Réf. : Cass. soc., 28 février 2006, n° 03-44.781, Association AIMV, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2160DNC)
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N5318AK8
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le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 28 février 2006, n° 03-44.781, Association AIMV, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2160DNC) Rejet (CA Lyon, 9 mai 2003) Textes concernés : C. trav., art. L. 129-1 (N° Lexbase : L7734HB3) ; C. trav., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT). Mots-clefs : association de services à la personne ; mandat ; appel en garantie de l'association par l'employeur ; responsabilité de l'association. Lien bases : |
Apport de l'arrêt
Lorsqu'un organisme se substitue habituellement aux obligations légales de l'employeur, il peut être mis en cause aux côtés de celui-ci en cas de litige entre l'employeur et ses salariés. Par suite, lorsqu'une association de services à la personne établit les fiches de paie d'une salariée, il doit être considéré qu'elle s'est régulièrement substituée à l'employeur pour l'accomplissement de cette obligation légale, de sorte qu'elle peut être appelée en garantie devant la juridiction saisie du litige opposant l'employeur à sa salariée au sujet de sa rémunération. |
Faits
Mme X a été engagée le 20 novembre 1990 en qualité de garde au domicile de Geneviève Z, par l'intermédiaire de l'association AIMV qui était chargée du recrutement, de l'établissement des bulletins de paie et de l'accomplissement de diverses formalités administratives inhérentes à l'emploi. La salariée ayant saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement d'astreintes et d'heures complémentaires, l'employeur a appelé l'association en la cause pour être garanti de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre. L'association reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à garantir pour moitié la condamnation de Geneviève Z au paiement d'un rappel de salaire. Elle fait notamment valoir, au soutien de son pourvoi, que la compétence des juridictions prud'homales est limitée aux différends pouvant s'élever entre employeurs et salariés et qu'elle n'est ni le représentant des employeurs, ni un organisme se substituant aux obligations légales de l'employeur au sens de l'article L. 511-1, alinéa 2, du Code du travail, en sorte qu'elle ne pouvait être appelée en cause par Mme Z. L'association argue également qu'aux termes de la convention conclue entre elle et Mme Z, les seules obligations de l'association consistent à exécuter l'ensemble des travaux administratifs relatifs à la paye de la garde à domicile et effectuer les démarches administratives inhérentes à cet emploi. En outre, il était stipulé que la personne physique s'engage expressément à respecter toutes ses obligations légales et conventionnelles d'employeur. La convention des parties ne comportait donc pas d'engagement de l'association quant au respect de ces obligations. Cette dernière ne garantissait pas que la rémunération versée à la salariée serait en conformité exacte avec la réglementation compte tenu des heures de travail réellement effectuées et elle n'avait pas, en tous cas, d'obligation de résultat. Par conséquent, en décidant cependant que l'AIMV avait manqué à son obligation de conseil, la cour d'appel a violé les articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) du Code civil. |
Solution
1. Rejet 2. "Mais attendu, d'abord, que, selon l'article L. 511-1, alinéa 2, du Code du travail lorsqu'un organisme se substitue habituellement aux obligations légales de l'employeur, il peut être mis en cause aux côtés de celui-ci en cas de litige entre l'employeur et ses salariés ; qu'en constatant que l'association établissait les fiches de paie de la salariée, la cour d'appel a fait ressortir qu'elle s'était régulièrement substituée à l'employeur pour l'accomplissement de cette obligation légale, de sorte qu'elle pouvait être appelée en garantie devant la juridiction saisie du litige opposant l'employeur à sa salariée au sujet de sa rémunération". 3. "Et attendu, ensuite, que la cour d'appel qui a relevé que l'association établissait des fiches de paie sans tenir compte du fait que le nombre d'heures de travail déclarées par les parties impliquait le calcul d'heures supplémentaires, a pu décider qu'elle avait ainsi manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de Geneviève Z". |
Commentaire
1. Le rôle des associations de service aux personnes
Les associations de service aux personnes participent, au même titre que les groupements d'employeurs (C. trav., art. L. 127-1 et suiv. N° Lexbase : L7689HBE) ou les associations intermédiaires (C. trav., art. L. 322-4-16-3 N° Lexbase : L6153ACU), à l'activité de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif. Plus précisément, et pour reprendre les termes de l'alinéa 1er de l'article L. 129-1 du Code du travail qui les régit, ces associations consacrent exclusivement leur activité "à des services aux personnes physiques à leur domicile ainsi qu'à des services favorisant le maintien à leur domicile des personnes âgées, handicapées ou dépendantes" (2). A cette fin, les associations en question peuvent intervenir de deux façons :
- par le placement de travailleurs auprès de personnes physiques employeurs ainsi que, pour le compte de ces dernières, par l'accomplissement des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi de ces travailleurs (C. trav., art. L. 129-1, I, 1°) ; Ces deux situations ont évidemment en commun de déboucher sur une relation triangulaire : association de placement, particulier, salarié. Toutefois, elles se différencient fondamentalement par le fait que, dans la première hypothèse, c'est le particulier qui est juridiquement l'employeur, tandis que dans la seconde, c'est l'association. Aussi, doit-on considérer que, lorsque le particulier est l'employeur, les relations pouvant exister entre lui et l'association s'établissent sur la base d'un contrat de mandat, au moins à compter de l'embauche (4). Il en ira ainsi lorsque, en application de l'article L. 129-1, I, 1°, l'association accomplit, pour le compte de l'employeur, les formalités administratives et les déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi des travailleurs. Il s'agira plus précisément d'établir, comme en l'espèce, les bulletins de paie ou encore de demander et de renseigner les formulaires d'immatriculation de l'employeur et du salarié auprès de la Sécurité sociale, etc.
C'est précisément cette dernière hypothèse, et l'affaire qui nous intéresse l'illustre parfaitement, qui suscite le plus de difficultés par le risque de confusion qu'elle est susceptible d'engendrer dans les rapports contractuels. A priori toutefois, le fait que l'association se borne à accomplir les actes juridiques précités pour le compte du particulier ne permet pas d'engager la responsabilité de l'association à l'égard des salariés qu'elle s'est contentée de placer. C'est ce qui ressort d'un arrêt déjà ancien, par lequel la Cour de cassation a censuré un jugement qui, pour condamner solidairement des personnes âgées et une association d'aide à ces mêmes personnes au paiement de diverses sommes dues à des gardes, s'était borné à relever que les contrats de travail avaient été matériellement établis par l'association, alors que celle-ci avait fait valoir dans ses conclusions que son rôle s'était limité à l'accomplissement de certaines tâches administratives pour le compte des employeurs (Cass. soc., 2 juin 1993, n° 90-40.275, Association départementale d'aide aux personnes âgées ou handicapées de Haute-Marne c/ M. Bel et autres N° Lexbase : A6372ABM). Ainsi que le souligne à juste titre l'Avocat général, Jacques Duplat, dans ses conclusions précitées, "cette jurisprudence, juridiquement incontestable, est socialement opportune à l'égard d'associations à but non lucratif qui fournissent souvent une aide bénévole limitée, selon les prévisions de la loi, à quelques tâches administratives et qui n'auraient pas les moyens de se porter garantes des sommes dues aux salariés par les employeurs". Cela étant, on aurait tort de croire que l'association jouit, en la matière, d'une totale impunité. Au contraire, et conformément au droit commun du mandat, l'association devra répondre de ses fautes, que ce soit à l'égard du mandant ou du salarié. En outre, et en allant plus avant, l'association pourra, dans certaines hypothèses, être qualifiée d'employeur en lieu et place du particulier. De là, la nécessité pour cette dernière de strictement se cantonner à son rôle de mandataire. 2. La nécessité pour l'association de se cantonner à son rôle de mandataire
On sait que le mandataire est susceptible d'engager sa responsabilité de manière différente envers le mandant et envers les tiers avec lesquels il traite (pour plus de détails sur la question, v. par ex., Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2004, spéc., §. 567). Ainsi que l'affirme l'article 1992, alinéa 1er, du Code civil, le mandataire est responsable envers le mandant du dommage causé par sa faute et sa responsabilité est contractuelle. A l'égard des tiers, le mandataire est responsable des délits ou quasi-délits (C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1488ABQ et 1383 N° Lexbase : L1489ABR) qu'il commet dans l'exécution de sa mission (5). Appliquées à la situation qui nous intéresse, ces brèves remarques conduisent à affirmer que la responsabilité de l'association ne peut être éventuellement recherchée à l'égard du tiers salarié que sur la base de la responsabilité du mandataire à l'égard des tiers (v., en ce sens, J. Duplat, concl. préc., p. 108 et la jsp. citée). La Cour de cassation a ainsi pu casser, en visant notamment les articles 1984 et 1382 du Code civil, un jugement d'un conseil de prud'hommes pour n'avoir pas examiné si l'association n'avait pas commis de faute en tant que mandataire, ce qui aurait conduit à engager sa responsabilité vis-à-vis des tiers (6) (Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 97-44.718, Mme Laurent c/ Association Assistance et solidarité, publié N° Lexbase : A9325AHT). En l'espèce, la salariée aurait donc pu agir contre l'association sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ou encore contre celle-ci et, dans le même temps, contre le particulier employeur. Toutefois, la salariée avait uniquement actionné son employeur, qui avait alors appelé l'association en la cause, pour être garanti de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre. A juste titre, selon la Cour de cassation qui fait, ici, application de l'article L. 511-1, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1723GZT) selon lequel lorsqu'un organisme se substitue habituellement aux obligations légales de l'employeur, il peut être mis en cause aux côtés de celui-ci en cas de litige entre l'employeur et ses salariés. Or, en constatant que l'association établissait les fiches de paie de la salariée, la cour d'appel a fait ressortir qu'elle s'était régulièrement substituée à l'employeur pour l'accomplissement de cette obligation légale, de sorte qu'elle pouvait être appelée en garantie devant la juridiction saisie du litige opposant l'employeur à sa salariée au sujet de sa rémunération. Cela étant admis, il restait encore à démontrer que l'association avait manqué à ses obligations contractuelles à l'égard du particulier employeur. Approuvant à nouveau les juges d'appel, la Cour de cassation se borne ici à relever que l'association établissait des fiches de paie sans tenir compte du fait que le nombre d'heures de travail déclarées par les parties impliquait le calcul d'heures supplémentaires, ce qui suffisait à caractériser un tel manquement. On admettra que, ce faisant, les juges du fond et, après eux, la Cour de cassation ne se sont guère montrés exigeants pour caractériser la faute du mandataire, alors même que l'article 1992, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2215ABN) commande d'apprécier sans sévérité la responsabilité de celui qui rend un service gratuit (7). En tout état de cause, cette décision laisse clairement entendre aux associations de services aux personnes qu'elles doivent redoubler de vigilance lorsqu'elles accomplissement pour le compte de ces dernières des actes juridiques tels que l'établissement de bulletins de salaire.
Quoi que le problème ne se posait pas en l'espèce, il importe d'évoquer brièvement la question du dépassement par une association de services aux personnes de l'objet de son mandat. Si un tel dépassement est susceptible d'entraîner des conséquences au regard des règles gouvernant le contrat spécial en cause, il est surtout de nature à conduire à un déplacement de la qualité d'employeur. Il ne peut en aller ainsi que dans l'hypothèse où l'association s'est contentée, au moins dans un premier temps, de placer le salarié sans l'embaucher. Hypothèse qui renvoie, rappelons-le, aux dispositions de l'article L. 129-1, I, 1° du Code du travail. Or, et sans qu'il soit besoin de s'étendre sur le sujet, il se peut très bien que l'association devienne l'unique employeur du salarié dès lors qu'elle exerce continûment la totalité des prérogatives de l'employeur. Il s'agit ni plus ni moins ici que d'un cas classique de requalification, les juges dépassant la situation créée en apparence pour restituer aux faits leur exacte qualification. Un arrêt rendu le 20 janvier 2000 par la Chambre sociale offre une intéressante illustration d'une telle requalification (Cass. soc., 20 janvier 2000, n° 98-13.216, Association Alpes-Maritimes présence et aide à domicile (AMPAD) c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes-Maritimes, inédit N° Lexbase : A2629BWB). Pour aller à l'essentiel, il importe de relever que tout va dépendre de la situation de fait et, bien entendu, de l'attitude de l'association. Ainsi, les démarches administratives, comptables ou réglementaires qu'effectuent les associations de services aux personnes ne leur confèrent pas la qualité d'employeur, dès lors qu'elles ont eu lieu "dans le cadre de leur activité humanitaire d'aide et de soutien aux personnes dépendantes" (Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 99-43.041, FS-P N° Lexbase : A4482A4R) (8). En d'autres termes, et ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans l'arrêt que nous évoquions en préambule, l'association qui se borne à remplir un rôle de mandataire en accomplissant pour le compte de particuliers employeurs des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi des travailleurs placés auprès d'eux, ne sauraient elle-même être qualifiée d'employeur (Cass. soc., 23 novembre 2005, préc.). Une solution équilibrée et juste, qui démontre qu'en la matière tout est question de mesure.
Gilles Auzero (1) Adde le commentaire de Christophe Willmann, Service à la personne : les associations n'ont pas la qualité d'employeur, Lexbase Hebdo n° 194 du 14 décembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2017AKW). (2) Cet alinéa résulte d'une ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-602 relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle N° Lexbase : L5050DZ3) qui a quelque peu élargi cette définition. (3) Le caractère onéreux de la prestation ne doit pas laisser à penser que le prêt de main-d'oeuvre se fait à but lucratif dans cette hypothèse. Il s'agit simplement d'obtenir le remboursement des salaires versés et, éventuellement, celui des frais engagés. (4) Certains évoquent, également, le mandat pour les relations antérieures à l'embauche, c'est-à-dire lors des opérations de recrutement. Or, il ne s'agit pas là d'actes juridiques. Aussi serait-il plus correct de parler de "courtage" (v., en ce sens, J. Duplat, concl. ss. Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 97-44.718, Mme Laurent c/ Association Assistance et solidarité, publié N° Lexbase : A9325AHT, RJS 2/01, p. 105). (5) Ainsi que le précise MM. Malaurie, Aynès et Gautier, "A l'égard des tiers, le mandataire n'engage sa responsabilité contractuelle qu'exceptionnellement, car la représentation établit un lien direct entre le tiers et le mandant. Ce n'est qu'en cas de représentation imparfaite -le mandataire ayant traité en son propre nom- qu'il engagerait sa responsabilité contractuelle envers les tiers, sauf son recours contre le mandant" (ouvrage préc., p. 357, in fine). (6) En l'espèce, il s'agissait de se prononcer sur la responsabilité d'une association de services aux personnes ayant, en qualité de mandataire, mis une personne au service d'un particulier au poste de garde-malade. Celle-ci, victime d'un accident du travail au cours de cette mise à disposition, avait engagé une action à l'encontre de l'association pour obtenir le paiement d'indemnités pour licenciement abusif. Le conseil de prud'hommes avait alors rejeté cette demande comme irrecevable dès lors que l'association n'était pas employeur mais seulement mandataire, et qu'elle n'avait donc pas compétence pour intervenir dans un litige entre particulier employeur et travailleur. (7) Il est vrai que l'association n'a été condamnée à garantir que pour moitié la condamnation du particulier au paiement d'un rappel de salaire. (8) Ainsi que le relève à juste titre un commentateur anonyme de cet arrêt, "par cette expression, qui ne figure pas dans la loi, la Chambre sociale de la Cour de cassation a entendu tenir compte de la situation particulière des associations qui, venant en aide à des personnes particulièrement démunies, sont souvent amenées à accomplir de leur propre initiative certaines formalités au lieu et place d'un employeur que son état de santé rend défaillant. La qualité d'employeur ne pourra, dans ce cas, leur être opposée" (RJS 2/03, n° 265). |
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