Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le maintien d'un avantage acquis en cas de mise en cause de l'application d'un accord collectif dans les conditions prévues à l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail ne méconnaît pas le principe "à travail égal, salaire égal" ; ce maintien résulte d'une absence d'accord de substitution ou d'un tel accord. |
1. La confirmation de la légitimité des différences de traitement résultant de l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail
La Cour de cassation a admis, depuis l'arrêt "Ponsole" rendu en 1996 (1), différents types d'arguments qui peuvent justifier que des salariés exerçant un travail égal, ou de valeur égale, puissent valablement percevoir une rémunération différente.
Une première catégorie de justifications tient à la situation personnelle du salarié, singulièrement à sa situation de famille (2).
Une deuxième prend en compte des critères personnels plus professionnels ; ainsi, le travail accompli peut parfaitement être de meilleure qualité et justifier une meilleure rémunération (3). Le salarié peut, également, avoir une expérience plus significative (4), ou une ancienneté plus importante (5).
La date d'embauche n'est pas, en soi, une justification suffisante (6), sauf si elle traduit une différence de situation induisant la nécessité de compenser les conséquences d'une modification intervenue dans le statut ; le législateur peut, d'ailleurs, valablement instaurer des différences de traitement entre salariés, selon leur date d'embauche, sans porter atteinte au principe d'égalité (7).
La jurisprudence admet, également, des éléments tirés de la situation juridique des salariés au sein des entreprises. Des différences de traitement seront, alors, admises dès lors qu'il s'agit de compenser l'infériorité actuelle du statut (8), ou pour compenser l'infériorité résultant d'une modification du statut consécutive, notamment, à l'abaissement de la durée du travail (9), à une modification dans le système de rémunération, ou encore à la dénonciation de l'accord collectif provoquant le maintien des avantages individuels acquis (10).
Dans d'autres hypothèses, c'est le rattachement à des accords d'établissement différents qui justifiera la différence de traitement (11).
La Cour de cassation prend, également, en compte les contraintes pesant sur la gestion des ressources humaines, comme le fait qu'il peut y avoir urgence à recruter un salarié sur un poste qualifié (12) ou nécessité d'attirer des compétences de chercheurs étrangers sur un marché hautement concurrentiel (13), notamment, en compensant les contraintes de l'expatriation (14).
Cet arrêt confirme que la différence de traitement peut résulter directement de l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail, mais dans une hypothèse particulière.
Lorsqu'une entreprise est cédée, les contrats de travail sont maintenus auprès du nouvel employeur, par application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), mais les accords collectifs sont, en principe, mis en cause par le transfert. S'ouvre, alors, un délai de préavis de trois mois et une période de douze mois pendant laquelle l'entreprise cessionnaire, ou absorbante, doit négocier un accord de substitution destiné à lisser le passage d'un statut collectif à l'autre. A défaut de conclusion dans ce délai de douze mois, l'employeur sera en droit de faire unilatéralement application aux salariés cédés des dispositions conventionnelles applicables dans leur nouvelle entreprise (15), mais il risque de se heurter aux avantages individuels acquis sur le fondement de l'accord mis en cause et qui ont été contractualisés à l'expiration du délai de douze mois.
Dans les décisions intervenues précédemment, c'était le respect par l'employeur des avantages individuels acquis au bénéfice des salariés bénéficiaires d'une convention collective mise en cause dans le cadre de la cession de leur entreprise, qui avait été pris en compte pour justifier la différence de traitement qui résultait de la limitation du bénéfice de cette règle aux seuls salariés dont le contrat de travail avait été transféré (16).
Dans l'affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 4 décembre 2007, le maintien des avantages individuels acquis ne résultait pas du défaut d'accord de substitution, mais bien des termes mêmes de l'accord conclu par les partenaires sociaux dans le délai de douze mois, et qui avait repris, mais uniquement pour les salariés dont les contrats de travail avaient été cédés avec l'entreprise, certains avantages présents dans l'accord qui avait été mis en cause à l'occasion de la cession (en l'occurrence, une prime trimestrielle de restauration).
Les salariés d'origine de l'entreprise cessionnaire avaient donc saisi le conseil de prud'hommes de demandes visant à leur élargir le bénéfice de ces avantages, au nom du respect du principe "à travail égal, salaire égal", ce qu'avait, d'ailleurs, fait la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui leur avait donné raison.
Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui casse cet arrêt et considère, au contraire, que "le maintien d'un avantage acquis en cas de mise en cause de l'application d'un accord collectif dans les conditions prévues à l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail ne méconnaît pas le principe 'à travail égal, salaire égal', que ce maintien résulte d'une absence d'accord de substitution ou d'un tel accord".
2. Une solution pleinement justifiée
Si ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation affirme que le maintien légal des avantages individuels acquis, par application du 6ème alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, c'est-à-dire en l'absence d'accord de substitution (17), justifie une différence de traitement, c'est, à notre connaissance, la première fois que la solution est appliquée dans l'hypothèse où la différence de traitement résulte directement des termes mêmes de l'accord de substitution.
Reste à savoir ce qui est de nature à justifier cette solution.
Dans la dernière décision en date du 11 juillet 2007, qui portait, rappelons-le, sur la justification d'une différence de traitement entre salariés bénéficiaires du maintien des avantages individuels acquis, et ceux qui n'en bénéficiaient pas, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait fondé sa décision sur le fait que la règle posée à l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail, a "pour objet de compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages" (18).
Nous avions, alors, fait observer que l'introduction de ce critère, déjà présent dans d'autres hypothèses, semblait de nature à donner à la Cour non seulement le moyen de fédérer sa propre jurisprudence, mais également d'en étendre l'application dans des circonstances comparables.
Or, tel est bien le cas ici des salariés de l'entreprise cédée ou absorbée lorsque l'accord de substitution, conclu dans les quinze mois qui suivent la cession de l'entreprise, leur assure, par la voie conventionnelle, le maintien de certains avantages dont ils bénéficiaient antérieurement au titre de l'accord mis en cause par le transfert ; c'était, d'ailleurs, bien le cas dans cette affaire puisque l'accord de substitution leur reconnaissait le maintien d'une prime trimestrielle de restauration.
Dans ces conditions, on pouvait valablement s'attendre à ce que la Chambre sociale de la Cour de cassation justifie ainsi la différence de traitement constatée sur la volonté des partenaires sociaux de compenser, dans l'accord d'adaptation, le préjudice résultant de la mise en cause de l'accord antérieurement applicable.
La déception est alors grande car aucune formule comparable ne vient justifier la solution, ce qui est regrettable au regard de la continuité nécessaire dans la jurisprudence de la Cour (19).
Au-delà de ce regret tenant à l'insuffisance de la motivation, il nous semble que la solution doit être pleinement approuvée.
Même si l'article L. 132-8, alinéa 7, ne le précise pas, le propre de l'accord "d'adaptation" est bien de concilier la nécessaire intégration des salariés de l'entreprise cédée dans le statut collectif de l'entreprise cessionnaire, tout en faisant en sorte de permettre aux salariés de l'entreprise cédée de ne pas trop perdre à l'occasion du changement d'employeur. L'accord de remplacement comportera, ainsi, nécessairement des dispositions destinées à garantir à ces salariés des avantages particuliers destinés à compenser le changement de statut.
Comme nous avions, également, eu l'occasion de le rappeler, l'application du principe "à travail égal, salaire égal" ne doit pas venir perturber cette entreprise délicate d'intégration des salariés de l'entreprise cédée dans leur nouvelle communauté de travail, en imposant une harmonisation "par le haut" des dispositions statutaires passées. Certes, tous les problèmes ne seront pas réglés par la signature d'un accord d'adaptation et les salariés de l'entreprise cessionnaire ne verront pas nécessairement d'un bon oeil que les nouveaux venus conservent une partie de leurs privilèges ; mais, ces questions relèvent de la compétence des partenaires sociaux qui devront négocier de manière fine l'accord d'adaptation, et pas de l'intrusion du juge dans le rapport social sous couvert d'assurer le respect du principe "à travail égal, salaire égal".
Décision
Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M) Cassation (CA Aix en Provence, 9ème ch., sect. A, 1er juin 2006) Textes visés : principe "à travail égal, salaire égal" ; C. trav., art. L. 132-8, al. 7 (N° Lexbase : L5688ACN) Mots-clefs : rémunération ; égalité ; accord de substitution. Lien bases : |
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