Réf. : Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-19.482, M. Michel Puech c/ Mme Amena Saïed, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A1902DP7)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le droit au titre de propriété industrielle appartient à l'inventeur et les exceptions à ce principe ne résultent que de la loi. Par suite, un stagiaire qui n'est ni salarié, ni agent public, a droit à la propriété de son invention. |
Décision
Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-19.482, M. Michel Puech c/ Mme Amena Saïed, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A1902DP7) Cassation partielle (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 10 septembre 2004, n° 2002/12276, CNRS N° Lexbase : A5395DEK) Textes visés : C. prop. intell., art. L. 611-6 (N° Lexbase : L3555ADZ) et L. 611-7 (N° Lexbase : L3556AD3). Mots-clés : invention ; propriété ; salarié ; stagiaire ; régime légal ; champ d'application. Lien bases : |
Faits
Durant un stage dans un laboratoire dépendant du CNRS, M. Puech a inventé une technique d'examen ophtalmologique. Le CNRS ayant revendiqué la propriété du brevet ensuite déposé par M. Puech ainsi que celle de sa demande formulée au titre du Traité de coopération en matière de brevet conclu à Washington le 19 juin 1970, ce dernier a sollicité le rejet de ces demandes et réclamé paiement de dommages-intérêts. Pour accueillir l'action en revendication, l'arrêt attaqué a retenu que M. Puech a concouru à la réalisation de l'invention alors qu'il était stagiaire en formation au sein d'un laboratoire du CNRS, établissement public national à caractère scientifique et technologique chargé d'assurer une mission de service public. Usager de ce service public, M. Puech était, comme tel, soumis au règlement intérieur édicté par le chef de service et disposant que "dans le cas où les travaux poursuivis permettraient la mise au point de procédés de fabrication ou techniques susceptibles d'être brevetés, les brevets, connaissances ou développements informatiques seront la propriété du CNRS". En outre, les juges du fond ont considéré qu'il est légitime que les étudiants, qui ont participé à une invention, ne participent pas à ses fruits pécuniaires. Or, M. Puech bénéficie d'un enseignement à l'Université ainsi qu'au laboratoire, des installations de ce laboratoire et du travail de l'ensemble des personnels techniques ; il bénéficie, en outre, d'un titre universitaire et de l'inscription de son nom sur le brevet auquel il a participé et, quand bien même il n'aurait signé ce règlement que postérieurement à la réalisation de son invention, il s'agit d'un règlement de service qui s'impose à lui comme usager du laboratoire. |
Solution
1. Cassation pour violation des articles L. 611-6 et L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle. 2. "Le droit au titre de propriété industrielle appartient à l'inventeur et [...] les exceptions à ce principe ne résultent que de la loi". 3. "Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que M. Puech n'était ni salarié du CNRS, ni agent public, ce dont il résultait que la propriété de son invention ne relevait d'aucune des exceptions limitativement prévues par la loi, la cour d'appel a violé les textes susvisés". |
Observations
1. Le régime légal des inventions de salariés
De nombreuses inventions sont réalisées par des salariés. Or, on le devine, toute la question est alors de savoir à qui revient l'invention faite par un salarié : au salarié ou à l'employeur ? Ainsi que l'affirme l'alinéa 1er de l'article L. 611-6 du Code de la propriété intellectuelle, "le droit au titre de propriété industrielle mentionné à l'article L. 611-1 (N° Lexbase : L3542ADK) appartient à l'inventeur ou à son ayant cause". Cette règle de principe est, cependant, tempérée par l'article L. 611-7 dudit code qui concerne, précisément, le salarié inventeur et qui oblige à distinguer les inventions de mission et les inventions hors mission. Notons que les dispositions de cet article sont, également, applicables "aux agents de l'Etat, des collectivités publiques et de toutes autres personnes morales de droit public [...]" (C. prop. intell., art. L. 611-7, 5°).
Sont qualifiées d'inventions de mission, les inventions faites par le salarié dans l'exécution : Ces inventions appartiennent à l'employeur (C. prop. intell., art. L. 611-7, 1°, al. 1er). Elles supposent que soit fournie la preuve de la mission qui a été confiée au salarié, ce qui peut être fait par tout moyen. Il est, toutefois, préférable de pouvoir faire état d'une clause ad hoc du contrat de travail. Ainsi que l'affirment, à juste titre, certains auteurs, "si les inventions de mission 'appartiennent' à l'employeur, c'est parce que l'on estime que le salaire perçu par le salarié a pour objet la rémunération de son activité de recherche et la réalisation éventuelle d'inventions qui sont le résultat normal de l'activité du salarié" (A. Chavanne, J.-J. Burst, Droit de la propriété industrielle, Précis Dalloz, 5ème éd., 1998, § 148). Cela étant, le contrat de travail du salarié ou les conventions ou accords collectifs applicables peuvent prévoir que l'employeur sera tenu de verser une rémunération complémentaire au salarié auteur d'une invention. A défaut de stipulations contractuelles ou conventionnelles en ce sens, le salarié ne pourra donc prétendre à aucune rémunération à raison de son invention (v., sur cette question, L. Flament, La rémunération des inventions de salariés : JCP éd. S 2006, 1290). Si l'employeur n'est pas soumis à une convention collective de branche, tout litige relatif à la rémunération supplémentaire est soumis à la commission de conciliation instituée par l'article L. 615-21 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3666AD7) ou au tribunal de grande instance (C. prop. intell., art. L. 611-7, 1°, al. 2).
Les inventions hors mission, définies par opposition aux précédentes, appartiennent, en principe, au salarié (C. prop. intell., art. L. 611-7, 2° : "Toutes les autres inventions appartiennent au salarié"). Cependant, dans un souci de protection de l'employeur, cette même disposition précise que "toutefois, lorsqu'une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l'exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l'entreprise, soit par la connaissance ou l'utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l'entreprise, ou de données procurées par elle, l'employeur a le droit [...] de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l'invention de son salarié". Le législateur invite, ainsi, à distinguer, au sein de la catégorie des inventions hors mission, les inventions hors mission attribuables et les inventions hors mission non attribuables (A. Chavanne, J.-J. Burst, ouvrage préc., §§ 149 à 154). Toutes deux appartiennent au salarié. Mais, pour ce qui est des premières, la loi reconnaît à l'employeur le droit de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet. Le salarié doit alors en obtenir, nous dit la loi, "un juste prix". Quant aux inventions hors mission non attribuables, elles sont à la libre disposition du salarié qui doit, cependant, les déclarer. Il peut donc les conserver secrètes, les publier ou les protéger par brevet. Ainsi que le précisent les auteurs précités (§ 154), c'est alors à l'employeur "qu'il appartient de prouver, s'il veut revendiquer un droit sur ces inventions, qu'elles appartiennent à une autre catégorie que celle des inventions hors mission non attribuables". En l'espèce, il n'est guère contestable que l'on était en présence d'une invention hors mission attribuable, car réalisée à l'aide de moyens spécifiques à l'entreprise. C'est ce que tend à indiquer la motivation retenue par les juges du fond, selon laquelle M. Puech avait bénéficié d'un enseignement à l'Université ainsi qu'au laboratoire et, surtout, des installations de ce laboratoire et du travail de l'ensemble des personnels techniques. On comprend, dès lors, pourquoi le CNRS avait revendiqué la propriété du brevet déposé par M. Puech, action accueillie par la cour d'appel. Mais, c'était sans compter le champ d'application du régime légal des inventions de salariés. Limites que la Cour de cassation vient rappeler en censurant la décision attaquée. 2. Le champ d'application du régime légal des inventions des salariés
Le texte de l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle ne s'applique qu'aux inventions réalisées par des salariés ou, rappelons-le, aux agents de l'Etat, des collectivités publiques ou de toutes autres personnes morales de droit public. Par suite, et sauf à cumuler leurs fonctions avec un contrat de travail, les mandataires sociaux échappent à l'application de cette disposition. Leurs inventions restent leur propriété. S'agissant des salariés, on doit considérer que la nature de leur contrat de travail importe peu : contrat à durée indéterminée, contrat à durée déterminée, à temps complet, à temps partiel, contrats aidés. Seule importe la qualité de salarié, que celui-ci soit en période d'essai ou pas. Notons que certaines situations sont de nature à générer des difficultés. Ainsi, si l'invention est l'oeuvre d'un salarié temporaire, et que celle-ci peut être qualifiée d'invention de mission ou, plus probablement, d'invention hors mission attribuable, l'application de l'article L. 611-7 suscitera des difficultés. L'entreprise utilisatrice n'est, en effet, pas juridiquement l'employeur, pourtant seul visé par le texte. En résumé, l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle n'est applicable qu'aux seuls salariés et agents publics. Or, et cela relève de l'évidence, le stagiaire n'est assimilable ni à l'un, ni à l'autre. Par suite, on ne peut qu'approuver la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que la propriété de son invention ne relève d'aucune des exceptions limitativement prévues par la loi. Cette solution est justifiée au regard de la maxime selon laquelle les exceptions doivent être interprétées restrictivement. Maxime qui exige que les exceptions soient contenues dans les limites du texte et qui interdit catégoriquement toute création d'exceptions en dehors d'une disposition légale précise (v. en ce sens, H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, ss. Exceptio est strictissimae interpretationis). Par suite, doit être seule appliquée la règle de principe qui, en la matière, prévoit que le droit au titre de propriété industrielle appartient à l'inventeur, c'est-à-dire, ici, le stagiaire et lui seul (C. prop. intell., art. L. 611-6, préc.). En outre, il nous semble que le fait que le stagiaire perçoive une gratification ne change rien à la solution retenue par la Cour de cassation. Cette gratification, quel que soit son montant, ne transforme pas le stagiaire en salarié. On peut penser, au vu de cette décision, que certains employeurs seront désormais incités à proposer un contrat de travail à certaines personnes bardées de diplômes, en lieu et place d'un stage.
Le régime légal des inventions des salariés, tel qu'il a été décrit précédemment, ne s'applique qu'"à défaut de stipulations contractuelles plus favorables au salarié" (C. prop. intell., art. L. 611-7, al. 1er). Si le texte ne vise que les stipulations contractuelles, on peut raisonnablement avancer que rien ne s'oppose, et certainement pas le principe de faveur, à ce que des dispositions conventionnelles plus favorables viennent également écarter les règles légales dès lors que celles-ci sont applicables, ce qui, nous l'avons vu, n'était pas le cas ici. Notons, cependant, qu'en l'espèce, les juges du fond avaient fait application du règlement intérieur du CNRS, en prenant soin de relever que ce dernier se distinguait du règlement intérieur visé aux articles L. 122-33 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L5546ACE). Selon ces mêmes juges, ce règlement était applicable à M. Puech en tant qu'usager du CNRS. Toutefois, et à supposer que ce dernier puisse être qualifié d'usager, ce règlement intérieur était impuissant à écarter les dispositions de l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle et a fortiori celle de l'article L. 611-6. |
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