Réf. : Ass. plén., 30 novembre 2007, n° 06-45.365, M. Michel Canny c/ Crédit lyonnais, P+B+R+I (N° Lexbase : A9892DZE)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Bien que la convention collective conditionne son versement à l'existence d'une insuffisance professionnelle ou d'une incapacité physique, l'indemnité conventionnelle de licenciement doit être versée au salarié en cas de licenciement pour motif non disciplinaire. |
1. Le versement de l'indemnité conventionnelle logiquement lié à l'absence de motif disciplinaire
Lorsque le licenciement est prononcé, différentes indemnités peuvent, le cas échéant, être dues au salarié. Ainsi en va-t-il de l'indemnité de préavis si le salarié est dispensé d'effectuer son délai-congé (1), de l'indemnité de congés payés dont il ne peut être privé qu'en cas de faute lourde ou (2), encore, de l'indemnité de licenciement dont l'existence est établie par l'article L. 122-9 du Code du travail (N° Lexbase : L5559ACU). A ces indemnités servies sans considération de la régularité du licenciement, viennent, parfois, s'ajouter d'autres indemnités réparant, par exemple, une défectuosité de la procédure de licenciement ou, encore, l'absence de cause réelle et sérieuse pour justifier la rupture (3).
S'agissant spécifiquement de l'indemnité de licenciement, l'article L. 122-9 prévoit que celle-ci n'est due qu'aux salariés disposant d'au moins deux années d'ancienneté et n'ayant pas été licenciés pour faute grave ou, a fortiori, pour faute lourde. Mais, selon les termes même du texte, il ne s'agit là que d'une "indemnité minimum". Interprétée comme étant une norme d'ordre public social, elle a donc toujours permis aux contrats de travail, mais surtout aux conventions collectives, de prévoir des indemnités de licenciement dites "conventionnelles", dont les conditions de versement sont plus favorables que la loi.
Ainsi, de nombreuses conventions collectives prévoient de telles indemnités conventionnelles de licenciement (4). Mais, le plus souvent, elles ne prévoient qu'une amélioration de la hauteur de l'indemnité sans autre distinction que la restriction classique pour les licenciements justifiés par une faute grave ou une faute lourde. Tel n'est pas le cas de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000, visée en l'espèce.
Cette convention collective, dans sa version antérieure datant du 20 août 1952, comme dans sa version actuelle datant de 2000, apporte une restriction à l'indemnité conventionnelle de licenciement.
Dans le texte initial, la convention prévoyait expressément quels motifs de licenciement permettaient au salarié de bénéficier de l'indemnité. Il s'agissait du motif d'"insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle et la suppression d'emploi". En revanche, le texte, aujourd'hui applicable à cette branche, est plus laconique.
En effet, l'article 26 de la convention semble pouvoir être interprété de deux manières différentes. Le texte prévoit que les licenciements qui pourront ouvrir droit à l'indemnité conventionnelle sont ceux prononcés pour un motif non disciplinaire. Pourtant, il précise que constituent des motifs non disciplinaires l'insuffisance professionnelle et l'incapacité physique de travailler.
Dès lors, deux approches peuvent être envisagées. La première approche consisterait en une interprétation positive du texte. Il s'agirait, alors, de prendre en compte seulement les motifs expressément présentés par le texte, à savoir l'insuffisance professionnelle et l'incapacité de travail, à l'exclusion de tout autre motif. La seconde approche, négative cette fois, consisterait à considérer que tout motif n'ayant pas un caractère disciplinaire puisse ouvrir droit à l'indemnité. Cette interprétation aurait le mérite de correspondre à la nomenclature de la convention qui aborde aux articles suivants d'autres motifs de licenciement et les conséquences qui y sont afférentes. Ainsi, l'article 27 traite des conséquences du licenciement pour motif disciplinaire, l'article 28 de celles inhérentes à un licenciement prononcé en raison d'une condamnation pénale et, enfin, l'article 29 de celles qui gouvernent un licenciement pour motif économique. Il paraît donc logique de considérer que l'article 26 visait l'ensemble des autres causes inhérentes au salarié mais pour un motif non disciplinaire. C'est dans la voie de cette interprétation que l'Assemblée plénière semble se diriger.
Un salarié mis à la retraite conteste les conditions de la rupture de son contrat de travail et obtient des juges du fond que celle-ci soit requalifiée en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il réclame le bénéfice de l'indemnité conventionnelle prévue par l'article 26 de la convention de branche de la banque. S'engage, alors, un véritable bras de fer entre les juridictions du fond et la Cour de cassation.
La cour d'appel de Paris le déboute de ses demandes, estimant que le licenciement ne reposait pas sur l'une des causes prévues par la convention. Cette position pouvait paraître parfaitement conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui estimait, classiquement, que l'indemnité ne pouvait être versée au salarié si le licenciement n'avait pas été prononcé pour l'une des causes invoquées par la convention (5).
La Chambre sociale de la Cour de cassation, saisie de l'affaire, casse pourtant cette décision par un arrêt du 8 mars 2005 estimant, au contraire, que l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement suffisait à justifier le versement de l'indemnité conventionnelle (6). La Cour de cassation se place donc dans la lignée d'un revirement opéré en 2002 et par lequel elle estimait qu'il "résulte nécessairement" que l'indemnité est due "lorsque le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse" (7).
La cour de Versailles, désignée comme cour de renvoi, résiste cependant à la solution de la Chambre sociale et reprend l'argumentation développée par la cour d'appel de Paris (8). Comme c'est le cas dans ce type d'hypothèses, c'est donc l'Assemblée plénière de la Cour de cassation qui est saisie en dernier lieu afin de trancher définitivement le problème de droit soulevé.
Par une argumentation qui prend l'allure d'une argumentation de principe, elle énonce "qu'une indemnité conventionnelle de licenciement est versée au salarié en cas de licenciement pour motif non disciplinaire" et complète sa démonstration en estimant que le licenciement "était dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui lui [le salarié] ouvrait droit au paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement, laquelle n'est exclue qu'en cas de licenciement pour motif disciplinaire ou en raison d'une condamnation pour crime ou délit touchant à l'honneur ou à la probité".
La Cour de cassation reprend donc clairement l'interprétation de la convention collective nationale de la banque déjà énoncée en 2002 et en 2005. Néanmoins, le véritable fondement demeure flou. Est-ce l'absence de motif disciplinaire ou l'absence de cause réelle et sérieuse qui justifie véritablement que l'indemnité conventionnelle doive être versée ?
2. Le versement de l'indemnité conventionnelle inutilement lié à l'absence de cause réelle et sérieuse
Si la règle générale retenue semble faire reposer la solution sur l'absence de motif disciplinaire du licenciement, l'argumentation fait référence à l'absence de cause réelle et sérieuse pour fonder la solution.
Or, on sait qu'en matière de licenciement, une distinction a été établie entre cause qualificative et cause justificative (9). La convention collective semble distinguer en fonction du motif du licenciement, c'est-à-dire de sa cause qualificative, afin de déterminer dans quelle hypothèse l'indemnité conventionnelle devra être versée. Pourtant, l'argumentation développée se réfère à la justification suffisante du licenciement, à son caractère réel et sérieux, c'est-à-dire à sa cause justificative (10).
Or, il est manifeste que cette dualité de cause emporte des conséquences bien particulières en droit du travail, au premier titre desquelles figure la dualité d'indemnités pouvant être versées au salarié. En effet, si le motif du licenciement légitime l'existence d'une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, l'absence de cause réelle et sérieuse permet, de son côté, l'attribution d'une indemnité "qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois" et qui est "due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité prévue à l'article L. 122-9" (11). La Cour de cassation décide, d'ailleurs, de manière tout à fait classique, que ces deux indemnités se cumulent, même dans l'hypothèse d'une indemnité de licenciement conventionnelle ou contractuelle (12).
La référence maintenue à l'absence de cause réelle et sérieuse nous paraît donc difficile à justifier en ce qu'elle semble impliquer une absence de distinction entre cause et motif du licenciement. Cela paraît d'autant plus malheureux que la décision aurait pu être parfaitement justifiée sans une telle référence et en se fondant simplement sur l'interprétation de la convention collective.
Comme le démontrait de manière limpide le conseiller rapporteur de l'arrêt (13), l'interprétation des clauses des conventions collectives est soustraite au pouvoir d'appréciation souveraine des juges du fond pour être assurée par la Cour de cassation (14). Cela se justifie autant par un souci d'unification de l'interprétation des conventions collectives, en particulier quand elles sont étendues, que par leur caractère réglementaire qui les distingue de simples contrats.
La Cour de cassation avait donc pour rôle de trancher, non au vu de l'intention des parties comme le juge le ferait pour un simple contrat, mais avant tout selon la lettre du texte. Comme nous l'avons déjà expliqué, il était, dès lors, possible de retenir deux interprétations, l'une positive limitant l'indemnisation aux licenciements fondés sur un motif d'insuffisance professionnelle ou d'incapacité physique, l'autre négative ouvrant le versement de l'indemnité à tout licenciement prononcé pour un motif inhérent à la personne du salarié, à l'exclusion du motif disciplinaire.
Plusieurs raisons militent pour le choix de cette seconde interprétation.
Tout d'abord, en raison du découpage opéré par la convention entre licenciement pour motif disciplinaire (art. 27), licenciement en raison d'une condamnation (art. 28), licenciement économique (art. 29). Cela semble impliquer que les autres motifs de licenciement soient traités par l'article 26. Il s'agirait, alors, de tout licenciement pour motif inhérent à la personne du salarié, mais non fondé sur une faute du salarié.
On pourrait, en outre, penser à une analogie avec le découpage opéré au niveau légal puisque l'article L. 122-9 du Code du travail n'exclut l'existence de l'indemnité de licenciement que pour les licenciements prononcés en raison d'une faute grave du salarié. Ce second argument est, cependant, moins convaincant puisqu'il est loisible aux partenaires sociaux de limiter l'amélioration que constitue l'indemnité conventionnelle à certains types de licenciements.
Enfin, cette interprétation est opportune car elle a le mérite d'exclure toute velléité de contournement de la disposition conventionnelle. En effet, la cause qualificative du licenciement étant liée à la rédaction de la lettre de licenciement, il serait aisé de priver le salarié de l'indemnité conventionnelle en invoquant un motif autre que l'insuffisance professionnelle ou l'incapacité physique. Certes, comme le soulevait l'avocat général dans son avis relatif à l'arrêt, une telle volonté de prévenir les fraudes ne peut être utilement invoquée comme règle d'interprétation d'une convention collective. Cela n'empêche pas de constater qu'une telle interprétation devrait permettre d'éviter que les règles de la convention soient contournées.
On pourrait se demander s'il subsiste une différence entre les conventions collectives qui prévoient simplement que l'indemnité conventionnelle sera versée en cas d'absence de motif disciplinaire et celles qui, comme la convention collective des banques, paraissent limiter seulement l'indemnité à certains motifs. Cette différence ne semble subsister que dans l'hypothèse d'un licenciement prononcé pour un motif non disciplinaire, distinct de l'insuffisance professionnelle et de l'incapacité physique, à condition toutefois que ce licenciement soit justifié par une cause réelle et sérieuse. On pourrait ainsi penser, par exemple, qu'un licenciement prononcé en raison du trouble objectif que constitue pour l'entreprise l'absence d'un salarié, trouble ayant rendu nécessaire son remplacement définitif, puisse permettre de l'exclure. Mais dans ce cas, à nouveau, c'est la cause justificative du licenciement qui constituera la caractéristique déterminante du versement d'une indemnité dont l'existence est pourtant liée à une cause qualificative.
Décision
Ass. plén., 30 novembre 2007, n° 06-45.365, M. Michel Canny c/ Crédit lyonnais, P+B+R+I (N° Lexbase : A9892DZE) Cassation (CA Versailles, 11 octobre 2006) Textes visés : Articles 26, 26-2, 27-2 et 28 de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 . Mots-clés : licenciement ; indemnité conventionnelle ; absence de cause réelle et sérieuse. Lien bases : |
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