Réf. : Cass. soc., 15 novembre 2007, n° 06-44.008, Mme Gabrielle Dos Santos Martins c/ Société Oeno Conseil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7430DZ9)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Aux termes de l'article R. 143-2 du Code du travail relatif au bulletin de paie, interprété à la lumière de la Directive européenne 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991 (N° Lexbase : L7592AUQ), l'employeur est tenu de porter à la connaissance du salarié la convention collective applicable. Si, dans les relations collectives de travail, une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l'activité principale de l'entreprise, dans les relations individuelles, le salarié peut demander l'application de la convention collective mentionnée sur le bulletin de paie. Cette mention vaut présomption de l'applicabilité de la convention collective à son égard, l'employeur étant admis à apporter la preuve contraire. |
1. Retour sur la jurisprudence antérieure
En application de l'article R. 143-2 du Code du travail, le bulletin de paie doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires, parmi lesquelles figure "l'intitulé de la convention collective de branche applicable au salarié".
Le respect de cette exigence légale ne pose aucun problème lorsque la convention mentionnée dans le bulletin de paie correspond à la convention effectivement et obligatoirement applicable dans l'entreprise. Cette applicabilité obligatoire dépend, on le sait, de l'affiliation syndicale de l'employeur, de la situation géographique de l'entreprise et, enfin, de son activité économique (v., sur la question, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, §§ 822 et s.) (1).
La difficulté naît lorsque le bulletin de salaire vise une convention collective de branche qui ne correspond pas à celle normalement applicable dans l'entreprise. Cette différence procède fréquemment d'une erreur de l'employeur (2). Elle peut, également, être la conséquence de la décision de l'employeur d'appliquer tout ou partie des dispositions d'une convention collective qui n'est pas normalement applicable. En effet, et la Cour de cassation l'affirme de longue date, l'employeur peut, par une manifestation claire et non équivoque de volonté, soumettre volontairement le contrat de travail à une convention collective à laquelle il n'est pas assujetti (Cass. soc., 5 octobre 1993, n° 89-43.869, Société Surveillance de l'Ouest c/ Mme Lorillard et autre N° Lexbase : A6265ABN ; RJS 11/93, n° 1122).
Partant, quelle conséquence tirer de la mention dans le bulletin de paie d'une convention collective de branche qui n'est pas celle normalement applicable dans l'entreprise ? Pendant un temps, la Chambre sociale considérait qu'une telle mention constituait seulement un indice de la volonté de l'employeur d'appliquer cette convention, les juges du fond devant rechercher l'intention de l'employeur (Cass. soc., 10 avril 1991, n° 87-45.375, Coudray c/ SARL Art et bâtir, inédit N° Lexbase : A1471AAQ ; RJS 6/91, n° 733). Mais, par un important arrêt rendu le 18 novembre 1998, la Cour de cassation allait juger que la mention de la convention collective sur le bulletin de paie valait reconnaissance de l'application de la convention collective à l'entreprise (Cass. soc., 18 novembre 1998, n° 96-42.991, Société hôtelière cognacaise c/ Mme Mazif, publié N° Lexbase : A3757ABR ; JCP éd. G, 1999, II, 10088, note J.-Ph. Lhernould). En d'autres termes, et à compter de cette date, la mention de la convention collective n'était plus seulement un élément de preuve de l'application volontaire par l'employeur de ladite convention. Celle-ci devenait applicable par le seul fait de sa mention sur le bulletin de paie du salarié, qui pouvait dès lors s'en prévaloir.
Les décisions ultérieures rendues en la matière devaient conduire la Cour de cassation à préciser la solution retenue, mais aussi à en limiter la portée. Ainsi, celle-ci allait-elle rapidement souligner que, dans les relations collectives de travail, une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l'activité principale de l'entreprise. En revanche, dans les relations individuelles, le salarié, à défaut de se prévaloir de cette convention, peut demander l'application de la convention collective mentionnée au bulletin de paie (Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 97-44.897, M. Lapassouse c/ Société ASD, publié N° Lexbase : A8745AHD ; Dr. soc. 2000, p. 921, obs. J.-Y. Frouin) (3).
La Cour de cassation allait, par ailleurs, apporter des assouplissements à la rigoureuse solution retenue en 1998, sans pour autant renier sa position. Tout d'abord, elle affirmait en 2003 que "l'application volontaire par un employeur d'une convention collective résultant de la mention dans un contrat de travail n'implique pas à elle seule l'engagement d'appliquer à l'avenir les dispositions de ses avenants, même lorsque cette mention est reproduite sur les bulletins de salaire ultérieurs" (Cass. soc., 2 avril 2003, n° 00-43.601, Mme Marie-Odile Yvin c/ SCP Roux Delaere, publié N° Lexbase : A6342A7Z ; Dr. soc. 2003, p. 901, obs. Ch. Radé. V. aussi, du même auteur, La portée probatoire du bulletin de paie les limites d'une jurisprudence fictive, Lexbase Hebdo n° 66 du 10 avril 2003 - édition sociale N° Lexbase : N6847AAT). Elle soulignait, ensuite, que "lorsque le contrat de travail prévoit l'application volontaire de certaines clauses d'une convention collective, la seule mention de cette convention sur les bulletins de paie ne confère pas au salarié le droit de bénéficier de l'application des autres dispositions de cette convention" (Cass. soc., 10 juin 2003, n° 01-41.328, M. Alain Libert c/ GIE Groupe Laborde, publié N° Lexbase : A7229C8A).
Critiquée par certains auteurs (4), cette décision a été approuvée par d'autres, qui se demandaient si la Cour de cassation n'était pas prête à admettre que la mention de la convention applicable sur le bulletin de salaire ne créé qu'une présomption simple d'application, présomption que l'employeur pourrait renverser par tout autre moyen (Ch. Radé, La portée probatoire du bulletin de paie : le réalisme est de retour !, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7843AAQ).
L'arrêt rendu le 15 novembre dernier vient confirmer, certes avec un certain retard, la justesse de ces propos, mettant ainsi un terme à une jurisprudence critiquable.
2. La fin d'une jurisprudence contestable
Jusqu'à l'arrêt rapporté, la solution était donc simple : la mention de la convention collective applicable sur le bulletin de paie valait reconnaissance de son application à l'entreprise. Encore que la qualification ait pu être discutée, on pouvait considérer qu'on était en présence d'une présomption irréfragable. Ce qui est certain, c'est que le salarié pouvait exiger l'application de cette norme conventionnelle sans que l'employeur soit en mesure de démontrer qu'il n'avait nullement voulu faire une application volontaire de la norme en cause. Sans doute, l'employeur pouvait-il mettre un terme à cette situation pour l'avenir, en dénonçant ce qui était, au fond, un engagement unilatéral de sa part. Il n'en demeure pas moins que la solution était critiquable. D'une part, elle faisait bon ménage de l'exigence d'une volonté claire et non équivoque de l'employeur. D'autre part, elle conduisait à tirer une conséquence pour le moins excessive d'une exigence légale dont on pouvait parfaitement considérer qu'elle avait simplement valeur d'information.
Cette assertion, loin d'être erronée, était corroborée par la jurisprudence de la CJCE. Dans l'arrêt "Kampelmann" du 4 décembre 1997, celle-ci avait précisé qu'il convient d'attribuer à l'information délivrée au salarié une force probante telle qu'elle puisse être considérée comme élément susceptible de démontrer la réalité des éléments essentiels du contrat et qu'elle soit, de ce fait, revêtue d'une présomption de vérité comparable à celle qui s'attacherait dans l'ordre juridique interne à pareil document établi par l'employeur et communiqué au travailleur. Mais l'arrêt ajoutait qu'"en l'absence de régime de preuve établi par la directive elle-même, l'établissement des éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail ne saurait dépendre de la seule communication faite par l'employeur. Dès lors, l'employeur doit être autorisé à apporter toute preuve contraire en démontrant soit que les informations contenues dans la communication sont fausses en elles-mêmes, soit qu'elles ont été démenties par les faits" (CJCE, 4 décembre 1997, aff. C-253/96, Helmut Kampelmann et a. N° Lexbase : A5879AYE ; Dr. ouvrier 1998, p. 235, note M. Bonnechère).
Il apparaît ainsi que, là où la CJCE attache à la communication faite par l'employeur, en application de la Directive du 14 octobre 1991, des éléments essentiels de la relation de travail et, notamment, la convention collective applicable, la portée d'une présomption simple d'application de ladite convention, la Cour de cassation y voyait l'équivalent d'une présomption irréfragable (v., en ce sens, J.-Y. Frouin, obs. préc., p. 922). La Cour de cassation avait, sans doute, eu conscience du fait que sa jurisprudence était en contradiction avec celle de la CJCE. On en veut pour preuve que, si l'arrêt fondateur du 18 novembre 1998 avait été rendu au visa de la Directive européenne 91/533 du 14 octobre 1991 et de l'article R. 143-2 du Code du travail, les arrêts ultérieurs étaient uniquement fondés sur ce dernier texte (v., notamment, l'arrêt précité du 18 juillet 2000). Il n'en demeure pas moins que la jurisprudence de la Cour de cassation n'était pas conforme à celle de la CJCE et portait ainsi atteinte à la primauté du droit communautaire (V. en ce sens, J.-Ph. Lhernould, op. cit.).
Nonobstant ces arguments, la Cour de cassation aura maintenu, pendant près de 10 ans, une solution que l'arrêt commenté vient condamner. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "aux termes de l'article R. 143-2 du Code du travail relatif au bulletin de paie, interprété à la lumière de la Directive européenne 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991, l'employeur est tenu de porter à la connaissance du salarié la convention collective applicable ; si, dans les relations collectives de travail, une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l'activité principale de l'entreprise, dans les relations individuelles, le salarié peut demander l'application de la convention collective mentionnée sur le bulletin de paie ; cette mention vaut présomption de l'applicabilité de la convention collective à son égard, l'employeur étant admis à apporter la preuve contraire" (5).
On l'aura donc compris, la mention de la convention collective dans le bulletin de paie ne constitue plus désormais qu'une présomption simple d'applicabilité de l'acte juridique en cause dans l'entreprise. Présomption que l'employeur peut renverser en apportant la preuve contraire.
L'arrêt sous examen nous conduit à faire un singulier bond dans le temps, puisqu'on en revient, au fond, à la jurisprudence antérieure à l'arrêt du 18 novembre 1998. A nouveau la mention de la convention collective dans le bulletin de paie constitue un élément de preuve de l'application volontaire par l'employeur de ladite convention.
Par suite, si l'employeur ne parvient pas à renverser la présomption, il faut considérer qu'il a entendu appliquer volontairement la convention visée dans le bulletin de paie (6). Le salarié est, dès lors, en droit d'exiger l'application de cette convention, mais aussi, même si la Cour de cassation ne l'affirme pas expressément en l'espèce, la convention collective normalement applicable dans l'entreprise. En revanche, s'agissant des relations collectives de travail, seule cette dernière convention doit être appliquée.
Telle n'est évidemment pas la situation la plus problématique. La difficulté risque de naître lorsque l'employeur apportera la preuve que, malgré la mention de telle ou telle convention dans le bulletin de paie, il n'a pas entendu en faire une application volontaire. Encore convient-il, ici, de distinguer deux cas. Si, comme en l'espèce, la convention collective de branche revendiquée par les salariés n'a jamais été appliquée, en tout ou partie, dans l'entreprise, il n'y a aucun problème. En revanche, si la convention visée par le bulletin de paie a été appliquée et a permis aux salariés de bénéficier de certains avantages, l'employeur n'est-il pas en droit d'exercer une action en répétition de l'indu ? Une réponse affirmative doit sans aucun doute être apportée, d'autant plus que, on le sait, en cas d'indu objectif, l'erreur du solvens n'est plus une condition de la répétition de l'indu.
Pour autant, on peut considérer que si l'employeur a respecté les obligations mises à sa charge par la convention collective, c'est qu'il a clairement entendu en faire une application volontaire, ainsi que le laisse entendre la mention de la convention dans le bulletin de paie (7). Il n'en demeure pas moins que la solution retenue par la Cour de cassation laisse à notre sens supposer que, dans certaines situations, un employeur pourra être en mesure de renverser la présomption induite de la mention de la convention collective dans le bulletin de paie, alors même que celle-ci aura reçu application dans l'entreprise. Il faut alors espérer que l'employeur saura se montrer raisonnable et qu'il ne tirera pas toutes les conséquences de son erreur.
Décision
Cass. soc., 15 novembre 2007, n° 06-44.008, Mme Gabrielle Dos Santos Martins c/ Société Oeno Conseil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7430DZ9) Rejet (CA Nancy, chambre sociale, 19 mai 2006) Texte concerné : C. trav., art. R. 143-2 (N° Lexbase : L1837G9W), interprété à la lumière de la Directive européenne 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991 (N° Lexbase : L7592AUQ). Mots-clefs : bulletin de paie ; convention collective ; application volontaire ; présomption simple. Lien bases : |
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