures (point 45). Faire débuter la protection au stade de la fécondation proprement dite étendrait dans le temps, d'une manière déraisonnable, la période de protection et porterait, ainsi, atteinte au principe de sécurité juridique ; elle confèrerait même à la salariée une protection indue dans l'hypothèse où elle renoncerait à la réimplantation (point 40).
La solution évitera, également, un risque de contagion à d'autres situations comparable, car on imagine aisément que des salariées auraient pu demander le bénéfice des dispositions de la Directive lorsque le licenciement survient alors qu'elles essaient d'avoir un enfant de manière plus conventionnelle !
En choisissant de s'en tenir à de strictes considérations biologiques, la Cour de justice nous rappelle que, si les femmes enceintes bénéficient d'une protection particulière, par hypothèse refusée aux hommes, c'est bien pour tenir compte d'une réalité biologique incontestable, et non pour leur assurer un quelconque confort.
La solution qui fait une stricte application de la notion de grossesse s'explique, également, par le fait que la Cour de justice parvient à assurer la protection de la salariée par un autre moyen, moins discutable à ses yeux.
II. La protection de la femme assurée
Dans cette affaire, la juridiction de renvoi n'avait pas fait référence à la possibilité d'analyser le licenciement au regard des dispositions de la Directive 76/207, relative à l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est l'Avocat général, M. Damaso Ruiz-Jarabo Colomer, qui a souhaité réintroduire la question dans le débat pour compenser, en quelque sorte, l'impuissance de la Directive 92/85 à venir, ici, en aide à la salarié licenciée.
Conformément à une jurisprudence constante, la Cour de justice a considéré que le licenciement de la salariée en congé maladie, alors qu'elle attend de manière imminente l'implantation des embryons, constitue bien une discrimination fondée sur le sexe.
Dès avant l'entrée en vigueur de la Directive 92/85, c'est-à-dire à une époque où n'existait aucun cadre communautaire assurant une protection spécifique de la maternité, la Cour avait déjà eu l'occasion d'affirmer, au regard des articles 2, § 1, et 5, § 1, de la Directive 76/207, que le licenciement d'une femme intervenu en raison de sa grossesse constituait une discrimination directe fondée sur le sexe (3).
La difficulté, en l'espèce, tenait au fait que la salariée avait été licenciée alors qu'elle se trouvait en congé maladie. Or, la Cour de justice considère "que, les travailleurs féminins et masculins étant également exposés à la maladie, si un travailleur féminin est licencié pour cause d'absence due à une maladie dans les mêmes conditions qu'un travailleur masculin, il n'y a pas de discrimination directe fondée sur le sexe" (point 49) (4).
Toutefois, et comme le relève très justement la Cour, c'est bien la cause du congé maladie qui doit, ici, prévaloir, "à savoir une ponction folliculaire et le transfert dans l'utérus de la femme des ovules issus de cette ponction immédiatement après leur fécondation", qui ne peuvent, par hypothèse, concerner que des femmes (point 50). Dès lors, la conclusion s'imposait : "le licenciement d'une travailleuse en raison essentiellement du fait qu'elle se soumet à ce stade important d'un traitement de fécondation in vitro constitue une discrimination directe fondée sur le sexe".
Cette solution doit être pleinement approuvée et correspond, d'ailleurs, bien aux dispositions communautaires relatives à la preuve des discriminations. On se rappellera, en effet, que la Directive 97/80/CE du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve des discriminations, transposée en droit français par loi n° 2001-1006 du 16 novembre 2001 (N° Lexbase : L8292AUN), favorise en son article 4 la preuve des discriminations, dès lors que le salarié "établit [...] des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte" et qui impose, alors, à l'employeur "qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement". Compte tenu des circonstances de l'espèce, il est plus que vraisemblable que l'employeur avait voulu prendre de vitesse la salariée en la licenciant avant qu'elle ne soit effectivement enceinte.
La solution adoptée se justifie donc pleinement, même si le rattachement à l'égalité entre les femmes et les hommes, nécessaire, ici, étant donné les possibilités, finalement, assez réduites, offertes par le droit communautaire, pourrait paraître un peu artificiel. En droit français, le licenciement aurait, d'ailleurs, été annulé, pour violation de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8), compte tenu de la prise en compte de l'état de santé de la salariée, l'employeur ne pouvant se justifier par la nécessité de procéder au remplacement définitif de la salariée en raison des perturbations occasionnées par l'arrêt de travail (5).
Décision
CJCE, 26 février 2008, aff. C-506/06, Sabine Mayr c/ Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner OHG (N° Lexbase : A0692D7R) Réponse à une question préjudicielle Textes concernés : Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (N° Lexbase : L7504AUH) ; Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH) Mots clef : protection de la maternité ; fécondation in vitro ; protection de la salariée entre la fécondation et l'implantation. Liens base : |
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