Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2007, n° 06-43.499, Société Dieudonné et compagnie, F-P+B (N° Lexbase : A7183DZ3)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'accord de branche n'imposant pas la réduction effective du temps de travail à 35 heures hebdomadaires, l'employeur n'est tenu au versement d'une indemnité différentielle, prévue par l'accord, qu'à l'égard des salariés dont le temps de travail a été effectivement réduit. |
1. Le versement des indemnités différentielles conditionné à la réduction effective du temps de travail
Les lois "Aubry" du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000 ont mis en place des mécanismes alternatifs de négociation dans l'entreprise, afin que soient conclus des accords de réduction du temps de travail (ARTT). Ainsi, à défaut de délégués syndicaux dans les entreprises, il demeurait toujours possible d'avoir recours à un salarié mandaté pour conclure un ARTT. La loi "Aubry II" avait même prévu qu'à défaut de mandatement, il serait possible de recourir à un accord conclu avec les délégués du personnel de l'entreprise, de tels accords ayant, pourtant, toujours été jusque là considérés comme des accords atypiques (1).
Malgré l'ouverture de la négociation à ces nouveaux acteurs, persistait le risque que, faute de négociateur dans certaines entreprises, aucun accord ne puisse être conclu. Pour ces entreprises, les lois avaient, alors, imaginé un mécanisme subsidiaire d'application de la réduction du temps de travail par le biais de l'accord de branche et d'une décision unilatérale de l'employeur.
C'est précisément ce mécanisme que prévoyait l'article 2 de l'accord de branche de l'hospitalisation privée du 27 janvier 2000 applicable à l'espèce. La décision était, alors, formalisée par une simple note d'information, prise néanmoins après consultation des délégués du personnel de l'entreprise.
Pourtant, à l'instar de l'accord en question, un certain nombre de ces accords cadres est demeuré en deçà des obligations faites par les textes légaux. Au lieu d'imposer, selon telle ou telle condition, la réduction du temps de travail dans les entreprises du secteur concernées, elles se sont, parfois, contentées de prévoir la simple faculté pour l'employeur de réduire effectivement l'horaire de travail.
Prenant acte du caractère non coercitif de l'accord de branche, certaines entreprises n'ont donc pas effectivement réduit le temps de travail dans l'entreprise, continuant à faire travailler leurs salariés pour une durée hebdomadaire de 39 heures. Quelles devaient, alors, être les conséquences de cette absence de réduction effective du temps de travail ?
On sait que depuis le 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et le 1er janvier 2002 pour les PME de 20 salariés ou moins (2), la durée de 35 heures hebdomadaires de travail est devenue la durée légale du travail. Les heures de travail effectuées au-delà de cette durée devaient donc être considérées comme des heures supplémentaires.
Mais, une autre question pouvait légitimement se poser lorsque les accords cadres avaient envisagé, dans le cadre de la réduction du temps de travail, que seraient mises en place, dans ces entreprises, des indemnités différentielles compensant la perte de salaire qui devait mécaniquement affecter les salariés dont l'horaire était réduit. Cette indemnité différentielle devait-elle être versée aux salariés dont l'horaire de travail n'avait pas été réduit ?
Une infirmière travaillant dans une entreprise soumise à l'accord de branche de l'hospitalisation privée du 27 janvier 2000, accord qui mettait en oeuvre la réduction du temps de travail dans les entreprises de la branche, n'avait pas vu son horaire de travail réduit à 35 heures. Elle avait donc continué à travailler 39 heures par semaine. Pour autant, elle n'avait pas bénéficié de l'indemnité différentielle prévue par l'accord lui-même.
La Cour de cassation estime que, n'ayant pas vu son horaire de travail effectivement réduit, la salariée ne devait pas bénéficier de cette indemnité puisque celle-ci n'intervenait qu'en contrepartie de la réduction effective du temps de travail pour compenser la perte de rémunération induite. Cette solution n'est, en réalité, pas nouvelle puisque la Cour a déjà, plusieurs fois, eu l'occasion de se prononcer sur cette question (3).
La mesure pourrait, à première vue, paraître tout à fait logique. Si la salariée travaillait toujours 39 heures, elle ne devait pas avoir subi de perte de salaire et l'indemnité était donc sans objet. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que la logique apparente de cette décision peut être sérieusement mise à mal.
2. La distinction implicite entre réduction d'origine légale et réduction conventionnelle du temps de travail
La décision de la Chambre sociale conclut que l'accord de branche "n'imposait nullement" la réduction effective du temps de travail dans les entreprises concernées. Si cette interprétation des articles 1 et 2 de l'accord semble parfaitement correcte, cela occulte, pourtant, les dispositions légales qui imposaient le passage de la durée légale à 35 heures hebdomadaires en 2000 ou en 2002 selon l'effectif des entreprises.
Or, la salariée demandait un rappel de paiement de l'indemnité différentielle compensant la réduction du temps de travail pour une période s'étalant de mai 2000 à février 2003. Si cette réduction n'était, en effet, pas effective avant le changement légal de la durée du travail, elle l'était en application de la loi au plus tard au 1er janvier 2002, si bien que la Cour aurait probablement pu rendre une solution différente selon les périodes considérées. La réduction du temps de travail était nécessairement effective, au minimum, entre le 1er janvier 2002 et le mois de février 2003.
Implicitement, on peut clairement voir, ici, un déni du caractère obligatoire de la réduction du temps de travail dans les entreprises pour lesquelles aucun accord n'avait imposé une telle mesure. Cela nous paraît tout à fait contestable.
En réalité, la Cour de cassation aurait donc probablement dû estimer que la durée de travail était effectivement réduite à compter du moment où les dates butoirs des lois "Aubry" étaient atteintes.
Cela n'empêchait pas, bien évidemment, l'employeur d'imposer à sa salariée, dans le respect des contingents prévus par l'accord lui-même, d'effectuer un certain nombre d'heures supplémentaires qui, techniquement, pouvait permettre de maintenir une durée hebdomadaire à 39 heures. Mais, dans cette hypothèse, la durée de travail hors heures supplémentaires étant de 35 heures, il fallait nécessairement que l'indemnité différentielle prévue par l'accord soit versée à la salariée.
Une comparaison pourrait utilement illustrer cette idée. Imaginons une entreprise qui, par accord collectif, a effectivement réduit la durée hebdomadaire à 35 heures. Les salariés, en application de l'accord, percevraient alors l'indemnité différentielle. Mais, cela n'empêcherait pas, bien entendu, l'employeur de leur faire effectuer des heures supplémentaires dont la rémunération viendrait s'ajouter, et non se substituer, à l'indemnité en question.
La seule différence entre la situation décrite et celle ayant donné lieu à l'espèce provient de la source ayant imposé la réduction du temps de travail. Alors, certes, l'existence d'indemnités différentielles n'était pas prévue par les lois "Aubry" (4). Pour autant, fallait-il détacher l'existence de cette indemnité de la réduction du temps de travail, qu'elle provienne de la loi ou de l'accord ?
Le fait de conditionner le versement de l'indemnité différentielle à une réduction conventionnelle -et non légale- de la durée hebdomadaire de travail semble confirmer les doutes qui pouvaient être émis sur la nature juridique d'une telle indemnité.
Deux approches étaient envisageables, comme c'est souvent le cas pour de tels versements d'argent au salarié en lien avec la relation de travail. Il était, tout d'abord, envisageable de considérer que de telles indemnités différentielles revêtaient la nature d'une rémunération et étaient, en tant que telle, imposables et soumises à cotisations sociales. S'il paraît bien curieux d'imaginer que l'on puisse percevoir une rémunération en contrepartie de "travail en moins", puisque l'indemnité compense la perte de salaire subie du fait de la réduction du temps de travail, c'est pourtant bien le choix qui a été opéré par le législateur, après quelques tergiversations jurisprudentielles (5). En effet, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006 (loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005, de financement de la Sécurité sociale pour 2006 N° Lexbase : L9963HDD), modifiant l'article L. 242-1, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3404HWY), a définitivement incorporé ce type d'indemnités -désormais bien mal nommées- aux rémunérations soumises à cotisations (6).
En refusant le versement d'une indemnité conventionnelle pour les salariés n'ayant vu leur durée de travail hebdomadaire réduite que par l'effet de la loi et non par le jeu de l'accord de branche, la Cour de cassation semble confirmer l'idée selon laquelle ce type d'indemnités ne vient pas compenser, tels des dommages-intérêts, le préjudice subi du fait de la réduction du temps de travail. Au contraire, il s'agit alors, à l'image d'une prime, d'une partie de la rémunération qui ne trouve sa cause que dans son existence dans la convention collective et pour laquelle une condition d'existence est exigée, celle du passage conventionnel à 35 heures de travail hebdomadaire.
Cette interprétation ne manque pas d'être surprenante, tant l'analyse consistant à considérer l'indemnité différentielle comme une contrepartie de la perte de revenu induite par la réduction du temps de travail paraît naturelle. Elle a, au moins, le mérite d'être en accord avec les dispositions du Code de la Sécurité sociale précitée. Il fallait au moins cela pour justifier de ne pas prendre en compte la réduction légale du temps de travail !
Décision
Cass. soc., 16 novembre 2007, n° 06-43.499, Société Dieudonné et compagnie, F-P+B (N° Lexbase : A7183DZ3) Cassation partiellement sans renvoi (CA Pau, chambre sociale, 4 mai 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 212-1 (N° Lexbase : L5835AC4) ; art. 1 et 2 de l'accord de branche de l'hospitalisation privée du 27 janvier 2000 ; chapitre III bis de l'annexe à l'accord de branche de l'hospitalisation privée du 27 janvier 2000 Mots-clés : accord de réduction du temps de travail ; indemnité différentielle ; réduction effective du temps (non). Lien bases : |
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