Réf. : Cass. soc., 24 janvier 2008, n° 06-45.088, Société Jacobs France c/ M. Didier Thomas, F-P+B (N° Lexbase : A1023D4N)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application. L'article 61 de la Convention collective nationale du personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseils, dite Syntec, du 1er janvier 1988 , qui se borne à énoncer que toute modification du lieu de travail comprenant un changement de résidence fixe, qui n'est pas acceptée par le salarié, est considérée, à défaut de solution de compromis, comme un licenciement et réglée comme tel, ne saurait constituer une clause de mobilité licite directement applicable au salarié en l'absence de clause contractuelle de mobilité. |
1 - L'exigence de précision de la clause contractuelle de mobilité
En l'absence de toute obligation particulière de mobilité, un salarié peut refuser que soit modifié le lieu d'exécution de son contrat de travail, dès lors que l'employeur prétend le muter en dehors du même secteur géographique.
Un salarié peut être astreint à une obligation de mobilité par une clause de son contrat de travail. Conformément aux exigences de l'article 1129 du Code civil (N° Lexbase : L1229AB7), l'obligation doit être déterminée avec suffisamment de précisions. Selon une formule, désormais, de style, la Cour de cassation considère "qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application" (1) et "qu'elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée" (2), ce qui lui donnerait, alors, un caractère indéterminé la privant d'objet (3), et ce, même si l'employeur n'abuse pas de cette prérogative (4).
Cette exigence n'est, d'ailleurs, pas propre aux clauses de mobilité. Dans un arrêt en date du 4 février 2004, pareille exigence avait, en effet, été formulée à propos de la clause de dédit-formation (5).
Une convention collective peut, également, instaurer une obligation de mobilité. A condition que le salarié ait été informé de l'existence de cette obligation particulière lors de son embauche, celle-ci lui sera normalement opposable (6).
A cette obligation d'information que l'employeur aura tout intérêt à formaliser, la jurisprudence ajoute le respect, par l'accord collectif, de la même exigence de précision qui prévaut pour les clauses contractuelles de mobilité, comme vient justement le rappeler la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.
2 - L'extension de cette exigence aux clauses conventionnelles de mobilité géographique
Cette affaire concernait l'obligation de mobilité présente dans la convention Syntec (convention collective nationale du personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseils du 1er janvier 1988).
L'article 61 de cette convention contient plusieurs dispositions. Après avoir constaté que "l'intérêt économique et social de la mobilité géographique des salariés entrant dans le champ d'application de la présente convention, mais conscientes des répercussions qu'elle peut avoir, les parties signataires recommandent que cette mobilité ne soit pas, pour les salariés, l'occasion d'une charge supplémentaire et qu'il soit tenu compte dans toute la mesure du possible de leur situation familiale", la convention précise que "le changement de résidence doit correspondre à des besoins réels de l'entreprise", que "toute modification du lieu de travail comprenant un changement de résidence fixe qui n'est pas acceptée par le salarié est considérée, à défaut de solution de compromis, comme un licenciement et réglée comme tel", avant de prévoir les modalités pratiques de mise en oeuvre de cette obligation et du licenciement consécutif au refus du salarié.
Un salarié avait été informé de la fermeture de l'agence de Toulouse et de sa mutation à Bordeaux. Il avait refusé cette mutation et avait été licencié, avant de saisir la juridiction prud'homale de différentes demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ses demandes avaient été acceptées, et l'employeur tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt d'appel, en vain.
Reprenant à son compte les arguments retenus par les juges du fond, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère, à son tour, "qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application", et "que l'article 61 de la convention Syntec, qui se borne à énoncer que toute modification du lieu de travail comprenant un changement de résidence fixe, qui n'est pas acceptée par le salarié, est considérée, à défaut de solution de compromis, comme un licenciement et réglée comme tel, ne saurait constituer une clause de mobilité licite directement applicable au salarié en l'absence de clause contractuelle de mobilité".
Ce n'est pas la première fois que l'application de ces dispositions donne l'occasion à la Cour de cassation de statuer. Dans un arrêt inédit en date du 19 décembre 2007, la Cour avait, en effet, considéré comme relevant des garanties offertes aux salariés le fait de muter, pour une durée d'un an, un salarié de Vénissieux à Riom, soit à une distance de deux cents kilomètres (7).
Mais, c'est à notre connaissance la première fois que la Haute juridiction avait à se prononcer sur la validité même de cette obligation conventionnelle de mobilité, et qu'elle la considère comme nulle en raison de l'imprécision de son objet.
Cette solution nous semble pleinement justifiée, tant sur le plan juridique qu'en opportunité.
Sur le plan juridique, tout d'abord, les conventions collectives sont classiquement soumises aux mêmes conditions de validité que les contrats, ce qui est légitime compte tenu de leur nature également contractuelle (8). Il est, dès lors, parfaitement logique que l'exigence de détermination de leur objet puisse conduire les juges à annuler celles de ces dispositions qui ne respecteraient pas cette règle, et que les solutions dégagées par la jurisprudence à propos des clauses contractuelles de mobilité s'appliquent, de la même façon, aux clauses conventionnelles.
Sur le plan de l'opportunité, la solution nous semble, également, bienvenue. Les clauses de mobilité font, en effet, peser sur les salariés une hypothèse personnelle et familiale très lourde. Ils doivent considérer, lors de leur embauche, les tenants et les aboutissants de la clause qu'ils s'apprêtent à accepter, qu'il s'agisse de celle qui figure au contrat de travail ou de la clause conventionnelle à laquelle ils acceptent de se soumettre en entrant au service de leur employeur. Dès lors, si la clause conventionnelle n'est pas suffisamment précise, le salarié n'est pas en mesure de prévoir quels sont les sacrifices qu'il pourra être conduit à consentir, s'il vient à être muté, ce qui rend son engagement très aléatoire.
A l'heure où les partenaires sociaux viennent, dans l'Accord national interprofessionnel conclu le 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, d'adopter des dispositions très précises visant à imposer aux employeurs la rédaction de clauses contractuelles écrites prévoyant la mobilité géographique des salariés (9), cet arrêt est le bienvenu et s'inscrit dans la ligne voulue par les acteurs.
Il restera aux employeurs qui relèvent de la convention Syntec de contractualiser la mobilité des salariés, à défaut de quoi le territoire de la mobilité pourrait bien se limiter... à quelques pâtés de maison !
Décision
Cass. soc., 24 janvier 2008, n° 06-45.088, Société Jacobs France c/ M. Didier Thomas, F-P+B (N° Lexbase : A1023D4N) Rejet (cour d'appel de Toulouse, 4ème ch., sect. 1, ch. soc., 3 août 2006) Texte visé : Convention Syntec, art. 61 (N° Lexbase : X7178ACT) Mots clef : clause contractuelle de mobilité ; zone géographique ; caractère indéterminé. Liens base : |
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