La lettre juridique n°284 du 6 décembre 2007 : Éditorial

Imposition française en pays monégasque : les ressorts d'une souveraineté octroyée

Lecture: 3 min

N3641BD9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Imposition française en pays monégasque : les ressorts d'une souveraineté octroyée. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209557-imposition-francaise-en-pays-monegasque-les-ressorts-dune-souverainete-octroyee
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


Qui se souvient que les Français résidant à Monaco payent, globalement, l'impôt français et ne bénéficient pas ainsi des avantages de ce paradis fiscal, parce que l'Etat monégasque souhaitait conserver la main mise sur... sa chaîne de télévision locale ?

"Les relations étroites et privilégiées qui sont le reflet de leur amitié traditionnelle, telles qu'elles sont issues de l'Histoire et telles qu'elles s'inscrivent dans leur communauté de destin" entre la France et le Rocher relèvent, pourtant, d'un rapport de force sans cesse réévalué, afin de satisfaire les intérêts politiques, commerciaux et économiques de chacun des protagonistes.

Certes le Traité d'amitié et de coopération entre la France et Monaco prévoit, en son article premier, que la République française assure à la Principauté de Monaco la défense de son indépendance et de sa souveraineté et garantit l'intégrité du territoire monégasque dans les mêmes conditions que le sien ; et que la Principauté de Monaco s'engage à ce que les actions qu'elle conduit dans l'exercice de sa souveraineté s'accordent avec les intérêts fondamentaux de la République française dans les domaines politique, économique, de sécurité et de défense. Mais, c'est là, justement, que le bât blesse. Lorsque Charles III supprime, en 1869, les impôts personnels, fonciers et mobiliers, la France, garantissant, une nouvelle fois, la souveraineté de l'Etat monégasque en 1919, ne se doutait pas que Monaco deviendrait une place financière d'importance, un paradis fiscal dont l'opacité bancaire pourrait amoindrir ses recettes et, symboliquement, porter atteinte à sa puissance régalienne. Et le fait qu'une loi de 1934 dotât Monaco d'un régime de faveur pour les holdings ne fit rien pour améliorer les relations diplomatiques des deux Etats. Finalement, qui eut dit que la prise de la forteresse gibeline par François Grimaldi, en 1297, conduirait le Conseil d'Etat, sept siècles plus tard, à rendre toujours, et encore, des décisions réglant les conflits fiscaux entre l'administration française et certains résidents monégasques ?

Dernièrement, c'est la question de la détermination du domicile fiscal des nationaux français résidant dans la Principauté de Monaco qui fut débattue devant le Haut conseil, au cours d'un arrêt rendu le 5 octobre dernier et publié sur son site internet. Le Conseil d'Etat énonce que les nationaux français qui résident dans la Principauté de Monaco sont réputés conserver leur domicile fiscal en France et sont, dès lors, passibles de l'impôt sur le revenu, sauf s'ils sont en mesure de justifier, par la production d'un certificat de domicile délivré en application de la Convention du 23 décembre 1951 ou par tous moyens, qu'ils résidaient habituellement à Monaco depuis le 13 octobre 1957 au moins. Et Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice, de nous expliquer, cette semaine, pourquoi les dispositions combinées de la convention fiscale franco-monégasque de 1963, notamment ses articles 7 et 22, n'ont ni pour objet ni pour effet de faire des certificats de domicile qu'elles mentionnent le seul moyen de preuve de la résidence habituelle d'un contribuable à Monaco depuis cinq ans à la date du 13 octobre 1962.

Pour la grande Histoire, la convention franco-monégasque de 1963 est le fruit des négociations engagées à la suite de "la crise monégasque" issue de l'ordonnance "Image et Son" prise par Rainier III, en 1962. La perte du contrôle, par le Rocher, de la société gérant TMC, chaîne de télévision créée en 1954, au profit de l'Etat français, obligeait la principauté à user d'un stratagème juridique afin de permettre une action en justice visant à contester cette cession de contrôle. La suite, on la connaît : un ministre d'Etat français humilié et limogé pour avoir osé demander le retrait de l'ordonnance ; une abrogation en catimini sur fond de pression du Gouvernement français ; et l'obligation d'une remise à plat des relations franco-monégasques, dont les tenants et implications n'étaient manifestement plus les mêmes qu'en 1919 et 1930, dates des dernières tractations.

Le fond de l'affaire est moins romanesque. En 1962, le général De Gaulle ne peut que déplorer que, avec les Accords d'Evian et le règlement de la question franco-algérienne, le rapatriement des intérêts français s'effectue majoritairement dans les Alpes maritimes... Mais les plus fortunés décident, déjà, de s'installer dans la Principauté de Monaco... donc hors de portée de l'administration fiscale française. Ajoutez à cela, l'absence d'impôts directs encouragea l'implantation d'entreprises dans les domaines de la chimie, du textile, des appareils électriques de précision, des appareils ménagers, autant d'entreprises symboles de la croissance des Trente Glorieuses, et vous obtiendrez le cocktail détonnant qui oblige, aujourd'hui, les Français résidant à Monaco à payer l'impôt français, y compris l'impôt de solidarité sur la fortune. Et seuls les prélèvements sociaux échappent à cette extraction fiscale.

C'est ainsi que l'article 32 de la Constitution monégasque prend alors tout son sens : "L'étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux"... et les droits fiscaux sont manifestement de ces derniers.

newsid:303641