La lettre juridique n°272 du 13 septembre 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] CNE : exclusion licite

Réf. : TA Poitiers, 30 juillet 2007, n° 0601980 (N° Lexbase : A7173DXX) ; TA Poitiers, 30 juillet 2007, n° 0700087 (N° Lexbase : A7174DXY)

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N2789BCB

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Les deux jugements du tribunal administratif de Poitiers rendus le 30 juillet dernier ne sont pas sans rappeler l'espèce qui avait été portée par le préfet de la Gironde devant le tribunal administratif de Bordeaux en 2006 (TA Bordeaux, du 15 juin 2006, n° 0602049, Préfet de la Gironde c/ Commune de Bègles N° Lexbase : A3239DQZ). Dans cette affaire, la demande du préfet tendait, en effet, à obtenir l'annulation de la délibération du conseil municipal de Bègles qui "invitait" la commission des appels d'offres à évincer les entreprises soumissionnaires qui auraient recours à des contrat nouvelles embauches (CNE). Le problème était donc, également, celui de l'exclusion par une délibération du contrat nouvelles embauches. L'identité s'arrête toutefois à l'objet de la demande... Dans les deux espèces commentées, le préfet souhaitait obtenir l'annulation de la délibération prise par le conseil régional Poitou-Charentes du 26 juin 2006 qui rend inéligible à l'aide régionale les demandes des entreprises effectuées dans le cadre du tutorat tremplin lorsque les recrutements sont faits par ces entreprises par le biais de contrats nouvelles embauches. Le motif invoqué au soutien de cette exclusion est que les recrutements en contrats nouvelles embauches ne favorisent pas une réelle possibilité pour les jeunes concernés d'accéder à un emploi durable. Bien que la motivation du conseil régional ne soit pas particulièrement heureuse, le CNE étant, faut-il le rappeler, un contrat de travail à durée indéterminée, le tribunal administratif a conclu au rejet des demandes formées par le préfet et, partant, validé la délibération du conseil régional. La position du tribunal administratif ne peut qu'être approuvée. Il faut dire que les motivations amenées au soutien de cette demande d'annulation n'étaient pas particulièrement pertinentes.

Résumé

N'est pas illégale la délibération du conseil régional tendant à exclure du bénéfice de la prime régionale à l'emploi, les contrats nouvelles embauches.

1. Des arguments inopérants

L'appui de l'article L. 1511-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7908HBI), qui vient définir le régime et les modalités d'octroi des aides aux entreprises dans la région, ne permettait pas d'accéder à la demande d'annulation formée par le préfet.

Cette disposition vient, en effet, permettre au conseil régional de décider librement de l'octroi de ces aides. Elle dispose que "le conseil régional définit le régime et décide de l'octroi des aides aux entreprises dans la région". Il n'existe, dans cette disposition, aucune limite au pouvoir de décision et, partant, d'exclusion du conseil régional. Il semble même, au contraire, que ce texte permette d'induire la "plénitude des pouvoirs" du conseil en la matière.

Le recours à une ingérence du conseil régional dans la gestion des entreprises, également avancée par le demandeur, ne pouvait qu'être rejeté.

Pour le préfet, en effet, cette exclusion du CNE des aides régionales entraînait une immixtion du conseil régional dans la gestion des entreprises, ce dernier substituant son appréciation à celle de l'employeur sur l'opportunité de recourir à tel ou tel type de contrat. Or, rien n'empêche les entreprises de recourir au CNE, au contraire. Elles devront seulement choisir entre CNE et donc facilité de rupture, et aides financières, à moins que le CNE soit couplé avec un contrat aidé.

Dans la seconde espèce, le préfet invoquait, en outre, le caractère discriminatoire d'une telle mesure. Où est ici la discrimination ?

La discrimination se caractérise par le fait de traiter de manière différente des choses ou des personnes qui se trouvent dans des situations identiques, sans qu'un élément objectif ne permette de justifier cette inégalité. La délibération contestée écartait du bénéfice de l'aide tous les CNE et, par suite, toutes les entreprises.

Il y a donc, au contraire, un caractère égalitaire dans cette mesure, puisque aucune entreprise ne pouvant bénéficier d'aide au CNE, toutes les entreprises se trouvent à égalité au regard des aides accordées par le conseil régional. Rappelons, ici, en effet, que le recours au CNE n'est permis que pour les entreprises privées employant 20 salariés ou moins. Les petites entreprises ne peuvent donc bénéficier de plus d'aides grâce au CNE que les entreprises les plus importantes.

Cette égalité reste, toutefois, relative.

La délibération du 27 février 2006 qui vient rendre inéligibles au sein de la convention et donc à la prime régionale les emplois créés en CNE, limite son champ d'application aux "dossiers dans lesquels une telle demande a été faite après la délibération". Rappelons, ici, que le contrat nouvelles embauches a été créé par une ordonnance du 2 août 2005 (ordonnance du 2 août 2005, n° 2005-893, relative au contrat de travail "nouvelles embauches" N° Lexbase : L0758HBP). Or, la délibération dont l'annulation était demandée datait du 27 février 2006, soit plus de 6 mois après que le contrat nouvelles embauches soit entré en vigueur. Ceci signifie que certaines entreprises ont bénéficié des aides et que les autres n'ont pas pu et ne peuvent plus s'en prévaloir... Là se trouve la discrimination, non seulement entre les salariés qui voient leurs chances d'être recrutés en CNE diminuées, mais, également, entre les petites entreprises pouvant recourir au CNE.

Compte tenu de la nature et du régime du CNE, on est amené à s'interroger sur la raison de l'octroi d'aides pour les CNE. Le CNE n'est, en effet, pas un contrat aidé...

2. Une exclusion légitime du CNE des aides régionales

Ces aides sont généralement accordées aux contrats aidés ; or, le CNE n'est pas un contrat aidé au sens du Code du travail. On entend par contrats aidés, les contrats qui ont pour objet de favoriser l'accès à l'emploi à certaines personnes considérées comme vulnérables, c'est-à-dire les demandeurs d'emplois en difficultés de retour à l'emploi. Ces personnes acquièrent une expérience accompagnée (ou non) d'une formation qui leur permet, ensuite, de prétendre intégrer de manière "classique" le monde du travail. Il s'agit, généralement, de contrats à durée déterminée, qui ouvrent droit aux employeurs à des aides financières et/ou un allègement des cotisations sociales.

Tel n'est pas le cas du CNE. Il s'agit, en premier lieu, d'un contrat de travail à durée indéterminée, qui est soumis pendant deux années à des règles particulières en cas de rupture. Cette nature de contrat de longue durée est, en outre, difficilement compatible avec l'attribution d'aides qui sont généralement limitées dans le temps. Son objet est, en deuxième lieu, de permettre le recrutement de salariés par de petites entreprises. Ce contrat s'adresse donc aux entreprises. Il incite, en effet, à l'embauche de toute catégorie de salariés et non seulement aux "salariés vulnérables", ou, comme vient le préciser la délibération contestée, de "personnes fragiles".

Il est, en troisième lieu, en principe, exclusif de toute aide financière à l'embauche. L'existence d'une rupture facilitée suffit, en théorie, à le rendre attractif.

La seule exception à cette dissociation du CNE des contrats aidés résulte de l'hypothèse dans laquelle le CNE se couple avec un contrat aidé. Dans ce cas, en effet, le contrat aidé prime pour les aides financières et le CNE pour sa durée.

Compte tenu du caractère strict de la délibération du conseil régional, on est amené à se demander si de tels contrats "couplés" bénéficient de la prime en raison de leur caractère aidé ou s'ils en sont exclus en raison de leur qualification de CNE. Le tribunal administratif n'avait pas à se prononcer sur cette question, laquelle ne devrait pas manquer de se poser dans l'avenir. Et cette fois, le préfet aura toutes ses chances d'obtenir gain de cause, puisque c'est bien de discrimination dont il serait question dans ce cas.

Décisions

TA Poitiers, 30 juillet 2007, n° 0601980, Préfet de la région Poitou-Charentes, Préfet de la Vienne c/ Région Poitou-Charentes (N° Lexbase : A7173DXX)

TA Poitiers, 30 juillet 2007, n° 0700087, Préfet de la région Poitou-Charentes, Préfet de la Vienne c/ Région Poitou-Charentes (N° Lexbase : A7174DXY)

Mots-clefs : contrat nouvelles embauches ; délibération du conseil régional ; exclusion du CNE du bénéfice des aides régionales ; absence de discrimination.

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