La lettre juridique n°215 du 18 mai 2006 :

[Evénement] Réforme du droit des sûretés : le nantissement de créance

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[Evénement] Réforme du droit des sûretés : le nantissement de créance. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208335-evenement-reforme-du-droit-des-suretes-le-nantissement-de-creance
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par Compte-rendu réalisé par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

le 07 Octobre 2010

L'ordonnance du 23 mars dernier (ordonnance du 23 mars 2006, n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH) permet de rendre plus lisible le droit des sûretés, simplifie le mode de réalisation des sûretés et contribue à une modernisation de l'hypothèque. Afin d'examiner la portée pratique des ces changements, une Rencontre-Lamy, présidée par Daniel Tricot, président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et animée par Gaëlle Marraud des Grottes, a eu lieu, le 5 mai dernier, avec pour thème "La réforme du droit des sûretés. Incidences pratiques". Sont intervenus, au cours de cette journée, Laurent Aynès, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne, Paris I, Annie Bac, Directeur des affaires juridiques, Fédération bancaire française, Pierre Crocq, Professeur à l'Université Panthéon-Assas, Paris II, Philippe Dupichot, Professeur à l'Université du Maine, Avocat au Barreau de Paris, Eliane Frémeaux, Notaire à Paris, et Michel Grimaldi, Professeur à l'Université Panthéon-Assas, Paris II, Président de l'Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française. Daniel Tricot, à cette occasion, a souligné le côté apaisant du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance du 23 mars 2006, puisqu'il a pour objectifs de "moderniser les sûretés afin de les rendre lisibles et efficaces tant pour les acteurs économiques que pour les citoyens tout en préservant l'équilibre des intérêts en présence". Et d'ajouter que cette réforme apporte des règles innovantes qui facilitent la constitution des sûretés, en élargissent les assiettes, et se soucient de la protection de ceux qui recourent au crédit. Nous nous consacrerons, ici, à l'intervention de Pierre Crocq, portant sur le nantissement de créance (lire, également, Réforme du droit des sûretés : le gage de meubles corporels, Lexbase Hebdo n° 214 du 11 mai 2006 - édition affaires N° Lexbase : N8014AKZ)
  • Le nantissement de créance au sein des nantissements des meubles incorporels

L'objectif de la réforme, rappelle le Professeur Crocq, consiste en une clarification du droit. Il a été proposé que le terme de "gage" soit réservé aux biens meubles corporels et celui de "nantissement" aux biens mobiliers incorporels.
Trois principaux cas étaient visés :
- le nantissement de monnaie scripturale ;
- le nantissement de créance ;
- le nantissement d'instrument financier.

Or, on ne retrouve dans l'ordonnance, ni le nantissement d'instrument financier, ni le nantissement de monnaie scripturale, seul le nantissement de créance étant concerné. Pour Pierre Crocq, ceci est regrettable pour plusieurs raisons : si l'on peut concevoir que le Gouvernement ait choisi de ne pas modifier le nantissement d'instrument financier -ce choix étant politique-, il est, en revanche, plus difficile de comprendre pourquoi les rédacteurs n'ont pas consacré le nantissement de monnaie scripturale dans le Code civil, qui aurait permis l'éclaircissement souhaité des praticiens.
Egalement, l'alinéa 4 de l'article 2355 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1182HIM) énonce que "le nantissement conventionnel qui porte sur les créances est régi, à défaut de dispositions spéciales, par le présent chapitre". Par conséquent, s'il n'existe pas de dispositions spéciales (comme c'est le cas, par exemple, pour le nantissement de parts sociales), l'on se trouve renvoyé au gage de meubles corporels avec deux possibilités pour pouvoir opposer ce gage aux tiers (C. civ., art. 2337 nouv. N° Lexbase : L1164HIX) : soit la dépossession, soit l'inscription du gage sur un registre spécial (sur ce point, lire Réforme du droit des sûretés : le gage de meubles corporels, Lexbase Hebdo n° 214 du 11 mai 2006 - édition affaires N° Lexbase : N8014AKZ). Or, la seconde possibilité est exclue, dans la mesure où il n'existe, à l'heure actuelle, pas encore de registre. Reste, alors, le recours à la dépossession, mais encore faut-il que celle-ci soit possible. De plus, l'article 2075 du Code civil (N° Lexbase : L2312ABA), qui prévoyait que, "lorsque le gage s'établit sur des meubles incorporels, tels que les créances mobilières, l'acte authentique ou sous seing privé, dûment enregistré, est signifié au débiteur de la créance donnée en gage, ou accepté par lui dans un acte authentique", n'existe plus.
Le professeur Crocq souligne, donc, la lacune trouvée dans cette ordonnance : ses rédacteurs auraient dû prévoir des dispositions transitoires. Comment, alors, effectuer la dépossession ? Pierre Crocq propose de procéder à une signification par acte d'huissier, comme le prévoyait l'article 2075 du Code civil, n'existant plus. Il suggère, cependant, d'attendre prudemment l'adoption du décret d'application.

  • La nouvelle nature juridique de nantissement de créance

Le nantissement était défini par l'ancien article 2071 du Code civil (N° Lexbase : L2308AB4) comme "un contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la dette". Il était donc, dans le droit antérieur, un nantissement avec dépossession.
L'ordonnance ayant supprimé la dépossession comme condition de validité, le nantissement, tout comme le gage, cesse d'être un contrat réel.

  • Le nouveau domaine d'application du nantissement de créance

Le domaine d'application du nantissement de créance, du fait de cette disparition de l'exigence de dépossession, a été étendu. N'importe quelle créance peut, désormais, faire l'objet d'un nantissement.
L'article 2358, alinéa 2, nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1185HIQ) énonce même que le nantissement peut "porter sur une fraction de créance, sauf si celle-ci est indivisible". Aussi l'article 2360 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1187HIS) précise-t-il que, "lorsque le nantissement porte sur un compte, la créance nantie s'entend du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté sous réserve de la régularisation des opérations en cours, selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution".

S'agissant du régime juridique, deux lignes directrices se dessinent : le nantissement de créance est, désormais, plus simple à constituer (I), mais aussi, plus efficace lors de sa réalisation (II).

I - Un nantissement de créance plus simple à constituer

La volonté de simplification de la constitution du nantissement a eu trois conséquences.

1. L'allègement de l'exigence de l'écrit

Comme évoqué plus haut, l'ancien article 2075 du Code civil exigeait que la constitution du nantissement soit constatée par un acte authentique ou un acte sous seing privé enregistré.
Le nouvel article 2356 du Code civil (N° Lexbase : L1183HIN) reprend l'écrit comme condition de validité du contrat, mais il est allégé : "à peine de nullité, le nantissement de créance doit être conclu par écrit". Par ailleurs, l'article 2361 nouveau (N° Lexbase : L1188HIT) dispose que "le nantissement d'une créance, présente ou future, prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l'acte". Le nantissement de créance est donc valable et opposable sans formalité.

Le Professeur Crocq note, ici, une différence entre l'ordonnance et ce qui avait été proposé par la Commission Grimaldi.
En application de l'article 1328 du Code civil (N° Lexbase : L1438ABU), les actes sous seing privé n'ont pas, de manière générale, date certaine entre les tiers. Les parties vont donc devoir faire preuve de prudence et trouver un moyen de donner date certaine à cet acte.

2. Le remplacement de l'exigence d'une signification du nantissement, condition de validité du nantissement de créance, par la nécessité d'une notification pour assurer l'opposabilité de ce dernier au débiteur de la créance nantie

Avant l'ordonnance du 23 mars 2006, la constitution du nantissement de créance supposait, à peine de nullité, que le nantissement devait être signifié ou accepté par le débiteur, ce qui mettait en possession le créancier gagiste. Cette exigence est, aujourd'hui, supprimée.
L'on se trouve, maintenant, en présence d'une notification, qui est une simple condition d'opposabilité du nantissement de créance, et qui ne concerne que le débiteur de la créance garantie, et non pas tous les tiers. Il est, en effet, opposable aux tiers sans formalité. Toutefois, si on continue à signifier le nantissement de créance, il va acquérir date certaine au sens de l'article 1328 du Code civil ; Pierre Crocq souligne donc l'utilité de continuer à le signifier.

Ce remplacement de la signification par la notification va nécessairement remettre en cause un certain nombre de solutions jurisprudentielles. Ainsi, par exemple, un nantissement non notifié est, aujourd'hui, un "vrai" nantissement, et non pas une promesse de nantissement. Ce changement devrait également remettre en cause les solutions connues en matière de nullités de la période suspecte.

3. La suppression de l'exigence d'une remise du titre

L'ordonnance a parachevé une évolution jurisprudentielle antérieure (voir Cass. civ. 1, 10 mai 1983, n° 81-11.705, Consorts Fielding, publié N° Lexbase : A8510A4X). Ainsi, conformément aux souhaits de la doctrine, l'exigence d'une remise du titre est supprimée.

Si le nantissement de créance est, donc, plus facile à constituer depuis l'ordonnance du 23 mars dernier, il est également plus facile à réaliser.

II - Un nantissement de créance plus efficace lors de sa réalisation

Antérieurement, dans le Code civil, les effets du nantissement de créance n'étaient guère réglementés. Or, le régime du gage de meubles corporels était inadapté. L'ordonnance du 23 mars 2006 apporte des améliorations.

1. L'amélioration des effets du nantissement antérieurs à l'échéance de la créance garantie : le droit pour le créancier de se faire payer la créance nantie alors que la créance garantie n'est pas encore échue

L'ordonnance vient résoudre une question sur laquelle la doctrine était divisée : le sort de la créance nantie quand la créance nantie vient à échéance avant la créance garantie.

L'article 2363 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1190HIW) affirme, en effet, que, "après notification, seul le créancier nanti reçoit valablement paiement de la créance donnée en nantissement tant en capital qu'en intérêts". L'article 2364 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1191HIX) dispose, ensuite, que "les sommes payées au titre de la créance nantie s'imputent sur la créance garantie lorsqu'elle est échue.
Dans le cas contraire, le créancier nanti les conserve à titre de garantie sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité à les recevoir à charge pour lui de les restituer si l'obligation garantie est exécutée. En cas de défaillance du débiteur de la créance nantie et huit jours après une mise en demeure restée sans effet, le créancier affecte les fonds au remboursement de sa créance dans la limite des sommes impayées".
Selon le Professeur Crocq, le sens du texte est le suivant : à l'échéance de la créance nantie, le créancier peut en exiger le paiement et, si la créance nantie n'est pas encore arrivée à échéance, le nantissement de créance se transforme en gage-espèces avec obligation de placer les fonds sur un compte bancaire. Il est, toutefois, étrange de ne pas avoir prévu un compte spécial ou que le compte soit bloqué ; mieux vaut prendre cette précaution dans le contrat constitutif du nantissement.

2. L'amélioration des effets du nantissement postérieurs à l'échéance de la créance garantie : l'attribution judiciaire et le pacte commissoire

En cas de défaut de paiement, la défaillance du débiteur ouvre au créancier la faculté de réaliser le nantissement. Il s'agit donc là d'une possibilité et non pas d'une obligation. Ce caractère facultatif de principe est consacré par l'ordonnance : l'article 2363, alinéa 2, nouveau du Code civil énonce, en effet, que "chacun des créanciers, les autres dûment appelés, peut en poursuivre l'exécution" et l'article 2367 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1194HI3) affirme, quant à lui, que "la propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie".

Comment la réalisation du nantissement peut-elle s'effectuer ?
L'article 2365 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1192HIY) prévoit que, "en cas de défaillance de son débiteur, le créancier nanti peut se faire attribuer, par le juge ou dans les conditions prévues par la convention, la créance donnée en nantissement ainsi que tous les droits qui s'y rattachent.
Il peut également attendre l'échéance de la créance nantie".
L'attribution judiciaire reste donc une solution de réalisation de nantissement. Par ailleurs, les termes "dans les conditions prévues par la convention" visent ici le pacte commissoire, dont la prohibition a, aujourd'hui, été levée. L'efficacité du pacte commissoire est, toutefois, limitée en cas d'ouverture d'une procédure collective, puisqu'il ressort de l'article L. 622-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L3866HBS) que l'ouverture d'une procédure collective fait obstacle à la réalisation du pacte commissoire. En revanche, le créancier peut toujours demander l'attribution judiciaire en cas de procédure collective.

Le Professeur Crocq conclut que l'on est en présence d'un nantissement de créance à la fois plus facile à constituer et plus sûr dans sa réalisation. L'ordonnance du 23 mars 2006 est donc venue améliorer assez nettement le régime juridique du nantissement de créance.

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