La lettre juridique n°272 du 13 septembre 2007 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique mensuelle de fiscalité des entreprises

Lecture: 16 min

N2767BCH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique mensuelle de fiscalité des entreprises. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209313-chronique-chronique-mensuelle-de-fiscalite-des-entreprises
Copier

par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en fiscalité des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Au sommaire de cette chronique seront successivement abordés l'abus de droit en matière de fusion-absorption, l'exercice du droit au report déficitaire avec une illustration de la règle dite "de l'identité d'entreprise", ou encore, en matière de provisions, les conditions tenant à leur déductibilité.


  • Fusion-absorption et abus de droit : nouvelle affirmation de la liberté du sens de la fusion : CAA Paris, 5ème ch., 18 juin 2007, n° 06PA01941, SA Decorative Ouest (N° Lexbase : A2232DXX)

L'objectif de neutralité économique du droit fiscal commande de ne pas interdire les indispensables opérations de restructuration qui émaillent la vie des entreprises.

Or, craignant de voir s'évaporer de substantielles bases imposables, le régime de droit commun applicable lors d'une fusion s'apparente à un Armageddon fiscal.

Conscient de l'impérieuse nécessité de ne pas freiner les opérations de restructuration, le législateur a adopté un régime fiscal optionnel visant à reporter de tels effets sur la société absorbante, ce qui explique le caractère intercalaire de la fusion (CGI, art. 210 A N° Lexbase : L3936HLD).

Cependant, l'administration fiscale ne souhaitait pas permettre la fusion d'opportunité, définie par l'acquisition de sociétés fiscalement déficitaires par des entreprises bien portantes, dans l'unique but de ne jamais être redevable de l'impôt : le transfert des déficits de la société absorbée à la société absorbante, à l'époque des faits rapportés par la présente décision commentée, nécessitait l'octroi d'un agrément discrétionnairement accordé par le ministre de l'Economie et des Finances.

Autre temps, autres moeurs, la situation a heureusement évolué vers plus de souplesse puisque l'article 209 II du CGI (N° Lexbase : L2719HWM) prévoit la délivrance d'un agrément de droit par le ministre (instruction du 21 août 2002, BOI 13 D-2-02 N° Lexbase : X2244ABQ) si l'opération est placée sous le régime optionnel et est justifiée d'un point de vue économique. Elle doit, également, obéir à des motivations principales autres que fiscales et l'activité transférée à l'origine des déficits doit être poursuivie pendant au moins trois ans (1). Enfin, le montant du déficit transféré n'est plus plafonné depuis le 1er janvier 2005 (D. Villemot, Fiscalité des fusions acquisitions, EFE, 2006, p. 72).

La pratique a contourné la législation applicable aux faits de l'espèce en recourant à la fusion à l'envers par laquelle la société déficitaire absorbe la société bénéficiaire. Dans son ouvrage consacré à la fiscalité des entreprises (2), le professeur Cozian écrit, à propos du sens d'une fusion, entre deux sociétés de tailles sensiblement différentes, qu'une "sardine peut avaler une baleine". L'image s'est vérifiée maintes fois et la règle peut être déclinée à l'infini. Sur le plan du droit, il n'existe, en effet, aucun obstacle de principe au renversement de la chaîne alimentaire : à l'extrême, le plancton pourrait avaler n'importe quel cétacé...

De nombreux précédents, rapportés par la doctrine (3), ont émaillé la vie économique française : tel fut le cas de la compagnie aérienne Air France absorbée par sa filiale UTA en 1993 ou de l'absorption de la société Schneider par la société filiale Spie Batignolles (4).

Une telle opération est-elle alors répréhensible au regard des dispositions régissant l'abus de droit (LPF, art. L 64 N° Lexbase : L5565G4U) ?

Par une importante décision "Auriège", le Conseil d'Etat (CE, Contentieux, 21 mars 1986, n° 53002, Ministre du budget c/ SA Auriège N° Lexbase : A3855AMQ) a admis la régularité de la fusion inversée à la condition, toutefois, que l'intérêt économique puisse être rapporté : la restructuration ne doit pas avoir été motivée par la recherche d'un but exclusivement fiscal. Ainsi, le sens de la fusion pourrait être justifié par l'existence de contrats conclus intuitu personae dont les stipulations s'opposent à leur transmission à un tiers.

Les conclusions de Monsieur Olivier Fouquet étaient alors explicites (RJF 1986, p. 267) : "En l'espèce, l'administration en admettant expressément, ce qui est d'ailleurs l'évidence, que la fusion avait un intérêt économique, admet implicitement, mais nécessairement, que cette opération n'a pas été inspirée exclusivement par un souci d'éluder l'impôt. Nous pensons, dès lors, que la société Promobel et la société VBF Diffusion, ayant le choix d'organiser l'opération de fusion dans le sens qu'elles désiraient, ont préféré très normalement la solution fiscalement la plus favorable".

Malgré cette décision "Auriège", l'administration fiscale ne semble pas avoir renoncé à une politique de programmation des vérifications de comptabilité visant à remettre en cause le sens des fusions : l'arrêt "SA Decorative Ouest" en offre une nouvelle illustration.

Les faits exposés dans l'arrêt prononcé par la cour administrative d'appel de Paris rapportent qu'à la suite d'une fusion-absorption de plusieurs sociétés, la requérante s'est vue contester le droit au report déficitaire ainsi que celui des amortissements sur le fondement de l'article L. 64 du LPF.

Bien qu'elle ne contestait pas la poursuite de l'activité ainsi que la similitude d'objet de la nouvelle société, l'administration fiscale soutenait, alors, que l'opération "ne correspondait à aucune réalité économique". Cette argumentation, classique au demeurant, n'a pas convaincu les conseillers de la cour administrative d'appel : ces derniers, censurant la décision rendue en première instance par le tribunal administratif de Paris, considèrent, au contraire, que la requérante a parfaitement motivé la restructuration entreprise. Elle est, par conséquent, bien fondée à réclamer la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés ainsi que les accessoires.

La juridiction d'appel fonde, tout d'abord, sa décision sur le principe selon lequel l'agrément n'a pas à être sollicité : "dans le cas où une société déficitaire qui ne change ni d'objet ni d'activité, absorbe une société bénéficiaire, la société absorbante ayant le droit de déduire ses déficits antérieurs des bénéfices réalisés après la fusion".

Elle s'appuie, également, sur les termes mêmes du traité de fusion : les parties ont pris soin de préciser l'objet de l'opération consistant en une "restructuration interne destinée à rationaliser et simplifier les structures de la société [...] présentes dans deux départements limitrophes afin d'améliorer son réseau de vente et par conséquent, sa rentabilité, à partir du pôle rennais".

Il est, ainsi, démontré que la fusion opérée par les intéressées avait un but essentiellement économique : la requérante a opposé à bon droit une motivation stratégique logique au regard du développement commercial du groupe justifiant l'opération de restructuration.

Les faits de l'espèce relevaient de l'évidence : les sociétés concernées ont choisi avant toute chose d'adapter leurs structures en fonction du développement prévisible du groupe. Sur le plan fiscal, le sens de la fusion relevait d'un choix secondaire au regard de l'impérieuse nécessité de s'adapter à l'environnement économique.

Pour conclure sur ce point, on n'insistera jamais assez sur les précautions d'usage lors d'opérations de restructuration : outre le respect scrupuleux du droit des sociétés, l'absence, ou l'insuffisance de motivation économique, sera fatale au contribuable.

C'est souvent, en pratique, la conséquence de l'utilisation impropre de documents proposés par les maisons d'édition. Selon la qualité des conseils intervenant dans de telles opérations, l'approche du dossier est susceptible de diverger sensiblement : si la "formule" de traité de fusion est perçue comme une base de réflexion par le juriste, dont le métier est de connaître et d'interpréter la loi et la jurisprudence, les conseils appartenant à d'autres professions sont, en revanche, tentés de considérer le "modèle" recopié comme un point d'arrivée, une fin en soi.

La présente décision "SA Decorative Ouest" rappelle opportunément qu'une attention toute particulière doit être portée quant à ce dernier aspect : la qualité de la rédaction d'un traité de fusion est loin d'être sans influence quant à la solution d'un litige opposant le contribuable à l'administration fiscale.

  • Exercice du droit au report déficitaire : illustration de la règle dite "de l'identité d'entreprise" (CE 3° et 8° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 288484, SARL Final N° Lexbase : A2853DXX)

Les sociétés connaissent de bonnes et de moins bonnes années : leur activité est susceptible d'entraîner des pertes. Sauf option pour le régime du carry-back, le déficit peut, aux termes de l'article 209 I du CGI (N° Lexbase : L2719HWM), être "considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice".

Depuis l'adoption de l'article 89-I-C de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 (N° Lexbase : L6348DM3), en cas d'insuffisance de bénéfices, l'excédent de déficit est reporté sur les exercices suivants sans limitation de durée.

Mais, la jurisprudence a su faire preuve de vigilance : l'innovation prétorienne s'est manifestée au début des années 70 (5) par l'adoption d'un principe subordonnant le droit au report des déficits à la condition que la personne de l'exploitant et l'objet de l'entreprise soient identiques (6). C'est la règle dite de "l'identité d'entreprise".

Le législateur s'en est inspiré lorsqu'il a adopté l'article 8 de la loi n° 85-1403, du 30 décembre 1985, relative au changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société : il entraîne les conséquences liées à la cessation d'entreprise (CGI, art. 221-5 N° Lexbase : L4150HLB).

L'interprétation de ces textes a suscité une abondante jurisprudence dans laquelle le fait occupe une place de premier plan : que doit-on entendre par changement d'activité réelle ?

Dans la décision "SARL Sophie B" (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, SARL Sophie B N° Lexbase : A3450DIM), le Conseil d'Etat a estimé qu'un commerce de prêt-à-porter proposant à sa clientèle des articles de la marque "Benetton" laissant place, après plusieurs années d'interruption, à un commerce d'habillement et d'articles de sport sous l'enseigne "Sport 2000", ne pouvait être regardé comme un changement d'entreprise. Censurant les juges du fond (CAA Douai, 3ème ch., 4 juin 2003, n° 02DA00781, SARL Sophie B N° Lexbase : A4754C9X), la requérante voit alors son droit reconnu à imputer les déficits générés par la vente des vêtements de prêt-à-porter sur les bénéfices issus de l'exploitation de l'enseigne de sport (comp. : CAA Lyon, 2ème ch., 28 décembre 2006, n° 02LY02391, Société Becton Dickinson and Compagny N° Lexbase : A5925DTM ; CAA Nantes, 1ère ch., 13 mars 2006, n° 03NT00846, SARL MK N° Lexbase : A9051DPW).

En revanche, la règle de l'identité d'entreprise entraîne des conséquences particulièrement sensibles lors de substantielles restructurations. Il en est ainsi dans l'hypothèse d'une fusion-absorption d'une filiale par une société mère holding dont l'activité de gestion de portefeuilles disparaît au profit d'une nouvelle activité : en conséquence, la société absorbante perd le droit au report de ses déficits (CAA Douai, 18 mars 2004, n° 01DA01065, SA Sodeleg N° Lexbase : A8988DBI ; v. également : CAA Nantes, 1ère ch., 30 juin 2000, n° 96NT01323, Ministre de l'Economie et des Finances c/ SA La Fourmi N° Lexbase : A6409BHT). La solution est également la même lorsque l'entreprise a filialisé ses activités de production et de commercialisation au moyen de deux apports partiels d'actifs (CAA Nancy, 2ème ch., 1er avril 2004, n° 99NC02308, Société Depreux Systems N° Lexbase : A8203DBG).

Au cas particulier, à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause la déduction d'amortissements réputés différés et de déficits antérieurement subis du résultat imposable de la société Final, dès lors que son changement d'activité devait s'analyser comme une cessation d'entreprise au sens de l'article 221-5 du CGI.

Saisie par le ministre de l'Economie et des Finances, la cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 2ème ch., 3 novembre 2005, n° 02NC00742, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie c/ Société Final N° Lexbase : A7249DL3) rapporte un certain nombre de faits qui abondent tous dans le sens d'un changement d'activité réelle de l'entreprise requérante :

- la société Final, qui exerçait initialement une activité de gestion de titres, a décidé de commercialiser parallèlement "des matériaux de hautes performances utilisés comme isolants thermiques destinés aux laboratoires de recherche et à l'industrie" ;

- les organes compétents sur le plan du droit des sociétés ont modifié en ce sens l'objet social de l'entreprise ;

- la société a acquis des moyens de production adaptés ;

- le chiffre d'affaires de cette nouvelle activité de commercialisation est passé de 679 387 francs (103 571 euros) à 2 225 224 francs (339 233 euros) entre 1992 et 1993 ; parallèlement, l'activité de gestion de titres s'est limitée à l'octroi d'un prêt de 500 000 francs (76 224 euros).

Par conséquent, la société requérante ne pouvait prétendre au report des déficits et d'amortissements réputés différés antérieurement subis. Cette décision est confirmée par la Haute juridiction administrative (CE 3° et 8° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 288484, SARL Final N° Lexbase : A2853DXX), la juridiction d'appel n'ayant commis aucune erreur de qualification juridique.

La société demanderesse au pourvoi entendait, sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L8568AE3), se prévaloir d'une réponse ministérielle du 30 mai 1972, relative à la "simple adjonction d'activités nouvelles".

Or, la situation de fait de la société Final était sensiblement différente : le changement d'activité de l'entreprise était radical et ne pouvait ainsi être assimilé à une adjonction d'activité nouvelle.

Par construction, l'adjonction suppose que l'activité initiale n'ait pas disparu ou qu'elle soit devenue tellement marginale que cette dernière situation sera assimilée à la cessation fiscale de l'entreprise.

  • Provisions : conditions tenant à leur déductibilité (CE 9° et 10° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 289233, Société Volkswagen France N° Lexbase : A2856DX3)

La décision "Volkswagen France" rendue par le Conseil d'Etat a trait à la déductibilité des provisions constituées par la requérante. Après un succinct rappel des conditions de déductibilité des provisions (1), nous exposerons les solutions du litige (2).

1. Conditions de déductibilité des provisions

La déductibilité des provisions constituées par un contribuable est subordonnée au respect de conditions de forme et de fond.

Quant aux conditions de forme, le droit fiscal, traditionnellement attaché au formalisme, exige une inscription en comptabilité et sur le tableau des provisions, même s'il n'y a qu'une seule provision constituée par l'entreprise (CE, 22 avril 1963, n° 57820, Dupont 1963 p. 458).

En second lieu, les dispositions de l'article 39-1-5° du CGI et la jurisprudence subordonnent la déductibilité des provisions aux conditions de fond suivantes :

- les pertes ou les charges provisionnées sont admises en déduction : elles entraînent, à ce titre, une diminution de l'actif net ;

- les pertes ou les charges doivent être nettement précisées : à ce titre, leur montant doit être évalué avec une approximation suffisante. Ainsi, une assignation délivrée à une entreprise, afin de mettre en cause sa responsabilité civile, ne comportant aucun élément chiffré ne peut être considérée comme étant d'une approximation suffisante justifiant la constitution d'une provision (CAA Paris, 2ème ch., 28 mars 1995, n° 93PA01414, Société Etudes et Réalisations de Constructions (ERC) N° Lexbase : A2489BIZ). La jurisprudence reconnaît l'usage des statistiques, élaborées par un syndicat professionnel ou par l'entreprise elle-même, si elles sont pertinentes et fiables (CE 9° et 10° s-s-r., 14 février 2001, n° 189776, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Catalogne poids lourds N° Lexbase : A8859AQ8). Telle est l'hypothèse d'une provision pour créances douteuses fondée sur un pourcentage d'irrécouvrabilité issu des observations de l'entreprise ;

- les pertes ou les charges sont probables : elles ne peuvent être éventuelles et les circonstances de fait et de droit ont un rôle déterminant dans chaque cas d'espèce. Ainsi, est probable le risque supporté par l'entreprise lors d'un recours contentieux initié par un tiers à son encontre, telle qu'une action prud'homale, par exemple ;

- les pertes ou les charges résultent d'événements en cours à la date de clôture de l'exercice. Cependant, le fiscaliste pourra s'interroger sur l'influence de la date de prise de connaissance, par l'entreprise, de l'événement en cours justifiant la provision. Ainsi, une entreprise victime de malversations commises lors d'un exercice clôturé au 31 décembre de l'année N, mais en ayant eu connaissance avant l'expiration du dépôt de la déclaration de résultat, peut constituer une provision. C'est dans ce sens que la cour administrative d'appel de Lyon a tranché (7) (CAA Lyon, 2ème ch., 24 mai 2000, n° 96LY00682, SARL L'Orangeraie N° Lexbase : A8222AZK).

2. Solutions rendues par le Conseil d'Etat

In casu, certaines provisions constituées par la contribuable ont été réintégrées au résultat imposable faute d'avoir été suffisamment étayées sur le plan de la justification (2.1) (2.2). Le Haut Conseil censure la juridiction d'appel (CAA Douai, 3ème ch., 17 novembre 2005, n° 03DA00332, Société Volkswagen France N° Lexbase : A5697DMX), concernant la provision pour extension de garanties, dite "Kulanz" (2.3).

2.1. Provision pour dépréciation de prêts consentis au titre de la participation des employeurs à l'effort de construction

La contribuable justifiait la constitution d'une provision pour dépréciation de prêts consentis au titre de la participation des employeurs à l'effort de construction au motif d'une dépréciation de la valeur nominale des prêts, ces derniers étant effectués sans intérêt.

Le Conseil d'Etat répond, alors, qu'une telle provision ne peut être déduite de la base imposable de la contribuable faute "de justifier que la valeur probable de réalisation de ces prêts est inférieure à leur valeur nominale". Pour la Haute juridiction administrative, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit dès lors que la société requérante n'a fait état "d'aucune circonstance rendant probable la cession de ces prêts avant leur date d'échéance ou d'une défaillance des débiteurs, impliquant la perte de valeur définitive des créances".

2.2. Provision pour engagement de reprise de véhicules vendus à une société de location de voitures

Aux termes d'une convention conclue avec une société de location de voitures, la contribuable s'était engagée à reprendre les véhicules, vendus neufs, entre le cinquième et le douzième mois suivant leur vente à un prix déterminé en fonction d'un abattement mensuel sur le prix facturé. La contribuable a, alors, constitué une provision correspondant à un écart négatif entre le prix de revente des véhicules, correspondant à la valeur Argus, et celui de leur reprise.

Sur le fond, le Conseil d'Etat admet le principe d'une telle provision, mais il n'en permettra pas la déduction pour des raisons de preuve. En effet, il est reproché à la contribuable de ne pas avoir démontré, par un calcul prévisionnel suffisamment précis malgré l'estimation du nombre des reprises et du délai moyen de retour, que le coût de la reprise dépasserait le montant de la recette escomptée.

La seule référence au prix Argus ne peut suffire : il appartenait à la société requérante de prendre en compte les caractéristiques des véhicules repris ou tout autre élément de nature à "leur conférer une valeur différente au moment de leur revente".

La conclusion s'impose : la référence à la cote Argus n'est pas pertinente per se, car les Hauts magistrats exigent une individualisation de la démarche menée par la contribuable.

La cote Argus ne peut être qu'une base de calcul : ce n'est, par conséquent, pas un point d'arrivée mais une invitation à la réflexion quant à la valeur des véhicules repris. Le calcul de provision doit reposer sur des éléments factuels tangibles : point d'impressionnisme dans ce domaine... Ce qui n'est pas sans conséquence quant au mode de fonctionnement de l'organisation administrative de la contribuable, notamment quant à la collecte des informations et leur processus de traitement au regard des exigences du juge administratif.

2.3. Provision pour extension de garanties ("Kulanz")

Le traitement fiscal de l'extension de garanties a entraîné une divergence d'appréciation entre le Conseil d'Etat et la juridiction d'appel quant à la déductibilité de la provision : la cour administrative d'appel de Douai a estimé que la provision était fondée sur un caractère éventuel entraînant, de ce fait, sa réintégration au bénéfice imposable. Le raisonnement du juge d'appel reposait sur l'absence d'engagement contractuel s'opposant au caractère probable de la provision constituée : le document que la contribuable adressait à ses concessionnaires, exposant la nature et les modalités des engagements de prise en charge des réparations des véhicules, ne pouvait être assimilé à un engagement juridique.

Reconnaissant que les extensions de garanties ne relevaient pas d'un engagement juridique, le Conseil d'Etat censure la cour administrative d'appel en s'appuyant sur l'usage, dont l'importance en droit commercial est avérée (E. du Pontavice et J. Dupichot, Traité de droit commercial, Tome Premier, Montchrestien, 4ème édition, 1988, p. 60). Dans le passé, le Haut conseil y a recouru quant aux litiges portant sur la notion d'acte anormal de gestion au regard de l'épineuse problématique de la justification (CE, Contentieux, 23 avril 1980, n° 9404 N° Lexbase : A7512AI3 ; CE 7° et 8° s-s-r., 23 février 1977, n° 92515 N° Lexbase : A5792B8Z ; CE 9° et 8° s-s-r., 4 décembre 1974, n° 92009 N° Lexbase : A3229B7Q).

Alors même que les garanties extra-contractuelles étaient accordées discrétionnairement, mais de façon habituelle par la requérante, elles devaient être regardées comme l'engageant valablement. Partant, la provision est justifiée dans son principe.


(1) "La notion de maintien de l'activité de la société absorbée ne doit pas être confondue avec celle d'identité d'activité telle qu'elle est définie à l'article 221-5 du Code général des impôts, celle-ci pouvant faire obstacle le cas échéant à l'imputation des déficits propres de la société absorbante. En effet, la poursuite de l'activité de la société absorbée suppose nécessairement que la société absorbante n'y apporte pas de changement profond de nature à caractériser une perte d'identité de l'activité reprise ; elle s'apprécie donc en fonction de critères objectifs fondés sur la nature et l'importance des éléments repris, dans le contexte économique propre de l'opération (lieux d'exploitation, actifs mis en oeuvre, produits fabriqués ou services rendus, effectifs maintenus, zones géographiques desservies, clientèle, etc .)", instruction du 21 août 2002, BOI 13 D-2-02 (N° Lexbase : X2244ABQ).
(2) M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, Litec, collection Litec Fiscal, 30ème édition, 2006, p. 480.
(3) M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, collection manuel, 19ème édition, 2006, p. 581.
(4) Dans les deux hypothèses, les sociétés absorbantes ont repris le nom de la société absorbée.
(5) CE 9° et 7° s-s-r., 26 novembre 1971, n° 79981, Société X. c/ Ministre des Finances (N° Lexbase : A8151B8E) ; CE, 29 novembre 1972, n° 81954, Société X ([LXB=A7996AYS ]) : Dr. fisc. 1973, comm. 1692, concl. J. Delmas-Marsalet. La rédaction de la revue publie, notamment, une réflexion tirée de la tradition populaire "du 'Couteau de Jeannot' dont on remplace successivement la lame et le manche... et qui pourtant, après cela, reste le même couteau... tout en étant un autre".
(6) J. Turot, Report déficitaire : les sanctions fiscales des changements et transferts d'activité, RJF mars 1991, p. 151 ; J.-C. Parrot, Report déficitaire et principe d'identité d'entreprise : les conditions du changement d'activité réelle, Dr. fisc. 2000, p. 1576.
(7) "Considérant qu'il résulte des dispositions précitées qu'une entreprise peut valablement, jusqu'à l'expiration du délai de déclaration, porter en provisions et déduire des bénéfices imposables les sommes correspondant aux pertes ou charges qu'elle ne supportera qu'ultérieurement, à la condition notamment qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux événements en cours à la date de clôture de l'exercice ; que, par suite, et dès lors que lesdits événements étaient en cours à cette date , l'entreprise est en droit de constater ces pertes ou charges sous forme de provision dans les écritures dudit exercice jusqu'à l'expiration du délai de déclaration, alors même qu'elle n'aurait eu connaissance des événements dont s'agit que postérieurement à sa clôture".

newsid:292767