La lettre juridique n°285 du 13 décembre 2007 : Responsabilité

[Le point sur...] Le dommage corporel (seconde partie)

Lecture: 5 min

N3878BDY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Le dommage corporel (seconde partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209577-le-point-sur-le-dommage-corporel-seconde-partie
Copier

par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 01 Novembre 2013

Dans le prolongement d'une conférence sur "le dommage corporel" donnée à Montargis le 26 novembre dernier, l'auteur se propose de revenir sur deux questions techniques ayant fait l'objet d'une réforme récente : l'assiette du recours des tiers payeurs d'abord (voir Le dommage corporel (première partie), Lexbase Hebdo n° 284 du 6 décembre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N3594BDH), l'incidence des partages de responsabilité sur l'assiette du recours, ensuite (II) (cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E5786ETH). II - L'incidence du partage de responsabilité sur l'exercice du recours subrogatoire exercé par les tiers payeurs
  • Données du problème et droit antérieur à la réforme du 21 décembre 2006

Lorsque la victime, à raison de sa faute, se voit attribuer une part de responsabilité dans le dommage dont elle demande réparation, le partage de responsabilité qui en résulte doit-il être opposé aux tiers payeurs qui exercent leur recours subrogatoire ?

Jusqu'à une époque récente, et même si la victime n'était pas entièrement indemnisée à la mesure de ses droits (compte tenu précisément du partage de responsabilité), les tiers payeurs pouvaient récupérer l'intégralité de ce qu'ils avaient versé dans la limite de la dette du responsable, la victime ne recevant que le reste, c'est-à-dire la différence entre la part d'indemnité à laquelle elle avait droit et les prestations perçues. Autrement dit, le système retenu par le droit positif était celui du recours intégral à concurrence des droits de la victime. S'ils étaient plusieurs, ils se partageaient la part d'indemnité due par le responsable en proportion de leurs créances respectives. La solution ressortait des textes prévoyant tous, en des termes similaires, le remboursement des prestations sociales "à due concurrence" ou "dans la limite" de la part d'indemnité mise à la charge du responsable (CSS, art. L. 376-1, al. 3 N° Lexbase : L3414HWD, et L. 454-1, al. 3 N° Lexbase : L9367HEN ; L. 5 juillet 1985, art. 31 N° Lexbase : L4304AHU).

  • Réforme du 21 décembre 2006 (loi n° 2006-1640, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 N° Lexbase : L8098HT4)

Cette solution a été remise en cause à la faveur de la loi du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007. Reprenant presque mot pour mot une disposition figurant dans le rapport "Lambert-Faivre" et dans le rapport de la Cour de cassation pour 2004, les textes énoncent à présent que, "conformément à l'article 1252 du Code civil (N° Lexbase : L1369ABC), la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée" (CSS, art. L. 376-1, al. 4 et L. 5 juillet 1985, art. 31, al. 2). La mise en oeuvre de la règle nouvelle, qui consiste donc à donner à la victime une priorité sur les tiers payeurs lorsque leurs prestations ne l'ont pas intégralement indemnisée pour tel ou tel poste de préjudice, est concevable selon deux procédés qui sont envisagés dans le rapport "Lambert-Faivre".

  • Mise en oeuvre de la réforme

Le premier système, système du recours proportionnel ou dit de l'opposabilité du partage de responsabilité aux tiers payeurs, consiste à appliquer aux prestations qui sont l'objet du recours la proportion de responsabilité imputable au responsable. Ce système paraît tout de même critiquable en ce qu'il lèse les tiers payeurs en même temps qu'il avantage illégitimement la victime. Il n'y a, en effet, aucune raison que les tiers payeurs ne puissent récupérer la totalité des prestations versées tant qu'elles n'excèdent pas les droits de la victime et par conséquent la dette du responsable. Ces prestations ont, dans leur totalité, contribué à l'indemnisation de la victime et il serait illogique de n'en retenir qu'une partie correspondant à la part de responsabilité du tiers responsable. Cela priverait les tiers payeurs de l'intégralité des droits qu'ils tiennent de l'action subrogatoire et avantagerait la victime dans la mesure où les prestations imputables seraient réduites à la fraction correspondant à la part de responsabilité du responsable.

Un exemple chiffré va permettre de le comprendre.

Soit un préjudice global soumis aux recours d'un montant total de 1 000, une part de responsabilité incombant à la victime de 50 % et des prestations sociales versées à hauteur de 600. Si on applique le système du recours proportionnel, les tiers payeurs ne pourront récupérer que 50 % des prestations servies, soit 300. Ces 300 s'imputeront sur les droits de la victime (qui sont de 50 % de 1 000, soit 500), de sorte que la victime pourra encore réclamer 200 au responsable et à son assureur au titre d'une action en complément d'indemnisation. Au total, elle aura perçu 800 (600 de prestations et 200 d'indemnité complémentaire), c'est-à-dire 300 de plus que ce à quoi elle a droit. Ce système est injuste puisqu'il avantage la victime au détriment des tiers payeurs.

Le second procédé s'inspire, lui, de la jurisprudence dominante en droit des assurances qui applique l'article 1252 du Code civil à la subrogation de l'assureur de dommage. A suivre ce procédé, la loi autoriserait la victime à réclamer au responsable le complément d'indemnisation de son préjudice dans la limite de ses droits ; quant au tiers payeur, il ne récupérerait que la différence entre la dette du responsable et ce que celui-ci a payé à la victime. Dans l'exemple précédent, la victime aurait droit, au titre de son action complémentaire contre le responsable, à 400 (1 000 - 600) et le tiers payeur ne pourrait récupérer que 100 (500 - 400). Cette solution est très favorable -encore plus favorable que la précédente- à la victime qui recevrait au total 600 + 400, soit 1 000. C'est probablement cette interprétation, pourtant bien discutable, qui devrait être retenue en jurisprudence, d'autant qu'elle est privilégiée par le rapport "Lambert-Faivre" qui, faut-il même le rappeler, a constitué manifestement la source d'inspiration du législateur.

  • Appréciations

Un avis du Conseil d'Etat du 4 juin 2007 le laisse, en tout état de cause, penser (CE Contentieux, 4 juin 2007, n° 303422, M. Lagier N° Lexbase : A5708DWC) : prenant, en effet, parti sur l'interprétation de la priorité accordée par la loi aux victimes, il est proposé de permettre à la victime partiellement indemnisée par les prestations sociales d'agir contre le tiers responsable afin de compléter son indemnisation jusqu'à la réparation intégrale de son dommage, et ce sans tenir compte d'un éventuel partage de responsabilité. Il est, ainsi, énoncé que "l'indemnité mise à la charge du tiers, qui correspond à une partie des conséquences dommageables de l'accident, doit être allouée à la victime tant que le total des prestations dont elle a bénéficié [...] ne répare pas l'intégralité du préjudice qu'elle a subi". Comme le relève, justement nous semble-t-il, M. le Professeur Jourdain, cette solution aboutira, pratiquement, à faire disparaître dans biens des cas l'incidence du partage de responsabilité sur les droits de la victime d'un dommage corporel, autrement dit la réduction de son indemnisation du fait du partage de responsabilité. Seuls les tiers payeurs subiront les incidences d'un tel partage : "étrange retournement de situation où, au sacrifice des droits des victimes qui résultait de l'inclusion dans l'assiette des recours des indemnités réparant des préjudices que les prestations ne prenaient pas en charge, succède une surprenant spoliation des droits des tiers payeurs" (1).


(1) RTDCiv. 2007, p. 577, obs. P. Jourdain.

newsid:303878

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus