Réf. : Décision Conseil de la concurrence n° 06-S-01, 3 février 2006, relative à la saisine au fond et à la demande de mesures conservatoires présentées par la Société Bijourama à l'égard de pratiques de la Société Festina France (N° Lexbase : X6343ADB)
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le 07 Octobre 2010
Si la couverture commerciale qu'offre internet laisse espérer un accroissement substantiel des ventes d'un produit mis en ligne, il n'en demeure pas moins que cet outil technologique ne se prête pas à la commercialisation de tous les produits.
En raison de leur propriété, de leur technicité ou de leur image de marque, certains produits nécessitent, en effet, un conseil particulier et adapté (à la clientèle, aux articles...), un personnel formé spécifiquement à la vente du produit en cause ou encore un environnement de vente soigné.
Depuis l'arrêt "Metro 1", rendu le 25 octobre 1977 (1), il n'est plus possible d'éliminer par nature une forme de commerce. Le fabricant qui, en soi, interdirait la vente de produits sur un site virtuel, commet une restriction de concurrence illicite.
La vente sur internet ne peut donc per se faire l'objet d'une interdiction pure et simple. Par conséquent, un système qui exclurait, sans justifications objectives, certaines formes ou modes de distribution susceptibles de favoriser la vente des produits dans des conditions satisfaisantes pour le fabricant aurait "pour seul effet de protéger les formes de commerce existantes de la concurrence des nouveaux opérateurs et ne serait donc pas conforme à l'article 81 § 3 du Traité " (2).
Dans le même sens, la cour d'appel de Paris, le 15 septembre 1993 (CA Paris, 13ème ch., 15 septembre 1993, n° 4034-99), a jugé que "le contrat de distribution sélective ne peut avoir pour objet ou pour effet d'exclure a priori une forme quelconque de distribution".
Par conséquent, un système qui exclurait, sans justifications objectives, certaines formes ou modes de distribution susceptibles de favoriser la vente des produits dans des conditions satisfaisantes pour le fabricant aurait "pour seul effet de protéger les formes de commerce existantes de la concurrence des nouveaux opérateurs et ne serait donc pas conforme à l'article 81 § 3 du Traité" (3).
A ce titre, la Commission européenne précise, dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales, que "chaque distributeur peut être libre d'utiliser internet pour faire de la publicité ou pour vendre des produits" et que "l'interdiction catégorique de vendre sur internet ou sur catalogue n'est admissible que si elle est objectivement justifiée" (4).
II - L'interdiction de vendre sur internet dans le cadre d'un réseau de distributeurs agréés
A - En présence d'une clause contractuelle
Dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, la vente sur internet soulève la problématique suivante : les exigences de qualité inhérentes à la distribution sélective sont-elles compatibles avec la vente sur internet ?
Le Règlement d'exemption n° 2790/1999, du 22 décembre 1999, définit le réseau comme "un système de distribution dans lequel le fournisseur s'engage à vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel les distributeurs s'engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés" (5).
Les accords conclus dans le cadre d'un réseau de distribution peuvent donc relever de l'article 81 du Traité instituant l'Union européenne qui interdit "tout accord ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le Marché unique".
Un accord de distribution sélective qui, dans son objet ou dans ses effets, restreint la concurrence, peut, cependant, être justifié lorsque :
- il contribue à améliorer la production ou la distribution des produits, ou à promouvoir le progrès technique ou économique,
- il réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte,
- il n'impose pas aux entreprises intéressées des restrictions qui ne seraient pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
- il ne donne pas la possibilité à des entreprises, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
Par conséquent, une clause interdisant la vente d'un article par correspondance ou à distance sera justifiée lorsque cette forme de commercialisation ne permet pas d'offrir aux consommateurs un service conforme à ce qu'il est en droit d'attendre d'un produit de luxe ou de grande qualité.
La décision "Pierre Fabre Dermocosmétiques" rendue par le tribunal de commerce de Pontoise, le 15 avril 1999 (Trib. com. Pontoise, 15 avril 1999, n° 99R00132), a consacré le principe selon lequel un distributeur de réseau pouvait créer et vendre au moyen d'un site internet.
Cette liberté peut, cependant, être encadrée par la tête du réseau. A cet égard, dans la même affaire, la cour d'appel de Versailles, le 2 décembre 1999 (CA Versailles, 13ème ch., 2 décembre 1999, SA Pierre Fabre Dermo Cosmétique c/ Breckler, JCP éd. E 2000, n° 30, p.1230), a ainsi considéré que le site litigieux du distributeur "tel qu'il a été conçu et mis en oeuvre, ne remplit pas les objectifs de sécurité, de santé, de mise en valeur des produits, exigés du réseau de distribution sélective mis en place" par le fournisseur.
Le fournisseur a donc le droit d'imposer contractuellement à ses distributeurs susceptibles de vendre des produits en ligne, les exigences suivantes :
- réserver la vente en ligne sur internet aux seuls détaillants préalablement agréés pour un point de vente physique (décision de la Commission européenne du 17 mai 2001, Yves Saint Laurent),
- exiger la façon d'agencer les produits en ligne,
- exiger que des conseils appropriés soient prodigués on-line,
- contrôler la présentation du site (couleurs, graphisme,...),
A la lecture de ce qui vient d'être exposé, il semble donc que la vente sur internet dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, reste le principe, et son interdiction l'exception.
Par conséquent, une clause qui interdirait la vente en ligne d'un article vendu dans un réseau de distribution sélective devra être particulièrement fondée et justifiée, en droit comme en fait, pour être licite.
En revanche, en l'absence de dispositions contractuelles interdisant expressément la commercialisation des produits via internet, un distributeur agréé peut-il recourir à ce mode de commercialisation ?
B - En l'absence d'une clause contractuelle
Le silence du contrat concernant la vente en ligne s'interprète, aujourd'hui, en faveur du distributeur.
Ce constat est confirmé dans un communiqué de procédure du 28 mars 2006, qui fait suite à la décision n° 06-S-01 du 3 février 2006, dans lequel le Conseil de la concurrence vient d'indiquer qu'il avait reçu de la société Festina des engagements dans le cadre d'une procédure contentieuse ouverte devant lui.
Saisi par la société Bijourama, qui vend sur internet des produits de l'horlogerie, bijouterie, orfèvrerie, d'un refus opposé par Festina France à sa demande d'agrément en vue d'intégrer le réseau de distribution sélective des produits de cette dernière, le Conseil de la concurrence envisage de clôturer l'affaire en prenant acte des engagements de Festina France.
Cette affaire soulevait deux difficultés.
D'une part, en refusant d'agréer Bijourama dans le cadre de son réseau de distribution sélective, Festina France souhaitait réserver la vente sur internet des produits Lotus aux seuls distributeurs agréés qui vendent d'ores et déjà lesdites montres dans un point de vente physique. Cette question, qui a déjà fait l'objet d'un contentieux important, ne pose aujourd'hui plus de difficultés.
Rappelons simplement que la Commission, dans sa décision du 17 mai 2001, a approuvé le système de distribution sélective mis en place pour les parfums Yves Saint Laurent qui conditionnait la vente sur internet à l'exploitation préalable par le détaillant agréé d'un point de vente physique. La tête de réseau est donc en droit d'exiger de ses revendeurs sur internet qu'ils acquièrent, par un contact direct avec les clients dans un point de vente, l'expérience nécessaire pour pouvoir vendre en ligne tout en respectant les mêmes exigences, en terme de qualité et de conseil.
D'autre part, le contrat de distribution sélective de Festina France ne contenait pas de disposition régissant la vente sur internet.
Sur ce dernier point, le rapporteur du Conseil de la concurrence a estimé que, "si le principe de la mise en place d'un réseau de distribution sélective pour la vente des montres du groupe Festina Lotus n'apparaît a priori pas illicite, le contrat de distribution sélective de Festina France, sous sa forme actuelle, suscite des interrogations. En effet, ce contrat ne contient aujourd'hui aucune disposition régissant la vente sur internet. En conséquence, Festina France ne peut se fonder uniquement sur celui-ci pour justifier son refus d'agrément. Or, l'absence de règles applicables à la vente sur internet des produits distribués par Festina France, alors que des autorisations ponctuelles et informelles sont accordées aux distributeurs déjà agréés disposant d'un magasin pour recourir à ce type de vente, est susceptible de conduire à des restrictions de concurrence, le cas échéant inacceptables, tant en ce qui concerne les conditions d'agrément des distributeurs au sein du réseau de distribution sélective que les conditions dans lesquelles les membres de ce réseau peuvent recourir à la vente sur internet".
Il semble, donc, que l'absence de contrat-cadre, précisant explicitement les modalités d'agrément spécifiques pour la vente en ligne, soit susceptible de conduire directement ou indirectement à une restriction de la possibilité de vendre sur internet pour les membres du réseau et donc à une restriction de vente active ou passive interdite par l'article 4 du Règlement n° 2790/99.
A cet égard, l'article 4 c) dispose que "l'exemption [...] ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sous le contrôle des parties, ont pour objet :
c) la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité de d'interdire à un membre du système d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé".
Si le formalisme sera toujours préféré à l'absence de règles, il ne semble pas que l'on puisse en déduire de façon quasi-automatique, comme le fait le rapporteur du Conseil de la concurrence, que leur défaut est susceptible de conduire directement ou indirectement à une restriction de la possibilité de vendre sur internet pour les membres du réseau et donc à une restriction de vente active ou passive.
Quoiqu'il en soit, Festina a jugé bon de s'engager à modifier ou à compléter son contrat-type de distribution sélective afin de préciser les conditions du recours à la vente sur internet.
Romain Bourgade
Avocat à la cour
(1) CJCE, 25 octobre 1977, aff. C-26/76, Metro SB-Grossmärkte GmbH & Co. KG c/ Commission des Communautés européennes, quest. préj. (N° Lexbase : A4496AWG).
(2) TPICE, 12 décembre 1996, aff. T-88/92, Groupement d'achat Edouard Leclerc c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A3064AWE).
(3) TPICE, 12, décembre 1996, préc..
(4) Communication CE, n° 2000/C 291/01, Lignes directrices sur les restrictions verticales § 51, JOCE n° 291, 13/10/2002.
(5) Règlement (CE) n° 2790/1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du Traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, art. 1, d) (N° Lexbase : L3833AUI).
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