Réf. : Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-16.492, Société Amadeus France service, FP-P+B (N° Lexbase : A0883D4H)
Lecture: 9 min
N0432BEQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
La reconnaissance d'un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne de celui qui se prétend salarié. En conséquence, une organisation syndicale n'est pas recevable à introduire une action visant à une telle reconnaissance. |
Commentaire
1. La reconnaissance d'un contrat de travail exclue du domaine d'action des syndicats
Les syndicats se sont vus reconnaître, de longue date, une possibilité d'agir en justice au-delà des prérogatives liées à la personnalité juridique (1). Cette faculté est formalisée à l'article L. 411-11 du Code du travail, qui dispose que les syndicats "peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent" (2).
Le domaine privilégié de leur droit d'action réside dans l'application des conventions collectives. Il s'agit là de l'une des conséquences du caractère contractuel des accords collectifs, leurs signataires étant, dès lors, titulaires de tous les droits afférents à la qualité de partie à un contrat. C'est, ici, un droit d'action propre au syndicat. Mais, cette prérogative n'est pas limitée aux signataires puisqu'elle a, également, été reconnue en faveur des syndicats non signataires, sur le fondement de l'article L. 411-11 du Code du travail, au nom de la défense de l'intérêt collectif des salariés (3).
Outre ce pouvoir propre aux syndicats d'agir en exécution d'une convention collective, il existe, également, plusieurs hypothèses d'action en substitution de salariés, donnant implicitement mandat au syndicat d'agir pour leur compte (4). Dans cette hypothèse, il ne s'agit plus de défendre les intérêts collectifs de la profession, mais bien l'intérêt propre d'un salarié. La distinction entre individuel et collectif est clairement marquée puisque le pouvoir d'action en justice pour défendre les intérêts collectifs de la profession est général, par application de l'article L. 411-11 du Code du travail, tandis que le pouvoir d'action en substitution est limitativement encadré par ce même code.
Il est, néanmoins, des situations dans lesquelles cette répartition entre défense d'intérêts collectifs et défense d'un intérêt individuel n'est pas aussi nette.
Il n'y a pas de difficultés lorsque le syndicat tente d'agir en justice pour défendre un intérêt purement individuel. La Cour de cassation a clairement posé le principe selon lequel "le syndicat n'est pas recevable à défendre en son nom propre les intérêts individuels" d'un salarié (5). Cette solution vaut aussi bien s'agissant de la contestation d'un licenciement pour inaptitude médicale (6), que pour l'action fondée sur l'atteinte à la vie privée de salariés (7), la demande tendant à l'inscription d'une créance à la procédure collective (8) ou l'instance introduite en vue d'obtenir un complément de rémunération pour un salarié (9).
En revanche, dans certaines hypothèses, la Cour de cassation a accepté l'action du syndicat alors que les intérêts défendus étaient loin d'être seulement collectifs. Ainsi, par exemple, le syndicat est habilité à saisir le juge en cas de violation du secret médical commise à l'occasion de l'exercice par l'employeur du contrôle des arrêts de maladie de ses agents hospitaliers (10). Est, également, considéré comme entrant dans la qualification d'intérêt collectif de la profession le projet de réorganisation d'un site impliquant des licenciements économiques (11). Cette solution est d'autant plus étonnante que les juges avaient, quelques années auparavant, refusé l'action d'un syndicat en contestation de l'établissement de l'ordre des licenciements économiques (12).
Enfin, une décision rendue en 2005 avait définitivement jeté le trouble sur la distinction entre intérêt collectif et intérêts particuliers des salariés (13). Dans cet arrêt, la Chambre sociale avait entériné l'action d'un syndicat en dommages-intérêts du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec une association intermédiaire. Une nouvelle décision de la Cour de cassation était donc attendue en la matière.
Une unité économique et sociale (UES) ayant été reconnue entre plusieurs sociétés, un syndicat avait assigné les différents éléments de cet ensemble afin de faire juger qu'elles étaient toutes co-employeur des salariés de l'une des sociétés. La cour d'appel avait estimé que l'action était recevable en raison de l'atteinte portée à l'emploi des salariés et à leur statut puisque la reconnaissance de l'existence de co-employeurs leur permettait de faire valoir leurs droits à l'encontre des deux employeurs et constituait une question de principe susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble de la profession.
La Chambre sociale de la Cour de cassation s'oppose à un tel raisonnement. Elle casse la décision des juges du fond au visa de l'article L. 411-11 du Code du travail en estimant que "la reconnaissance d'un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne de celui qui se prétend salarié" et, qu'en conséquence, l'"organisation syndicale n'est pas recevable à introduire une telle action".
La Cour de cassation fait donc machine arrière et refoule très nettement les questions relatives au contrat de travail dans le champ des intérêts particuliers des salariés ne pouvant être défendus dans le cadre de cette action par le syndicat. Logique en apparence, cette solution pose, néanmoins, de sérieuses difficultés d'interprétation.
2. Un encadrement particulièrement strict du domaine d'action des syndicats
A première vue, il semble parfaitement logique que la Cour de cassation exclue les actions tendant à faire reconnaître l'existence d'un lien de subordination entre un employeur et un salarié du champ de compétence des syndicats.
En effet, le contrat de travail est certainement l'avatar le plus abouti de l'aspect individuel que peuvent revêtir les relations de travail. Dès lors, toute question afférente, et particulièrement celle de son existence, semble naturellement n'avoir d'intérêt que pour le salarié concerné. La défense d'un intérêt collectif parait bien éthérée.
En outre, cette solution a, probablement, le mérite de clairement circonscrire le domaine des actions en substitution ouverte au syndicat déjà évoquées. Rappelons que celles-ci sont limitativement prévues par le Code du travail. Or, ouvrir trop largement l'action des syndicats pour la défense d'intérêts collectifs, y compris pour des actions dans lesquelles l'intérêt principal en cause est individuel, tendrait à contourner ce caractère limitatif et à permettre, d'une certaine manière, au syndicat d'agir pour le compte de salarié là où le législateur ne l'a pas souhaité.
Néanmoins, en approfondissant la réflexion, on s'aperçoit que la défense des intérêts collectifs n'était peut-être pas si éloignée que la Cour de cassation semble le croire.
Quoique la question principale concerne l'existence d'un contrat de travail, un argument de taille militait, néanmoins, pour l'ouverture de l'action aux syndicats.
L'idée avait été soulevée par la cour d'appel, la doctrine ayant déjà proposé une telle interprétation (14). Il s'agissait de considérer que, concernant une question de principe, l'ensemble de la profession était nécessairement susceptible d'en subir les conséquences.
Le fait que la demande d'établissement du lien de subordination intervienne en marge de la constitution d'une unité économique et sociale n'était pas étranger à une telle appréciation. Le développement croissant de l'UES comme technique d'organisation des entreprises implique que, de plus en plus souvent, les salariés puissent se trouver sous la subordination effective, à défaut d'être juridique, de plusieurs employeurs gérant les différentes sociétés constituant l'unité. Les enjeux de la question sont, également, de taille compte-tenu des incertitudes relatives aux effets de la reconnaissance d'une UES. La question de savoir si les effets doivent se limiter à la représentation du personnel ou doivent s'étendre à d'autres domaines, tel que, par exemple, le fait de rendre chaque dirigeant de société co-employeur de tous les salariés de l'UES, reste encore en suspens (15).
En rendant cette solution, la Chambre sociale de la Cour de cassation change radicalement de cap. Qu'il s'agisse, ou non, d'une question de principe dont la réponse serait susceptible de concerner tous les salariés de la profession, et même au-delà, ne suffit pas. Il est donc probable que des solutions rendues jusqu'ici puissent être remises en cause, et, notamment, celles ayant trait, de trop près, au contrat de travail. On peut, notamment, penser que les questions relatives à la requalification des contrats de travail ou au licenciement économique qui, comme nous l'avons vu, ont pu faire débat, seraient, désormais, exclues du domaine du droit d'ester en justice des syndicats.
Le contrat de travail est donc hissé en étendard de la relation individuelle de travail. Pourtant, à n'en pas douter, l'ensemble des salariés français est titulaire d'un contrat de travail...
Décision
Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-16.492, Société Amadeus France service, FP-P+B (N° Lexbase : A0883D4H) Cassation partielle sans renvoi, cour d'appel de Versailles, 14ème ch. civ., 13 avril 2005 Texte visé : C. trav., art. L. 411-11 (N° Lexbase : L6313ACS) Mots-clés : Syndicat ; action en justice ; existence d'un contrat de travail ; capacité d'ester en justice (non). Liens base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:310432