Réf. : Cass. soc., 21 novembre 2007, n° 06-44.993, M. Eric Phenix, F-P+B (N° Lexbase : A7196DZK)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
La résiliation d'un contrat de travail à durée indéterminée prononcée au cours d'une période de suspension, résultant d'un arrêt de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, est nulle à moins que l'employeur ne justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de l'impossibilité devant laquelle il se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, de maintenir le contrat de travail. Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, d'une part, aux indemnités de rupture et, d'autre part, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite de la rupture, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond, dès lors qu'il est, au moins, égal à celui prévu à l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74). |
1. Licenciement du salarié malade : mode d'emploi
L'article L. 122-32-2 du Code du travail dispose que, "au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut résilier le contrat de travail à durée indéterminée que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie de maintenir ledit contrat". L'alinéa 3 de ce même texte prévoit que "toute résiliation du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions du présent article est nulle".
Ainsi, seule la faute grave ou l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie (comme, par exemple, une fin de chantier) peut être invoquée au soutien d'un licenciement lorsque la rupture intervient au cours d'une période de suspension du contrat de travail pour cause d'accident ou de maladie professionnelle
Lorsque l'employeur invoque la faute grave, il faut qu'il respecte la procédure disciplinaire.
Cette procédure, qui s'articule avec la procédure de licenciement, est prévue à l'article L. 122-41 du Code du travail.
Cet article prescrit, dans son second alinéa, notamment, de notifier la sanction disciplinaire au moins un jour franc et au plus un mois après la tenue de l'entretien. Ceci signifie, en présence d'un licenciement, que la notification de celui-ci ne peut intervenir plus d'un mois après la tenue de l'entretien préalable. Le cas échéant, le licenciement est considéré comme ne reposant pas sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 14 septembre 2004, n° 03-43.796, F-P N° Lexbase : A3870DDP ; Bull. civ. V, n° 226), ce qui entraîne la mise à l'écart de la faute grave, fût-elle avérée, qui était invoquée par l'employeur au soutien de la rupture.
Cette disqualification de la rupture n'est pas sans conséquence, notamment, lorsque le licenciement est intervenu sur le fondement de l'article L. 122-32-2 du Code du travail et, singulièrement, lorsque l'employeur avait retenu la faute grave pour pouvoir licencier le salarié dont le contrat était suspendu pour cause d'accident du travail. Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, l'employeur ne pouvait rompre le contrat de travail du salarié. La dérogation prévue par l'article L. 122-32-2 du Code du travail ne pouvait être invoquée, le licenciement survenu était donc nul.
Tel était le cas dans la décision commentée.
Dans cette espèce, un salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement pour faute grave, auquel il ne s'est pas présenté. Après plusieurs convocations, un entretien s'est tenu le 17 décembre 2002. Le lendemain, le salarié adressait à son employeur des certificats médicaux se référant à un accident du travail survenu le 18 décembre 2002 et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 20 avril 2003. Licencié le 14 avril 2003 pour faute grave, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'indemnisation en se fondant sur la nullité de la rupture intervenue.
La cour d'appel a fait partiellement droit à la demande du salarié. Elle a, en effet, condamné l'employeur mais simplement parce qu'elle a considéré que le licenciement du salarié était sans cause réelle et sérieuse, refusant, par là même, de retenir la nullité de la rupture et prononçant son indemnisation sur le fondement de l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB).
La Cour de cassation ne l'entend pas de la même manière. Elle rappelle, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 122-32-2 du Code du travail, la résiliation d'un contrat de travail à durée indéterminée prononcée au cours d'une période de suspension résultant d'un arrêt de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle est nulle, à moins que l'employeur justifie soit d'une faute grave de l'intéressé ou de l'impossibilité devant laquelle il se trouve pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie de maintenir le contrat de travail. Elle souligne, en second lieu, que, dans une telle hypothèse, le salarié qui ne demande pas sa réintégration a droit, d'une part, aux indemnités de rupture et, d'autre part, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fonds dès lors qu'il est au moins égal à celui prévu par l'article L. 122-14-4 du Code du travail, soit six mois de salaire. Relevant que la cour d'appel avait constaté que le licenciement avait été notifié après le délai d'un mois prévu à l'article L. 122-41 du Code du travail, et prononcé pendant une période de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail, elle conclut à la nullité de la rupture.
Cette solution entière doit pleinement être approuvée d'un point de vue théorique. D'un point de vue pratique, en revanche, elle semble quelque peu disproportionnée.
2. La nullité corollaire de la disqualification de la faute du salarié
La cour d'appel avait retenu une solution différente de celle de la Haute juridiction. Les juges du second degré, appliquant la jurisprudence traditionnelle en la matière, avaient conclu à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé. Ils n'étaient, toutefois, pas allés jusqu'au bout de leur raisonnement, omettant par là même de tirer les conséquences de cette disqualification sur le licenciement prononcé. Ce sont, en effet, les particularités de l'espèce qui entraînent ces conséquences en cascade ; il ne pouvait en être autrement.
L'article L. 122-32-2 du Code du travail est une disposition protectrice du salarié accidenté ou malade. Cette disposition tend, en effet, à éviter que l'employeur ne se débarrasse d'un salarié pendant la période de suspension de son contrat de travail. Le principe est donc l'interdiction de licencier. A cette interdiction, le législateur est venu poser deux exceptions : l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l'accident ou la maladie et la faute grave. Ces deux exceptions sont d'interprétation stricte.
Si l'on suit la lettre de l'article L. 122-32-2 du Code du travail, la conclusion s'impose, la cause du licenciement détermine la possibilité ou l'impossibilité devant laquelle se trouvait l'employeur de rompre le contrat de travail de son salarié et, partant, la légitimité ou la nullité de la rupture.
Dans la mesure où, indépendamment de sa cause, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il n'est pas fondé sur une faute grave ; l'employeur ne pouvait donc pas poursuivre la rupture du contrat de travail sur ce fondement.
En conséquence, le salarié pouvait soit demander la nullité de la rupture et réintégrer l'entreprise, soit demander l'indemnisation du préjudice résultant de l'illicéité du licenciement laquelle trouve son fondement dans l'article L. 122-14-4 du Code du travail et ne peut être inférieure à six mois de salaire.
CQFD, la solution est donc parfaitement justifiée.
Mais, bien qu'il faille admettre que la nullité devait dans ce cas être retenue, étant la conséquence directe de la disqualification de la rupture, elle peut apparaître totalement disproportionnée.
Sanctionner par la nullité une simple irrégularité de forme est une sanction que l'on peut qualifier d'"anormale", notamment au regard des règles entourant le droit du licenciement. La sanction d'une irrégularité de forme est, en principe, une indemnité, voire la disqualification du licenciement qui voit son caractère réel et sérieux remis en cause (voir, sur ce point, C. trav., art. L. 122-14-4) mais, en aucun cas, elle n'aboutit à l'annulation de la rupture. On veut bien comprendre que le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle doive être protégé mais, de là à un faire un salarié "hyper" protégé... La critique se fait d'autant plus vive que la nullité n'est pas directement prévue par un texte et qu'elle est appliquée dans une hypothèse que l'on peut qualifier de douteuse.
Comment, en effet, expliquer qu'une erreur dans les délais de notification du licenciement puisse être à l'origine de la nullité du licenciement d'un salarié originairement prononcé pour faute grave ? Certes, les règles contenues dans le Code du travail doivent être observées, mais de là à permettre à un salarié exclu en raison de son attitude envers ses collègues de réintégrer l'entreprise, et au surplus de lui faire bénéficier d'une indemnisation maximale...
Cette question se fait d'autant plus pressante et la disproportion encore plus criante, lorsque, comme dans l'espèce commentée, l'accident survient le lendemain de l'entretien préalable, lequel, au vu des circonstances de la rupture, n'a pas dû bien se passer. Quelle coïncidence !
Décision
Cass. soc., 21 novembre 2007, n° 06-44.993, M. Eric Phenix, F-P+B (N° Lexbase : A7196DZK) Cassation (CA Bordeaux, 5ème ch., 1er décembre 2005, n° 04/02106, M. Eric Phénix N° Lexbase : A8127DNC) Texte visé : C. trav., art. L. 122-32-2 (N° Lexbase : L5519ACE) Mots-clefs : licenciement ; suspension du contrat de travail ; non-respect de la procédure disciplinaire ; accident du travail ; nullité de la rupture ; indemnisation du préjudice du salarié ; absence de demande de réintégration. Lien bases : |
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