Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4724DXA)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Au regard de l'application du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un accord collectif ne saurait justifier des différences de traitement entre eux, à la seule exception de celles résultant, pour les salariés engagés avant la dénonciation, des avantages individuels acquis par ces derniers, conformément à l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN), lesquels ont pour objet de compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages. |
1. La non-pertinence de la seule justification tirée de la date d'embauche au regard des modifications du statut conventionnel
L'arrêt "Ponsolle", qui a fixé les termes de la jurisprudence relative au principe "à travail égal, salaire égal", avait pris la peine de préciser que le droit des salariés à une même rémunération ne valait que pour autant qu'ils se trouvaient dans une "situation identique" (1).
Par la suite, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que le seul fait que des salariés aient été embauchés à des dates différentes n'était pas suffisant pour justifier des inégalités salariales.
Dans deux décisions non publiées rendues en 2003 (2), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait retenu une analyse comparable en rejetant le pourvoi dirigé contre une cour d'appel qui avait condamné un employeur, après avoir "constaté qu'en fonction de la seule date de leur engagement, les salariés qui se trouvaient dans la même situation et qui exerçaient la même fonction ne percevaient pas la même rémunération", la Cour ayant d'ailleurs indiqué, à cette occasion, que la juridiction avait ainsi "légalement justifié sa décision".
Cette solution a, par la suite, été confirmée par l'arrêt "Ritz", rendu en 2005 (3).
La date d'embauche peut, toutefois, révéler une différence de situation qui justifiera, alors, la différence de traitement litigieuse. Il en ira ainsi lorsque les salariés présentent une ancienneté significativement différente, comme cela avait été admis dans l'arrêt "Ponsolle", et comme cela a été, depuis, confirmé (4).
Dans un arrêt en date du 27 février 2007, la Cour de cassation a, également, précisé que "la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux" (5).
Comme nous avions eu l'occasion de le souligner, la Cour de cassation ne se contente plus, aujourd'hui, de justifications purement formelles et impose, tant aux salariés qui se prétendent victimes d'une inégalité salariale qu'aux juges du fond qui leur donnent raison, de motiver leurs prétentions à l'aide d'indices concrets tirés d'une analyse fouillée de leur situation réelle au sein de l'entreprise (6).
Dans cette affaire, comme dans d'autres d'ailleurs, la convention collective, qui prétendait opérer une distinction entre les bénéficiaires des avantages prévus, avait pour objectif de compenser la mise en place d'un nouveau mode de rémunération au sein de l'entreprise qui risquait de se traduire par une baisse de la rémunération des salariés embauchés auparavant, soit dans le cadre du passage aux 35 heures (7), soit que celle-ci ait remis à plat son système de rémunération (8). Dans ces cas de figure, les salariés embauchés avant l'entrée en vigueur de la convention collective risquaient de voir leurs rémunérations baisser en même temps que la durée du travail applicable ou que la mise en place des nouveaux modes de rémunération. Il s'agissait, alors, de corriger une éventuelle injustice frappant les salariés les plus anciens, mais, également, de prévenir des contentieux individuels de salariés trouvant, dans leur contrat de travail, la garantie du maintien de leur rémunération antérieure et refusant l'application des dispositions conventionnelles nouvelles (9).
2. La pertinence de la justification tirée de l'application de la règle de maintien des avantages individuels acquis
Les aléas qui affectent le statut collectif dans l'entreprise ne résultent pas nécessairement de la conclusion d'un nouvel accord collectif. Lorsque l'accord d'entreprise est dénoncé ou mis en cause et qu'aucun accord de substitution n'est conclu dans le délai de 12 mois qui suit l'expiration du préavis, l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail, introduit une rupture dans le traitement entre salariés en n'assurant que le maintien des avantages individuels acquis.
De ce maintien naît donc une double inégalité entre, d'une part, les anciens salariés, qui ont effectivement pu bénéficier des droits reconnus par la convention dénoncée ou mise en cause, et ceux qui ne peuvent revendiquer que de simples expectatives, et les bénéficiaires du maintien des avantages et les salariés embauchés après l'expiration du délai de 12 mois, d'autre part, qui ne pourront jamais revendiquer le bénéfice d'une convention qui, par hypothèse, avait cessé de produire effet au moment de leur embauche.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de statuer sur ce cas de figure dans l'hypothèse du maintien des avantages individuels acquis à la suite de la mise en cause d'un accord consécutive à la fusion de deux entreprises. La Cour avait, alors, considéré comme justifiée la disparité entre les salariés de l'entreprise absorbée, bénéficiaires du maintien des avantages, et ceux de l'entreprise absorbante qui s'en trouvaient exclus, et affirmé "qu'en l'absence d'un accord d'adaptation le maintien aux salariés transférés des avantages individuels acquis en application de l'accord mis en cause par l'absorption ne pouvait constituer à lui seul pour les autres salariés de l'entreprise auxquels cet avantage n'était pas appliqué un trouble manifestement illicite" (10).
Dans une certaine mesure, pareille solution résulte, également, de la solution adoptée par la Cour de cassation concernant le sort des usages et engagements unilatéraux de l'employeur lorsque l'entreprise est cédée, puisque les avantages qui en résultent ne continueront de bénéficier qu'aux salariés transférés, et ne profiteront pas aux salariés de la nouvelle entreprise (11).
C'est cette solution que vient confirmer cet arrêt en date du 11 juillet 2007. Tout en retenant une solution identique, la Cour fournit, toutefois, un élément de justification supplémentaire. Si l'application de l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail, est de nature à justifier la différence de traitement constatée, c'est parce que les avantages individuels acquis "ont pour objet de compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages".
On ne pourra que saluer cet effort de motivation que s'impose à son tour la Cour, car il paraît juste que les Hauts magistrats montrent l'exemple après avoir contraint demandeurs et juges du fond à ne pas se contenter de justifications purement formelles.
En faisant référence à la fonction compensatrice de la règle du maintien des avantages individuels acquis, la Cour fédère ainsi sa jurisprudence autour de cette fonction et s'inscrit dans la droite ligne des décisions rendues à propos des garanties mensuelles de rémunération mises en place par accords collectifs (12) ou des primes destinées à compenser les modifications intervenues dans les modes de rémunération (13).
Cette solution semble parfaitement justifiée, et pas seulement parce qu'elle garantit aux salariés les plus anciens le maintien de leur rémunération, récompensant ainsi leur fidélité à l'entreprise.
C'est, en effet, le législateur lui-même qui a souhaité opérer cette différence de traitement et limiter le maintien des avantages acquis sur le fondement de la convention dénoncée ou mise en cause à une certaine catégorie de salariés. Généraliser le bénéfice de ces avantages en faisant application du principe "à travail égal, salaire égal" aurait pour conséquence de priver l'article L. 132-8 de toute effectivité en généralisant le maintien des avantages individuels acquis, au-delà des prévisions du législateur, et de supprimer une grande partie des effets de la dénonciation ou de la mise en cause, portant ainsi à la liberté des partenaires sociaux une atteinte certainement excessive.
3. Les incertitudes portant sur les autres justifications admises
La nouvelle formule adoptée n'est, toutefois, pas sans susciter d'importantes interrogations. Il convient, en effet, de s'interroger sur la portée de l'ajout, à la solution issue de l'arrêt "IBM", de la justification tirée de la volonté de "compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages".
L'explication la plus simple est certainement, comme nous l'avons indiqué, à rechercher du côté d'un salutaire effort de motivation des arrêts et de justification de la solution retenue, et ce afin d'emporter l'adhésion des justiciables, ce dont on ne peut que se réjouir.
Une autre explication pourrait toutefois être avancée. En visant l'existence de la justification légale, tirée de l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail, et en ajoutant la référence à la fonction compensatrice de la règle posée, ne pourrait-on pas penser, en effet, que la Cour ne se contenterait pas du fait que la justification avancée tire sa légitimité de sa seule origine légale, mais exigerait de surcroît que cette justification, comme toute autre d'ailleurs, réponde au désir de compenser un préjudice ?
L'interprétation de cette décision rejoindrait alors les interrogations nées après l'arrêt "Sogara" où la Cour, tout en consacrant la jurisprudence "EDF/GDF", admettant que des différences de traitement puissent valablement résulter de la diversité, au sein d'une même entreprise, des accords d'établissement (14), avait précisé que cette justification valait "compte tenu de leurs caractéristiques" (15).
Cet arrêt rendu le 11 juillet 2007, tout comme l'arrêt "Sogara", s'expliquerait alors par la même volonté de ne pas se laisser enfermer dans une logique purement formelle et de rechercher, au-delà des apparences, la finalité réelle des justifications avancées par l'employeur.
Mais alors, si l'intention de la Cour de cassation est bien de contrôler la pertinence des justifications avancées, même si celles-ci résultent de l'application de dispositions légales ou conventionnelles, ne risque-t-on pas d'assister à une dérive dans le contrôle opéré par la Haute juridiction qui se permettrait ainsi de réexaminer l'opportunité de justifications voulues par le Parlement, ou les partenaires sociaux ? Si le contrôle de conformité des dispositions conventionnelles au principe "à travail égal, salaire égal" peut se comprendre dans la mesure où ce principe a valeur légale, et présente d'ailleurs un caractère d'ordre public, que penser de l'extension d'un tel contrôle aux dispositions légales du Code du travail ?
Certes, le principe d'égalité salariale se rattache au principe général d'égalité proclamé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (N° Lexbase : L1366A9H) (16) et figure d'ailleurs dans bon nombre de déclarations de droits (17) ; il peut donc apparaître, à ce double titre, comme possédant une autorité supérieure à la loi. Mais, faut-il rappeler que le juge ne dispose pas du pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois, et qu'il semblerait bien excessif qu'en exerçant un contrôle de conventionalité, le juge judiciaire se substitue purement et simplement au législateur dans l'appréciation des impératifs qui justifieraient que soient favorisées certaines catégories de salariés (18), et ce alors que le Conseil constitutionnel lui-même a considéré "qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes défavorisées" dès lors que "les différences de traitement qui en résultent sont en rapport direct avec la finalité d'intérêt général poursuivie par le législateur" (19).
Sans faire ici de procès d'intention à la Cour de cassation, qui n'a certainement pas voulu s'engager sur pareille voie, il nous semble qu'il convient, tout de même, de se montrer vigilant car le pouvoir de faire la loi, et de faire pour cela des choix politiques et sociaux, doit être réservé au pouvoir législatif, et à lui seul.
Une autre incertitude subsiste à la lecture de cet arrêt rendu le 11 juillet 2007. La Cour de cassation utilise, en effet, une formule restrictive qui semble limiter à la seule hypothèse de l'application de la règle légale du maintien des avantages individuels acquis la possibilité de justifier la différence de traitement résultant du fait que les salariés ont été engagés avant ou après la dénonciation d'un accord collectif (20).
Or, d'autres cas de figure peuvent se présenter et sont, en pratique, fréquents, comme le montrent d'ailleurs de nombreux arrêts rendus par la Cour de cassation, que l'on songe à l'existence d'un accord de remplacement, conclu dans la période des douze mois qui suit l'expiration du préavis et sauvegardant les avantages des anciens salariés dont ils bénéficiaient dans le cadre de la convention dénoncée ou mise en cause, ou d'un nouvel accord d'entreprise, conclu au-delà de la période des douze mois, et ayant le même objet (21). Ces hypothèses, qui ne diffèrent pas réellement de celles pour lesquelles la Cour avait admis que le nouveau texte favorise les anciens salariés pour compenser le préjudice causé par les modifications intervenues dans le statut collectif, sont-elles désormais menacées par le caractère extrêmement restrictif de la formule employée ?
Certes, la Cour rappelle, dans cet arrêt, que le maintien des avantages individuels acquis s'opère "en l'absence d'un accord de substitution", ce qui pourrait réserver a contrario l'hypothèse de différences de traitement résultant d'un tel accord, et pour les mêmes motifs. Mais, quel sera le sort d'un accord conclu au-delà du délai de survie de douze mois, et qui poursuit la même finalité compensatrice ?
Il nous semble que ce qui compte est bien la finalité poursuivie par les partenaires sociaux, et non la forme ou la qualification juridique que peut prendre cet accord ; on ne comprendrait, en effet, pas pourquoi ce qui est admis pour un accord de révision ou de substitution, ne le serait pas pour un accord conclu dans une situation de vide conventionnel, mais qui poursuivrait le même objectif.
Décision
Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4724DXA) Cassation (cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17ème chambre, 16 janvier 2006, 25 arrêts) Texte visé : principe "à travail égal, salaire égal" Mots-clefs : rémunération ; inégalité salariale ; justification. Lien bases : |
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