La lettre juridique n°284 du 6 décembre 2007 : Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

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le 30 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Au sommaire de cette chronique seront abordées, la clause de médiation, l'autorité de la chose jugée, les conditions de l'intervention volontaire d'un tiers en appel et la concurrence de deux pourvois contre la même décision I - Clause de médiation obligatoire et procédure contractuelle de médiation
  • Les parties au contrat sont tenues de respecter la procédure de médiation prescrite par une clause du contrat destinée à cet effet : Cass. civ. 1, 30 octobre 2007, n° 06-13.366, M. Albert Scémama, F-P+B (N° Lexbase : A2306DZG)

Depuis l'arrêt de principe rendu par une Chambre mixte de la Cour de cassation, le 14 février 2003, l'on sait que les clauses de conciliation ou de médiation imposées par un contrat constituent des fins de non-recevoir qui font obstacle à la saisine de la juridiction tant qu'il n'est pas constaté que la tentative de conciliation a échoué (1).

En revanche, la Cour de cassation n'avait pas précisé quelles étaient les formalités à accomplir pour démontrer l'échec de la conciliation.

Dans l'arrêt étudié, cette question faisait débat, car le contrat avait aménagé une procédure complexe de conciliation dans une clause rédigée ainsi :

"En cas de difficultés soulevées par l'application du présent contrat, les parties s'engagent, préalablement à toute action contentieuse, à soumettre leur différend à deux membres du conseil départemental de l'ordre des médecins des Yvelines, chacun choisissant librement l'un de ces deux membres. Ceux-ci s'efforcent de concilier les parties et de les amener à une solution amiable, et ce, dans un délai maximum de trois mois à compter de la désignation du premier conciliateur".

Pour autant, l'une des parties avait cru pouvoir contourner cette procédure en soumettant la tentative de conciliation à un tiers non visé par le contrat et en communiquant un projet de transaction à son cocontractant qui l'avait refusé.

Fort de cet échec, le contractant à l'origine de la tentative de conciliation avait pris l'initiative de saisir la justice et la cour d'appel avait déclaré l'action recevable en raison de l'impossibilité de trouver un accord amiable.

La Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), 122 (N° Lexbase : L2068ADX) et 123 (N° Lexbase : L2069ADY) du Nouveau Code de procédure civile. Elle considère, implicitement, que la tentative de conciliation n'était pas conforme aux prévisions du contrat et qu'elle ne peut, dès lors, ouvrir la voie de l'action en justice.

Cette solution est intéressante, car elle reconnaît la valeur contraignante de la procédure de conciliation prévue par le contrat. En d'autres termes, les parties liées par une clause de conciliation ou de médiation doivent, non seulement tenter de s'entendre, mais elles doivent encore le faire conformément à la procédure instituée dans le contrat.

Cette solution est conforme à l'article 1134 du Code civil. Elle nous apprend aussi que les règles de conciliation échappent à l'ordre public et peuvent être librement aménagées par les parties.

II - Autorité de la chose jugée et principe de concentration des moyens

  • Le rejet d'une action en responsabilité délictuelle fait obstacle à une action en responsabilité contractuelle entre les mêmes parties et pour le même objet : Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-19.524, M. Etienne Blot, FS-P+B (N° Lexbase : A2533DZT)

La notion d'identité des causes a longtemps fait débat jusqu'à ce que l'Assemblée plénière en précise partiellement la signification (2). La Haute juridiction a, notamment, affirmé qu'une modification du moyen de droit invoqué par une partie n'entraînait pas un changement de cause et ne permettait pas d'exercer une nouvelle action. Elle a, ainsi, posé le principe de concentration des moyens en adoptant la formule suivante : "il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci".

La deuxième chambre civile vient de faire application de cette jurisprudence dans un arrêt d'espèce intéressant.

A la suite d'un accident médical, une patiente avait exercé l'action civile devant le juge répressif. Pour autant, le médecin avait été relaxé et l'action en responsabilité délictuelle avait été rejetée par la juridiction pénale.

Désormais méfiante à l'égard des juridictions répressives, la victime de l'accident décida de porter une nouvelle action en responsabilité contractuelle devant le juge civil.

La cour d'appel crut pouvoir déclarer cette action recevable, mais son arrêt fut cassé par la deuxième chambre civile au visa de l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP). Reprenant le principe de concentration des moyens, la Cour de cassation a ajouté : "comme la demande originaire, la demande dont était saisie [la cour d'appel], formée entre les mêmes parties, tendait à l'indemnisation des préjudices résultant de l'intervention médicale".

La Cour a donc constaté qu'il y avait identité de parties et d'objet et que le changement de fondement juridique (responsabilité contractuelle plutôt que délictuelle) ne pouvait entraîner une modification de la cause.

Cette identité entre responsabilités délictuelle et contractuelle est d'autant plus convaincante en matière médicale, qu'aujourd'hui ces deux régimes ont été fusionnés au profit d'un droit unique de la responsabilité aménagé dans le Code de la santé publique (C. santé publ., art. L. 1142-1 N° Lexbase : L8853GT3).

III - Conditions de l'intervention volontaire d'un tiers en appel

  • L'appréciation de l'intérêt à agir de l'intervenant volontaire et du lien suffisant qui doit exister entre ses demandes et les prétentions originaires relève du pouvoir souverain des juges du fond : Cass. mixte, 9 novembre 2007, n° 06-19.508, Société Les Ballades c/ Société Colisée rareté, P+B+R+I (N° Lexbase : A5534DZY)

L'intervention d'un tiers au procès pour la première fois en appel soulève des difficultés, tant au regard du principe du double degré de juridiction, que de l'immutabilité du litige. Deux conditions cumulatives doivent ainsi être réunies pour que l'intervention volontaire soit déclarée recevable. D'une part, le tiers doit avoir intérêt à intervenir dans le litige en cours (NCPC, art. 554 N° Lexbase : L2804AD9). Cet intérêt s'apprécie au regard du litige qui a été tranché en première instance, de sorte que le tiers, en s'immisçant dans le procès, ne doit pas faire naître un nouveau litige. D'autre part, la prétention du tiers doit être rattachée aux prétentions originaires des parties en première instance par un lien suffisant (NCPC, art. 325 N° Lexbase : L2539ADE).

Cette double appréciation de l'intérêt du tiers et du lien suffisant faisait l'objet d'une interprétation pour le moins aléatoire des différentes chambres de la Cour de cassation (3). La question fut donc portée devant une Chambre mixte. Cette affaire particulièrement complexe portait au fond sur la validité d'un congé donné par le propriétaire d'un bail commercial à son preneur, une EURL. Après que ce congé eut été confirmé par les juges de première instance, l'EURL fit appel de la décision et, par la suite, l'associée unique de l'EURL exerça une intervention volontaire dans cette instance. Cette intervention fut déclarée irrecevable par la cour d'appel.

L'intervenante forma un pourvoi en cassation contre cette décision d'irrecevabilité en invoquant le fait que l'intervention avait pour objet d'obtenir le versement d'une indemnité personnelle consécutive au congé délivré par le bailleur.

Ce pourvoi fut rejeté par la Cour de cassation qui considéra de façon laconique que "l'appréciation de l'intérêt à agir de l'intervenant volontaire et du lien suffisant qui doit exister entre ses demandes et les prétentions originaires relève du pouvoir souverain des juges du fond".

Cette solution met donc fin à l'incertitude pesant sur cette question. L'on peut tout de même regretter une telle solution. En application de cette jurisprudence, l'intérêt pour agir du tiers est apprécié pour la première et la dernière fois par la cour d'appel. Le désintérêt de la Cour de cassation place l'intervenant dans une position délicate. S'il est exclu du procès par la cour d'appel, ce dernier n'a d'autre solution que d'exercer une nouvelle fois son action devant les premiers juges. Il n'est pas certain que la procédure gagne ici en efficacité.

IV - Concurrence de deux pourvois contre la même décision

  • Lorsque la Cour de cassation est saisie de deux pourvois dont le premier est irrecevable, la Haute juridiction doit écarter le premier recours et examiner le second : Ass. plén., 23 novembre 2007, n° 05-17.975, M. Bernard Romero c/ M. Bernard Trouillet, P+B+R+I (N° Lexbase : A9299DZG)

A l'occasion d'une action en recherche de paternité, un fils prétendu a été débouté de sa demande d'expertise biologique. Il a formé deux pourvois contre l'arrêt d'appel. Le premier pourvoi a été exercé avant la signification de l'arrêt et le second pourvoi après cette signification. La première chambre civile saisie de ces deux pourvois a renvoyé l'affaire devant l'Assemblée plénière.

La situation de l'auteur des pourvois était délicate. En effet, en application de l'article 611-1 du NCPC (N° Lexbase : L2867ADK), le premier recours était irrecevable, car il avait été formé avant la signification de l'arrêt d'appel.

L'avocat s'était vraisemblablement rendu compte de cette erreur et c'est pour cette raison qu'il avait formé un nouveau pourvoi après la signification. Mais ce second pourvoi était confronté à une autre règle, jurisprudentielle cette fois, selon laquelle deux pourvois ne peuvent être exercés contre une même décision. Cette règle, issue de l'adage "pourvoi sur pourvoi ne vaut", a été reprise par la Cour de cassation sous diverses formules (4).

Si les deux principes étaient appliqués simultanément, l'auteur des pourvois risquait de voir ses deux recours déclarés irrecevables sans que la question de fond (sur l'expertise biologique) soit tranchée par la Cour de cassation. Cette solution aurait été théoriquement envisageable, mais elle n'était pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme pour qui le droit au recours découle de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et ne peut être atteint dans sa substance même ou réduit en raison d'un formalisme excessif (5).

L'Assemblée plénière a donc choisi une autre option. En se fondant sur l'article 611-1 du NCPC, elle a déclaré que le premier pourvoi en cassation était irrecevable pour avoir été exercé avant la signification de l'arrêt attaqué. Elle a, ensuite, statué au fond sur le moyen qui concernait l'expertise génétique. Implicitement, elle a donc admis la recevabilité du second pourvoi en raison de l'irrecevabilité du premier (6).

On en déduit que la règle "pourvoi sur pourvoi ne vaut" ne peut s'appliquer que dans l'hypothèse où le premier pourvoi est recevable.

La solution est aussi logique que souhaitable. Lorsqu'elle est saisie de deux pourvois successifs contre la même décision, la Cour de cassation doit simplement en écarter un et examiner l'autre.


(1) Cass. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423, M. Daniel Poiré c/ M. Daniel Tripier, P (N° Lexbase : A1830A7W), D. 2003, p. 1386.
(2) Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, n° 04-10.672, M. Gilbert Cesareo, P+B+R+I (N° Lexbase : A4261DQU), D. 2006, p. 2135, Procédures n° 10, octobre 2006, comm. 201.
(3) Voir, sur ce point, le rapport du conseiller M. Lacabarats, qui cite nombre de jurisprudences allant en sens contraires les unes vis-à-vis des autres.
(4) Par exemple, "Attendu qu'une même personne, agissant en la même qualité, ne peut former qu'un seul pourvoi en cassation contre la même décision", Cass. civ. 1, 9 février 1999, n° 97-04.041, Crédit municipal de Paris, établissement public c/ M. Richard Gossart et autres, inédit (N° Lexbase : A1194CQB).
(5) Voir, par exemple, CEDH, 26 juillet 2007, Req. n° 35787/03, Walchli c/ France (N° Lexbase : A5133DXE).
(6) Cette interprétation est déduite de la lecture du rapport du conseiller M. Moussa.

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