Réf. : CE, 3° et 8° s-s., 7 novembre 2005, n° 274406, Elections cantonales d'Aix-Sud-Ouest (N° Lexbase : A5022DLL)
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le 07 Octobre 2010
A- Les quelques dispositions existantes du Code électoral
Les conseils généraux se renouvellent par moitié tous les six ans (1). En d'autres termes, tous les trois ans, on vote dans un canton sur deux. La répartition des cantons en deux séries ne résulte pas d'un texte récapitulant une liste de cantons, comme c'est le cas, par exemple, pour les départements aux élections sénatoriales (2). A cette fin, dans chaque département, les cantons sont répartis en deux séries égales, tant au niveau du département que de l'arrondissement, par le conseil général à la réunion qui suit le renouvellement des élus, qui détermine, ensuite, par tirage au sort, l'ordre du renouvellement des séries (3).
Ces dispositions sont claires quand un département nouveau est créé. Elles le sont moins quand quelques cantons nouveaux le sont dans un département existant. Comment les répartir entre les deux séries ? Une précision est apportée par l'article L. 209 du Code électoral (N° Lexbase : L2565AAA) : le conseiller anciennement élu dans un canton nouvellement divisé dispose d'un droit d'option dans les dix jours de la publication du décret. A défaut, le conseil général affecte un canton à l'élu par voie de tirage au sort. Les cantons restants sont pourvus, en fonction du calendrier, soit par une élection partielle, soit au titre du renouvellement de la plus proche série (4). Il reste à attribuer ces cantons à l'une ou l'autre des séries.
La répartition relève bien de la compétence de l'assemblée départementale, dont on mesure l'embarras : elle doit déterminer, non seulement l'affectation de tel ou tel canton à l'une ou l'autre des séries, mais aussi, en fonction de cette répartition, implicitement mais nécessairement, la durée du mandat des élus concernés par ce tirage au sort, qui est, selon les cas, de trois ou de six ans. On peut mieux comprendre, dès lors, la tentation de forcer le sort.
B- La jurisprudence dégagée par le Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat a eu à se prononcer, en moyenne une fois par décennie, sur la question de l'attribution de cantons à une série. Les éléments qui s'en dégagent sont les suivants :
1°) la procédure d'affectation ne peut avoir pour effet d'autoriser le préfet à mettre fin unilatéralement à un mandat dont la durée est fixée par la loi, plus exactement, à provoquer, par la convocation du corps électoral, l'élection qui aurait pour objet de pourvoir un siège non vacant (5) ;
2°) la procédure s'effectue en deux temps : se règle, d'abord, la question du choix des cantons affectés aux anciens élus, les cantons "héritiers", qui, si les élus ont opté comme le prévoit la loi, est un simple constat ; puis le conseil général répartit les autres cantons "non héritiers" par tirage au sort, sans en excepter aucun (6) ;
3°) la circonstance qu'un découpage cantonal ait été, ensuite, annulé par le juge de l'excès de pouvoir n'a pas pour effet de mettre fin au mandat des élus ou d'en réduire la durée, dès lors que ni l'élection, ni la procédure de répartition par voie de tirage au sort n'ont été attaquées au contentieux, l'une devant le juge électoral, l'autre devant le juge de l'excès de pouvoir (7) ;
4°) si l'égale répartition des cantons entre séries dans un même département constitue un objectif contraignant pour le conseil général, il n'en va pas de même pour l'égalité de répartition entre séries de cantons d'un même arrondissement (8).
Dans l'affaire citée en référence, la question de l'attribution du canton à une série se trouve implicitement posée par un candidat malheureux à l'occasion d'un contentieux électoral par ailleurs banal. Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de censurer partiellement (9) le découpage cantonal des Bouches-du-Rhône opéré par décret (10). Du fait de cette décision, la création de certains cantons a été maintenue, celle d'autres annulée, ce qui a rendu fortement inégale la répartition des cantons entre séries. Le requérant en déduisait la possibilité de faire changer son canton de série. Sa requête a été rejetée au motif que l'opération aurait eu pour effet principal de porter la durée d'un mandat de conseiller général de six à neuf ans.
II. La méthode suggérée par la jurisprudence du Conseil d'Etat
Ainsi se dessine une méthode de référence par touches successives dont l'articulation mérite d'être exposée plus en détail. Quand et comment envisager concrètement ces modalités de répartition ?
A- Quand l'envisager ?
L'usage s'est établi de créer les cantons pour qu'ils soient pourvus lors du renouvellement général qui suit, juste avant le terme légal d'un an avant une élection générale qui interdit toute modification de circonscription (11). Les dernières grandes redistributions cantonales remontent à 1991 (12) et 1997 (13), avec quelques opérations ponctuelles en 2000 (14) et 2003 (15).
La publication du décret entraîne un droit d'option des élus dans les dix jours de la publication du décret. Le texte de la loi, quelque peu ancien dans sa rédaction, parle de "promulgation" mais c'est bien de "publication" au sens où on l'entend maintenant qu'il est question. Dans ce délai, les élus optent pour un nouveau canton, qui devient le canton "héritier", affecté à la même série que son prédécesseur, la durée du mandat de l'élu n'étant pas modifiée. Si l'élu s'abstient de choisir, le conseil général le fait à sa place et le canton "héritier" est choisi par voie de tirage au sort. Les conséquences sont identiques (16).
On suppose que, dans le laps de temps séparant l'option des derniers élus et le renouvellement, le Conseil d'Etat a purgé le contentieux de l'excès de pouvoir portant sur le découpage électoral. Faute de quoi l'on se retrouve dans la situation de la Meurthe-et-Moselle en 1998, où, à la suite d'un redécoupage annulé postérieurement aux élections (17), un élu est resté membre du conseil général alors que sa circonscription avait disparu !
C'est ensuite que la loi présente une difficulté : il faut attendre la première réunion de droit du conseil général pour procéder à la répartition des nouveaux cantons entre deux séries. Autrement dit, on l'effectue en sachant qui vient d'être élu dans chaque canton.
B- Comment l'envisager ?
Il n'est pas exclu que la question du tirage au sort se règle d'elle-même. Par exemple, si le redécoupage crée un canton supplémentaire dans un département à nombre inégal de cantons dans chaque série, il est clair que le nouveau devra être affecté à la série comprenant le moins de cantons.
Si le redécoupage crée un ou deux cantons "non héritiers" dans un département à nombre égal de cantons dans chaque série, le tirage au sort est obligatoire. De même pour deux cantons supplémentaires "non héritiers" dans un département où une série compterait un canton de plus que l'autre.
Au-delà, il faut une étape intermédiaire : fixer le nombre de cantons additionnel par série. Par exemple, création de cinq cantons "non héritiers" dans un département à séries comptant l'une 20, l'autre 21 cantons : il faut en attribuer 3 dans la série comptant le moins de cantons et 2 dans l'autre. Si les premiers nombres étaient 20 et 23, la distribution serait respectivement de 4 et 1, etc. Ensuite, chaque canton est réparti au sort. On ne peut pas procéder par bloc en regroupant les cantons, ce qu'interdit en principe la recherche d'égalité par arrondissement.
Dans ces conditions, l'attribution d'un canton à une série comporte nécessairement renouvellement du conseiller général qui en est l'élu en même temps que la série dont il fait partie. Par voie de conséquence, des élus chanceux resteront désignés pour six ans, tandis que d'autres, moins favorisés par le sort, le seront seulement pour trois ans.
Conclusion
On peut se demander, dès lors, pourquoi le législateur a confié au conseil général le soin du tirage au sort. Les règles, héritées du XIXe siècle comme l'indique le vocabulaire, se comprenaient parfaitement dans des assemblées départementales dont le préfet était le seul exécutant. C'est, en fait, lui qui proposait la procédure, même si matériellement, c'est l'assemblée qui procédait au tirage au sort. Les lois de décentralisation après 1982 n'ont pas entendu enlever au conseil général une compétence déjà décentralisée. Mais la conception moderne du droit se montre plus encline à souligner l'éventuelle absence de neutralité d'une assemblée dont certains membres ont intérêt aux résultats du tirage au sort.
Guy Prunier
Chargé de mission au Conseil constitutionnel
(1) Code électoral, art. L. 192 (N° Lexbase : L2550AAP).
(2) Code électoral, art. L. 279 (N° Lexbase : L2637AAW).
(3) Code électoral, art. L. 192 précité.
(4) Code électoral, art. L. 221 (N° Lexbase : L2473AAT).
(5) CE, cont., 5 mai 1976, n° 95404, Ministre de l'Intérieur c/ M. Corlay (N° Lexbase : A3669B7Z).
(6) CE, cont., 19 décembre 1984, n° 56718, M. Hethener, département de la Moselle c/ M. Delrez (N° Lexbase : A4729ALQ).
(7) CE, 3° et 8° s-s., 24 janvier 2001, n° 227439, M. Guillerme (N° Lexbase : A6575AP9).
(8) CE, cont., n° 56718 précité et CE ass., 13 novembre 1998, n° 187318, MM. Le Déaut et autres (N° Lexbase : A1220AIZ).
(9) CE, cont., 21 janvier 2004, n° 255375, M. Guinde N° Lexbase : A0633DB3).
(10) Décret n° 2003-156 du 27 février 2003, portant remodelage de cantons dans le département des Bouches-du-Rhône (N° Lexbase : L1103HIP).
(11) Loi n° 90-1103 du 11 décembre 1990, organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, art. 7 (N° Lexbase : L7100HEP).
(12) 12 décrets du 27 février 1991 :
- n° 91-209, portant modification et création de cantons dans le département des Bouches-du-Rhône (N° Lexbase : L0651HIX) ;
- n° 91-210, portant modification et création de cantons dans le département du Calvados (N° Lexbase : L0652HIY) ;
- n° 91-211, portant modification et création de cantons dans le département du Finistère (N° Lexbase : L0653HIZ) ;
- n° 91-212, portant modification et création de cantons dans le département du Gard (N° Lexbase : L0654HI3) ;
- n° 91-213, portant modification et création de cantons dans le département de l'Hérault (N° Lexbase : L0655HI4) ;
- n° 91-214, portant modification et création de cantons dans le département d'Ille-et-Vilaine (N° Lexbase : L0656HI7) ;
- n° 91-215, portant modification et création de cantons dans le département de Loir-et-Cher (N° Lexbase : L0657HI8) ;
- n° 91-216, portant modification et création de cantons dans le département du Nord (N° Lexbase : L0658HI9) ;
- n° 91-217, portant modification et création de cantons dans le département du Pas-de-Calais (N° Lexbase : L0659HIA) ;
- n° 91-218, portant suppression et modification de cantons dans le département de la Seine-Maritime (N° Lexbase : L0660HIB) ;
- n° 91-219, portant modification et création de cantons dans le département de Seine-et-Marne (N° Lexbase : L0661HIC) ;
- n° 91-220, portant modification et création de cantons dans le département de Tarn-et-Garonne (N° Lexbase : L0662HID) ;
- n° 91-221, portant modification et création de cantons dans le département de l'Yonne (N° Lexbase : L0663HIE) ;
et 2 décrets du 28 février 1991 :
- n° 91-231, portant modification et création de cantons dans le département de la Réunion (N° Lexbase : L0664HIG) ;
- n° 91-232, portant modification et création de cantons dans le département de la Guadeloupe (N° Lexbase : L0665HIH).
(13) Décret n° 97-21 du 13 janvier 1997 portant modification et création de cantons dans le département du Var (N° Lexbase : L1105HIR), 7 décrets non numérotés du 26 février 1997 :
- décret portant modification et création de cantons dans le département de la Haute-Garonne (N° Lexbase : L0669HIM) ;
- décret portant modification des limites territoriales de communes, de cantons et d'arrondissements du département du Pas-de-Calais (N° Lexbase : L0668HIL) ;
- décret portant modification des limites territoriales de communes et de cantons du département de l'Essonne (N° Lexbase : L0670HIN) ;
- décret portant modification et création de cantons dans le département de la Haute-Savoie (N° Lexbase : L0672HIQ) ;
- décret portant modification de cantons dans le département de l'Isère (N° Lexbase : L0671HIP) ;
- décret portant modification des limites territoriales de communes et de cantons du département de l'Oise (N° Lexbase : L0673HIR) ;
- décret portant modification et création de cantons dans le département de l'Aude (N° Lexbase : L0674HIS) ;
et un décret du 27 février 1997, portant modification et création de cantons dans le département de la Réunion (N° Lexbase : L0666HII).
(14) Décret du 28 février 2000, portant fusion, modification et création de cantons dans le département du Rhône (N° Lexbase : L0667HIK).
(15) Décret n° 2003-156 précité.
(16) Code électoral, art. L. 209 précité.
(17) CE, cont., n° 187318 et n° 227439 précités.
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