La lettre juridique n°291 du 7 février 2008 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Utilisation de la messagerie électronique interne à l'entreprise à des fins syndicales

Réf. : Cass. soc., 22 janvier 2008, n° 06-40.514, M. Stéphane Marché c/ Société Crédit industriel et commercial, F-P (N° Lexbase : A0979D4Z)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



La question de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication à des fins syndicales a été, en partie, réglée par la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1950DYU). Depuis cette date, en effet, seul un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. Certaines sociétés n'ont, toutefois, pas attendu cette loi pour autoriser conventionnellement l'accès à l'intranet et à la messagerie interne aux syndicats. Un tel accord était précisément en cause dans l'arrêt rendu le 22 janvier dernier par la Cour de cassation. Selon la Chambre sociale, le non-respect par un représentant du personnel des stipulations de l'accord caractérise une faute disciplinaire.
Résumé

Un accord d'entreprise mettant à la disposition des syndicats représentatifs la messagerie électronique interne pour la publication d'informations syndicales peut subordonner cette faculté à l'existence d'un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l'entreprise. Commet, par suite, une faute disciplinaire le salarié qui, se prévalant de sa fonction syndicale, diffuse sur le réseau intranet de l'entreprise un courriel qui n'a pas de lien avec la situation sociale de l'entreprise et qui est sans rapport avec l'activité syndicale du salarié.

Observations

1 L'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise à des fins syndicales

  • L'exigence d'un accord collectif

L'utilisation de la messagerie électronique à des fins syndicales est réglementée par le dernier alinéa de l'article L. 412-8 du Code du travail (N° Lexbase : L4707DZD), issu de la loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social . Selon cette disposition, "un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise".

Il ressort clairement de ce texte que l'accès à la messagerie électronique interne de l'entreprise doit, à l'instar des sites intranet syndicaux, être autorisé par un accord collectif d'entreprise (1). Par suite, et d'un point de vue juridique, "tout message syndical envoyé en l'absence d'accord collectif peut [...] constituer une faute disciplinaire pour son expéditeur dûment identifié" (2).

La Cour de cassation a jugé, à propos d'un litige concernant des messages électroniques envoyés depuis un site extérieur à l'entreprise, que "la diffusion de tracts et de publications syndicales sur la messagerie électronique que l'employeur met à la disposition des salariés n'est possible qu'à la condition, soit d'être autorisée par l'employeur, soit d'être organisée par voie d'accord d'entreprise" (3). Il importe de relever que les faits de l'espèce étaient antérieurs à la loi de 2004. Mais, la Chambre sociale s'est visiblement inspirée des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 412-8, ce qui permet d'avancer que cette solution devrait valoir sous l'empire de ce texte.

En résumé, il est aujourd'hui acquis que l'utilisation de la messagerie électronique que l'employeur met à la disposition des salariés à des fins syndicales exige un accord d'entreprise ou l'autorisation expresse de ce dernier, même si les messages sont expédiés depuis un site extérieur à cette même entreprise. Toutefois, et ainsi que le font remarquer certains auteurs, "il faut aussi tenir compte des conditions dans lesquelles la direction peut avoir connaissance des courriels reçus par les salariés. Rappelons à cet égard que 'sauf risque ou évènement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnel contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé' (4). Un syndicat peut certainement adresser des textes aux salariés par courriel, à partir d'un site syndical externe à l'entreprise, à leur adresse électronique personnelle" (5).

  • Cas d'espèce

Pour en venir à l'espèce qui nous intéresse, le litige ne se présentait pas dans les termes qui viennent d'être évoqués, puisqu'un accord d'entreprise du 3 avril 2001, relatif à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise, mettait précisément à la disposition des organisations syndicales représentatives la messagerie électronique interne pour la publication d'informations syndicales. Le problème résidait dans les conditions d'utilisation des prérogatives reconnues par l'accord.

Un salarié qui cumulait les fonctions de représentant du personnel élu et de délégué syndical au sein de l'entreprise avait, le 24 juin 2003, diffusé, sur le réseau intranet de cette dernière, un courriel de protestation contre l'arrestation d'un militant syndicaliste paysan. Pour ce fait, un avertissement lui avait été notifié le 23 juillet suivant.

Le salarié reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir refusé de prononcer l'annulation de l'avertissement et de l'avoir débouté de ses demandes tendant au paiement de dommages-intérêts et à la publication de la décision à intervenir. A l'appui de son pourvoi, il invoquait l'article 6-2-1 de l'accord du 3 avril 2001, selon lequel l'utilisation de l'intranet par les organisations syndicales est soumise aux mêmes règles que l'emploi de supports classiques (tracts, affichages) et le contenu des communications syndicales est librement déterminé par les organisations syndicales, sous réserve de l'application de l'article L. 412-8, alinéa 5, du Code du travail, en matière d'exercice du droit syndical. Par suite, en l'état de ces dispositions, parfaitement claires, la restriction ultérieurement apportée relative au lien nécessaire entre le contenu de ces publications et la situation sociale existant dans l'entreprise était inopérante, de sorte qu'en retenant une faute de la part du salarié, de ce chef, la cour d'appel aurait méconnu les dispositions susvisées et violé l'article L. 412-8.

Le requérant arguait, également, que le salarié jouit de sa liberté d'expression au sein de l'entreprise à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Or, en l'espèce, la diffusion du courriel litigieux avait été faite à quelques dizaines de salariés, de sorte qu'elle était limitée et en dehors des horaires de travail. En conséquence, faute d'avoir apprécié l'exercice du droit d'expression du salarié au regard de ces circonstances, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI).

Ecartant l'argumentation développée par le salarié, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Ainsi qu'elle l'affirme, "après avoir relevé qu'un accord d'entreprise du 3 avril 2001, relatif à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise, mettait à la disposition des organisations syndicales représentatives la messagerie électronique interne pour la publication d'informations syndicales, la cour d'appel a retenu que, selon l'article 6-2-1 de l'accord, cette faculté était subordonnée à l'existence d'un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l'entreprise". Par suite, "faisant application de cet accord au litige, dans lequel l'intéressé se prévalait de sa fonction syndicale, la cour d'appel, qui a constaté qu'il n'y avait aucun lien entre la situation sociale de l'entreprise et le contenu du courriel litigieux, et que celui-ci était sans rapport avec l'activité syndicale du salarié, a ainsi caractérisé une faute disciplinaire".

2 Le respect des dispositions conventionnelles autorisant le recours à la messagerie électronique de l'entreprise

  • L'importance des limites conventionnelles

Dans la mesure où cela ne conduit pas à réduire les droits que les salariés tiennent de la loi, une convention collective peut assortir les prérogatives qu'elle crée de certaines limites. Celles-ci constituent, alors, autant d'obligations pesant sur les salariés qui se doivent de les respecter. Encore que cela puisse être discuté (6), le non-respect de ces obligations conventionnelles par un salarié pouvant être assimilé à une faute disciplinaire et être sanctionné comme telle.

Cela étant admis, il importe, alors, d'avoir égard aux stipulations de l'accord en cause. En l'espèce, il apparaît que l'article 6-2-1 de l'accord subordonnait la faculté d'user de la messagerie électronique interne de l'entreprise, pour la publication d'informations syndicales, à l'existence d'un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l'entreprise. Or, le courriel litigieux ne présentant pas de lien de cette nature, les stipulations de l'accord n'avaient pas, à l'évidence, été respectées. La solution paraît dès lors justifiée.

Au-delà, une question nous semble devoir être posée : celle de la validité des stipulations de l'accord collectif qui étaient, ici, en cause. Ainsi que nous l'avons vu, depuis mai 2004, il est acquis qu'à défaut d'accord collectif, tout accès à l'intranet, comme à la messagerie interne de l'entreprise, peut être théoriquement totalement interdit aux syndicats. Or, ainsi que l'a relevé un auteur, une telle prohibition n'avait rien d'évident avant cette date, "par analogie : la distribution de tracts (virtuels ?) est, par exemple, un droit pour les membres des sections syndicales, et le droit pour les représentants du personnel d'aller au contact de leurs mandants pouvait aussi passer par ces autoroutes de l'information" (7). En d'autres termes, et à suivre cette opinion, on peut considérer qu'antérieurement à la loi du 4 mai 2004, l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise pour la diffusion de tracts était possible en vertu des seules dispositions de l'article L. 412-8 du Code du travail (8). Partant, il convient d'admettre que, si un accord collectif pouvait organiser le recours à la messagerie électronique de l'entreprise, c'est à la condition d'être plus favorable que la loi. En conséquence, et cela rejoint l'argumentation développée par le salarié dans son pourvoi, il faut se demander si l'accord peut exiger que la publication syndicale présente un lien avec la situation sociale de l'entreprise ?

Cela peut se discuter. L'article L. 412-8, alinéa 5, du Code du travail (N° Lexbase : L4707DZD) précise que le contenu des affiches, publications et tracts "est librement déterminé par l'organisation syndicale, sous réserve de l'application des dispositions relatives à la presse". Nonobstant cette disposition, on considère classiquement que le contenu de la communication doit être de nature syndicale, ce qui s'entend largement (9). Or, l'exigence d'un lien entre la communication syndicale et la situation sociale de l'entreprise peut apparaître plus restrictif et donc moins favorable que la loi (10).

Une telle argumentation ne peut, cependant, prospérer que si l'on admet qu'antérieurement à la loi de mai 2004, le recours aux technologies de l'information était possible sur le seul fondement de l'article L. 412-8. Il y a tout lieu de penser que telle n'est pas la position de la Cour de cassation (11).

  • Une solution circonscrite

Pour confirmer la solution retenue par les juges du fond, la Cour de cassation prend soin de relever que le salarié se prévalait, en l'espèce, de sa fonction syndicale. Il faut, ainsi, comprendre que c'est parce que le salarié avait envoyé le courriel litigieux en sa qualité de délégué syndical que lui étaient applicables les stipulations de l'accord en cause exigeant un lien entre la communication et la situation sociale de l'entreprise. Accord qui, faut-il le rappeler, était relatif à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise. En d'autres termes, si le salarié avait adressé le même courriel en cette seule qualité, le litige changeait en quelque sorte de visage. En ce cas, aurait été en cause la liberté d'expression du salarié et non le respect de l'accord. Cette argumentation était, d'ailleurs, développée par le salarié sanctionné dans son pourvoi. La Chambre sociale l'a, cependant, écarté, en considérant que ce dernier avait agi dans l'exercice de son mandat. Si cette position n'est pas en soi critiquable, on peut la regretter car il aurait été intéressant d'avoir l'avis de la Cour de cassation sur les limites qu'il convient d'apporter à la liberté d'expression du salarié, sur le fondement de l'article L. 120-2 du Code du travail.


(1) Remarquons que la loi vise expressément un accord "d'entreprise". Par suite, il semble que, sauf à être reprise par un accord de cette nature, une norme conventionnelle négociée et conclue à un autre niveau ne pourrait véritablement autoriser le recours à la messagerie électronique de l'entreprise. Une telle exclusion est regrettable.
(2) J.-E. Ray, Droit du travail et TIC (III). Droit syndical et TIC : sites, blogs, messagerie, Dr. soc. 2007, p. 423, spéc., p. 439. L'auteur s'attache à démontrer que la pratique est différente pour diverses raisons.
(3) Cass. soc., 25 janvier 2005, n° 02-30.946, Fédération des services CFDT c/ Société Clear Channel France, FS-P+B (N° Lexbase : A2904DGN) ; Dr. soc. 2005, p. 705, obs. L. Sainfel et Y. Tanguy ; Sem. soc. Lamy, n° 1201 du 7 février 2005, note J.-E. Ray. Adde nos obs., Communications syndicales dans l'entreprise et internet, Lexbase Hebdo n° 154 du 10 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4536ABM).
(4) Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017, M. Philippe Klajer c/ Société Cathnet-Science, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2997DIT) ; Dr. soc. 2005, p. 789, note J.-E. Ray. Adde, les obs. de Ch. Radé, L'employeur et les fichiers personnels du salarié : la Cour de cassation révise la jurisprudence "Nikon", Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4601AIA).
(5) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, p. 811, note 1.
(6) On peut se demander si la sanction ne devrait pas plutôt résider dans la suppression de la prérogative conventionnelle exercée. Mais il peut aussi être avancé que l'on est bien en présence de la violation d'une obligation professionnelle.
(7) J.-E. Ray, art. préc., p. 423, note 2.
(8) Au moins pour la distribution de tracts et autres publications de nature syndicale dont la loi ne précise pas le support. Pour l'affichage des communications syndicales, il en va différemment, puisqu'il doit être effectué sur les "panneaux réservés à cet usage".
(9) V. en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., p. 810.
(10) En l'espèce, la Cour de cassation relève "qu'il n'y avait aucun lien entre la situation sociale de l'entreprise et le contenu du courriel litigieux et que celui-ci était sans rapport avec l'activité syndicale du salarié". Est-ce à dire que si un tel rapport avait existé, le fait qu'il n'y ait pas le lien en question serait devenu inopérant ?
(11) V. en ce sens, Cass. soc., 25 janvier 2005, préc.. Position qui paraît, également, s'inférer de l'arrêt rapporté, la Chambre sociale commençant par relever l'existence d'un accord collectif permettant l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise.

Décision

Cass. soc., 22 janvier 2008, n° 06-40.514, M. Stéphane Marché c/ Société Crédit industriel et commercial, F-P (N° Lexbase : A0979D4Z)

Rejet, CA Paris (18ème ch., sect. D), 29 novembre 2005

Textes concernés : C. trav., art. L. 412-18 (N° Lexbase : L4707DZD), article 6-2-1 de l'accord du 3 avril 2001, relatif à l'exercice du droit syndical et aux institutions représentatives du personnel au Crédit industriel et commercial

Mots clefs : exercice du droit syndical dans l'entreprise, messagerie électronique interne, utilisation, accord collectif, sanction disciplinaire.

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