La lettre juridique n°205 du 9 mars 2006 : Bancaire

[Jurisprudence] Forclusion : convention tacite de découvert sur convention expresse ne vaut

Réf. : Cass. civ. 1., 21 février 2006, n° 04-15.229, Dorbes c/ Banque Courtois, FS-P+B (N° Lexbase : A1769DNT).

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le 07 Octobre 2010

On pouvait penser que tout avait été dit sur le point de départ du délai de forclusion. En tout cas, qu'il ne fallait plus s'attendre à de grands arrêts en la matière. C'est pourtant par un arrêt de principe que la première chambre civile de la cour de cassation vient de censurer, dans sa décision du 21 février 2006 (1), les juges du fond qui n'avaient pas fait courir correctement le délai biennal de forclusion de l'action du prêteur.

En l'espèce, une banque consent une première ouverture de crédit par découvert en compte à un client, d'un montant déterminé et à échéance du 28 novembre 1998, puis une seconde ouverture de crédit, à échéance du 15 décembre 1998. Le client défaillant est vainement mis en demeure de payer le 27 mars 2000, et son compte est clôturé. La banque l'assigne alors en paiement, mais dans un premier temps devant une juridiction qui constate, le 7 août 2001, son incompétence au profit du tribunal d'instance. Une nouvelle procédure est subséquemment engagée devant cette dernière juridiction, et la banque est accueillie. Pour les juges du fond, le point de départ du délai de forclusion se situe nécessairement à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance, ce qui est conforme à la jurisprudence (2). Mais ils viennent ajouter que, s'agissant d'un découvert en compte, cela correspond à la date de la résiliation de la convention d'ouverture de crédit, et donc à la date de la mise en demeure, soit le 27 mars 2000, ce que censure la première chambre civile dans un arrêt rendu sous la forme d'un arrêt de principe.

Au visa de l'article L. 311-37 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6496AB9), cet arrêt énonce en effet, en chapeau, le principe selon lequel : "l'existence d'une convention tacite de découvert étant incompatible avec la conclusion préalable d'une convention expresse de découvert d'un montant déterminé sur un même compte, le défaut de remboursement au terme convenu, manifeste la défaillance de l'emprunteur et constitue le point de départ du délai biennal de forclusion".

Traditionnellement, la jurisprudence décide que le délai court à compter de l'incident qui caractérise la défaillance de l'emprunteur. C'est ainsi que l'Assemblée plénière, à propos d'une ouverture de crédit reconstituable et assortie d'une obligation de remboursement à échéances convenues, a pu décider de faire courir le délai à compter de la première échéance impayée non régularisée (3), et non plus à compter de la date à laquelle prend fin l'ouverture de crédit (4). Mais cette solution ne se conçoit que pour autant que l'incident intervient avant la fin de l'ouverture du concours. Sinon, c'est cette dernière date qui fait courir le délai biennal. Sauf, bien sûr, lorsque les échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou d'un rééchelonnement, où le point de départ du délai de forclusion est alors cette fois "le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement" (5).

S'agissant des découverts en compte, le régime est sensiblement différent. Le délai court "à compter de la date à laquelle le solde débiteur devient exigible [et] en l'absence de terme [...], pour les découverts consentis tacitement avant l'entrée en vigueur [...] de la loi du 31 décembre 1989 (6), le délai court à compter de la résiliation de la convention d'ouverture de crédit à l'initiative de l'une des parties" (7).

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rapporté, il était assez tentant pour le prêteur de se prévaloir d'un découvert tacite, postérieurement au terme de l'ouverture de crédit convenue, pour reculer le point de départ du délai à la date de la clôture du compte. Une telle construction supposait toutefois une cohabitation des conventions expresse et tacite. En l'espèce, que l'une puisse succéder à l'autre. Mais en érigeant en principe l'incompatibilité d'une convention tacite avec la conclusion préalable d'une convention expresse de découvert, la première chambre civile écarte définitivement un tel argument. La convention tacite étant incompatible, elle est inexistante. La convention expresse est, conséquemment, seule susceptible d'être prise en compte, et ce n'est pas la date de sa résiliation, mais celle à laquelle le solde débiteur est devenu exigible qui fait courir le délai. Or, comme le relève la première chambre civile, "le découvert consenti était devenu exigible le 15 décembre 1998, soit plus de deux ans avant la saisine de la juridiction compétente" ; la forclusion devait donc produire son empire. Cette conséquence est alors assez classique. C'est, en effet, la date de l'assignation qui permet d'apprécier si l'action a été engagée dans le délai (8). Et cette action n'est valablement formée que si la juridiction compétente, saisie de la demande du prêteur par le jugement du TGI renvoyant les parties devant le tribunal d'instance, intervient à une date antérieure à l'expiration du délai de 2 ans (9), puisque la date de saisine du tribunal compétent se situe au jour du jugement d'incompétence et de renvoi, quand un tribunal se déclare incompétent et renvoie l'affaire devant un autre (10).

Aucune cohabitation n'étant possible, désormais de deux choses l'une : ou bien la convention est une convention expresse, dont l'exigibilité faisant courir le délai de forclusion est le terme -ou avant cela, le cas échéant, le premier incident de paiement-; ou bien la convention est une convention tacite, et c'est, cette fois, la résiliation à l'initiative de l'une quelconque des parties qui matérialise le point de départ du délai. Cette nouvelle incompatibilité de principe est sans doute dure pour le prêteur. Celui-ci n'est cependant pas sans solution, ce qui devrait être de nature à induire de nouveaux comportements.

Le prêteur pourrait tirer parti du fait que l'incompatibilité nouvelle ne concerne que certaines conventions. Celles-ci doivent, en effet, remplir cumulativement plusieurs conditions : la convention expresse doit être "préalable" et "d'un montant déterminé", d'une part, et les deux conventions supposées doivent porter sur le "même compte", d'autre part. Il est donc permis de penser que si l'une des conditions venait à faire défaut, l'incompatibilité devrait tomber. Une convention tacite suivie d'une convention expresse ne serait ainsi pas incompatible. Pour éviter que le défaut de remboursement au "terme convenu" ne serve de point de départ au délai de forclusion, il peut également ne pas convenir de terme. Mais le prêteur devrait aussi veiller à ne pas se placer dans le champ de l'incompatibilité lorsque les difficultés sont avérées. En pratique, s'il souhaite laisser quelque temps à son débiteur qui éprouve des difficultés à l'échéance, il doit soit ouvrir un nouveau compte, soit conclure une nouvelle convention expresse. Il a, en outre, comme on l'a vu, la possibilité de convenir expressément avec lui un aménagement ou rééchelonnement.

La leçon que le prêteur doit retirer de l'arrêt du 21 février 2006 est, une nouvelle fois, de rester actif à l'échéance. Ne rien faire est ici encore l'assurance de perdre à brève échéance tous ses droits. Comme on a déjà pu l'énoncer dans ces mêmes colonnes, sa trop grande tolérance lui fera sinon encourir la forclusion (11).

Richard Routier
Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var


(1) Cass. civ. 1., 21 février 2006, n° 04-15.229, Dorbes c/ Banque Courtois, FS-P+B (N° Lexbase : A1769DNT).
(2) Cass. civ. 1, 9 décembre 1986, n° 85-11.263, Sofinco La Hénin c/ Epoux Praver (N° Lexbase : A6341AA4), Bull. civ. I n° 293 ; D. 1988, p. 84, note G. Paire ; Gaz. Pal., 16 avril 1987, n° 106, note M. Mayer et R. Pinon ; JCP éd. G 1987, II 20862, note E.-M. Bey.
(3) Ass. Plén., 6 juin 2003, n° 01-12.453, Cetelem, P (N° Lexbase : A9491C7N), Bull. A. P. n° 6 p. 15 ; Defrénois 2003, n° 37810, p. 1179, note E. Savaux ; M. Guilé, Revirement concernant le point de départ du délai de forclusion en matière de découvert en compte reconstituable, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N8029AAM) ; JCP éd. E 2004, p. 33, note I. Fadlallah.
(4) Cass. civ. 1, 9 mars 1999, n° 96-12.053, Société Cetelem c/ Bauer (N° Lexbase : A8641AHI), Bull. civ. I, n° 85 p. 57 ; Gaz. Pal. 20 novembre 1999, n° 324, p. 26, note O.-M. Boudou et A. Claude ; Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-14.251, Cofidis c/ Prouteau (N° Lexbase : A9183A4U), Bull. civ. I, n° 41, p. 33.
(5) C. consom., art. L. 311-37, al. 2.
(6) Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989, art. 19-I (N° Lexbase : L2053A4S) [modifiant L. du 10 janv. 1978, art. 5, al. 2 devenu C. consom., art. L. 311-9 N° Lexbase : L6734ABZ].
(7) Cass. avis, 9 octobre 1992, Bull. civ. avis n° 1, D. 1992, IR p. 258 ; JCP éd. G 1993, II 22024, note A.-M. Morgan de Rivery-Guillaud, et éd. E 1993, I 207, note D. Martin ; Cass. civ. 1, 30 mars 1994, n° 92-17.048, CRCAM de la Mayenne c/ Bourdin (N° Lexbase : A2271AC4), Bull. civ. I n° 126 ; D. 1994 IR p. 101 ; JCP éd. G 1995, II 22405, note P. Gramaize ; Cass. civ. 1, 17 mars 1998, n° 96-15.567, Banque nationale de Paris c/ Epoux Petra (N° Lexbase : A2271AC4), Bull. civ. I n° 118 ; Cass. civ. 1, 1er juin 1999, n° 97-19.119, Banque nationale de Paris c/ Janneau (N° Lexbase : A7418A4I), Bull. civ. I n° 186 ; RTD com. 2000, p. 162, obs. B. Bouloc.
(8) Bull. inf. C. cass., 1er novembre 1992, p. 26 ; CA Paris, 3 février 1998, 8ème ch., sect. A, Schwoerer c/ BNP, Banque et droit, mai-juin 1998, p. 37, obs. J.-L. Guillot.
(9) Cass. civ. 1, 17 mars 1993, n° 90-17.984, Agati c/ Crédit Lyonnais (N° Lexbase : A5396AHC), Bull. civ. I n° 118.
(10) CA Versailles, 1ère ch., 11 décembre 1998, n° 99-283, Société Slibailautos c/ Colcanap, Bull. inf. C. cass. 1999, n° 1384.
(11) R. Routier, note Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 02-13.765, Société Cofinoga c/ Mme Christine Fumanal, FS-P+B (N° Lexbase : A4445DH4), Tolérance du prêteur : gare à la forclusion !, Lexbase Hebdo n° 165 du 28 avril 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N3558AIM).

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