La lettre juridique n°205 du 9 mars 2006 : Fiscal général

[Textes] Les mesures fiscales de la loi d'orientation agricole pour 2006

Réf. : Loi d'orientation agricole, n° 2006-11, du 5 janvier 2006 (N° Lexbase : L6672HET)

Lecture: 7 min

N5517AKK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Textes] Les mesures fiscales de la loi d'orientation agricole pour 2006. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208156-textes-les-mesures-fiscales-de-la-loi-dorientation-agricole-pour-2006
Copier

par Karim Sid Ahmed, Docteur en droit

le 07 Octobre 2010

Le projet de loi d'orientation agricole pour 2006 a été adopté le 22 décembre 2005 par le Parlement et publiée au Journal Officiel du 6 janvier 2006. Les nombreuses dispositions contenues dans le texte ont pour finalité de consolider la compétitivité de l'agriculture et du secteur agroalimentaire français et de favoriser leur adaptation dans un contexte renouvelé par la réforme de la politique agricole commune (PAC) et les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est dans cette perspective que le Gouvernement avait installé, le 20 septembre 2004, la Commission nationale d'orientation (CNO) chargée d'accompagner le débat national "Agriculture, territoires et société" lancé en préambule à la préparation du projet de loi. Au rayon fiscal, on dénombre un certain nombre de mesures comme une disposition tendant à améliorer le régime fiscal des exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) (art. 9) (1), ainsi que la mise en place d'une réduction d'impôt en vue d'inciter les exploitants à céder leur exploitation à un jeune dans le cadre d'un contrat de cession comportant un différé de paiement (art. 16) (2). Ou encore l'instauration d'un crédit d'impôt "remplacement", qui permet aux exploitants astreints à ne pas quitter leurs exploitations de prendre des congés en se faisant remplacer par du personnel qualifié (art. 25) (3). 1. L'amélioration du régime fiscal des EARL

L'article L. 324-1 du Code rural (N° Lexbase : L3553G9H) définit les conditions de constitution d'une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) et dispose qu'"une ou plusieurs personnes physiques peuvent instituer une société civile dénommée 'exploitation agricole à responsabilité limitée', régie par les dispositions des chapitres Ier et II du titre IX du livre III du Code civil, à l'exception de l'article 1844-5 (N° Lexbase : L2025ABM). Les associés ne supportent les pertes qu'à concurrence de leurs apports. Lorsque l'exploitation agricole à responsabilité limitée est constituée par une seule personne, celle-ci est dénommée 'associé unique'. L'associé unique exerce les pouvoirs dévolus à l'assemblée des associés".

L'article L. 324-2 du même code (N° Lexbase : L3554G9I) précise l'objet des EARL, à savoir l'exercice d'activités réputées agricoles au sens de l'article L. 311-1 (N° Lexbase : L5250HCG) et dispose qu'elles ne peuvent réunir plus de dix associés.

Il faut rappeler que les EARL familiales ont été créées pour adapter la législation des sociétés de capitaux à la situation particulière des exploitations agricoles. En effet, par dérogation au régime des sociétés de capitaux, les EARL de famille peuvent être soumises au régime de l'impôt sur le revenu. Mais, lorsque le lien de famille justifiant la création d'une telle société disparaît (à la suite d'un décès ou d'un retrait), ces sociétés retournent automatiquement au régime de droit commun des sociétés de capitaux, c'est-à-dire au régime de l'impôt sur les sociétés, ce qui peut s'avérer pénalisant.

La loi d'orientation agricole vise, donc, à faire évoluer le régime fiscal applicable aux exploitations à responsabilité limitée pour permettre à chacun des associés, même si ceux-ci n'ont pas de lien de parenté, de conserver le régime d'imposition des bénéfices agricoles. Ce qui permettra la constitution de sociétés de personnes, composées d'associés apparentés ou non, exploitants ou non, avec maintien du régime des sociétés de personnes. Il n'y aura, donc, plus de passage obligatoire à l'impôt sur les sociétés. Sous l'ancien régime juridique, seule une EARL composée de membres d'une même famille était soumise au régime d'imposition des bénéfices agricoles qui comporte de nombreux avantages (dotation pour investissement, déduction pour aléas, moyenne triennale, évaluation des stocks à rotation lente, etc.). Cette restriction était dommageable dans un certain nombre de cas où, par exemple, à la cessation de l'activité du père, le fils trouvait un associé sans aucun lien de parenté, ce qui avait pour conséquence l'assujettissement à l'IS de l'EARL.

Ce nouveau régime va stabiliser fiscalement l'EARL, qui sera certaine de rester soumise au régime des bénéfices agricoles même en cas de changement d'associés.

Le régime d'imposition des plus-values dans le cadre sociétaire a, également, été modifié (art. 12). Les conditions d'exonération des plus-values réalisées par les sociétés civiles agricoles seront appréciées, désormais, au niveau des associés exploitants, et non plus de la société elle-même. Ainsi, est complété l'article 70 du CGI en prévoyant que pour l'application de l'article 151 septies du CGI relatif aux conditions d'exonération des plus-values, celles réalisées par une société civile agricole ou un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) non soumis à l'impôt sur les sociétés, dont tous les associés participent effectivement et régulièrement à l'activité de la société ou du groupement par leur travail personnel, sont imposables au nom de chaque associé selon les règles prévues pour les exploitants individuels en tenant compte de sa quote-part dans les recettes totales de la société ou du groupement.

Par conséquent, la quote-part de plus-values revenant à chaque associé exploitant sera exonérée de la taxation, dès lors que sa quote-part dans les recettes de la société, éventuellement augmentée de ses recettes personnelles, est inférieure à 250 000 euros (CGI, art. 151 septies).

Enfin, la cotisation de solidarité que devaient payer les associés non exploitants est supprimée (art. 20).

2. La réduction d'impôt sur le revenu en vue d'inciter les exploitants à céder leur exploitation à un jeune dans le cadre d'un contrat de cession comportant un différé de paiement

Il est, désormais, prévu que "les contribuables domiciliés fiscalement en France [...] bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des intérêts perçus au titre du différé de paiement qu'ils accordent à un jeune agriculteur, éligible à la dotation d'installation ou aux prêts à moyen terme spéciaux dans les conditions définies par le Code rural, dans le cadre de la vente de l'ensemble des éléments de l'actif affectés à l'exercice d'une activité agricole, d'une branche complète d'activité ou de l'intégralité des parts d'un groupement ou d'une société agricole dans laquelle ils exercent" (art. 16 ; CGI, art. 199 vicies A).

La réduction d'impôt s'applique lorsque quatre conditions cumulatives sont remplies. Ces conditions sont les suivantes :

  • l'existence d'un contrat de vente passé en la forme authentique, à savoir sous forme notariée ;
  • le paiement d'au moins la moitié du prix de cession à la date de conclusion du contrat et celui du solde du prix de cession au cours d'une période comprise entre la huitième et la douzième années qui suit la date de la vente ;
  • le paiement du prix en numéraire ;
  • la rémunération du différé de paiement en fonction d'un taux d'intérêt arrêté à la date de conclusion du contrat dans la limite du taux de l'échéance constante à dix ans. Ce taux correspond au rendement actuariel d'une obligation du Trésor public fictive dont la durée serait de dix ans et correspond, donc, à la reconstitution de ce que serait le taux d'intérêt auquel emprunte l'Etat pour une période de dix ans.

Cette possibilité de réduction d'impôt pour l'exploitant cédant son exploitation à un jeune agriculteur, dans le cadre d'un contrat de vente progressive, constitue un nouvel instrument fiscal favorisant l'installation des jeunes agriculteurs.

3. Le crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement des personnes indispensables au fonctionnement d'une exploitation agricole

Les bénéficiaires du crédit d'impôt sont les contribuables, personnes physiques, fiscalement domiciliés en France, qui exercent une activité dont les revenus sont imposés dans la catégorie des bénéfices agricoles. Le bénéfice du crédit d'impôt est subordonné à la condition que l'activité exercée requière la présence du contribuable sur l'exploitation chaque jour de l'année et que son remplacement ne fasse pas l'objet d'une prise en charge au titre d'une autre législation (art. 25 ; CGI, art. 200 undecies).

Ce même article précise la nature des dépenses au titre desquelles peut être instauré le crédit d'impôt : il s'agit des dépenses de personnel mentionnées au 1° du 1 de l'article 39 du CGI , engagées à raison de leur remplacement pour congé entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2009. Le bénéfice du crédit d'impôt est, donc, limité dans le temps, mais a vocation à être étendu en fonction du succès de la mesure.

Enfin, il est prévu que le crédit d'impôt est accordé, sous les mêmes conditions et à proportion des droits qu'ils détiennent, aux associés personnes physiques non salariés de sociétés ou de groupements, au sein desquels ils exercent effectivement et régulièrement une activité agricole qui requiert leur présence sur l'exploitation chaque jour de l'année sous réserve que leur remplacement ne soit pas assuré par une personne ayant la qualité d'associé de la société ou du groupement. Il s'agit de s'assurer que les associés bénéficiant de ce crédit d'impôt participent bien, à titre professionnel, aux activités des sociétés ou groupements concernés.

Seuls les exploitants imposés à titre personnel sur le revenu de leur activité, associé d'une société ou d'un groupement au sein desquels ils exercent une activité agricole sont, donc, concernés, ce qui exclut les exploitations gérées sous une forme sociétaire non fiscalement transparente.

Le II de l'article 200 undecies du CGI définit les modalités de calcul du crédit d'impôt et précise qu'il serait égal à 50 % des dépenses de personnel engagées, à raison du remplacement pour congé des exploitants bénéficiaires et effectivement supportées, dans la limite annuelle de 14 jours de remplacement pour congé.

En outre, le même paragraphe dispose que, pour ce calcul, le coût d'une journée de remplacement est plafonné à 42 fois le taux horaire du minimum garanti mentionné à l'article L. 141-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5741ACM). Au total, le crédit d'impôt, ainsi, instauré sera, donc, plafonné à un montant annuel 914,34 euros. Enfin, il est précisé que ce crédit d'impôt est accordé au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses ont été engagées.

Le III de l'article 200 undecies, précité, du CGI précise que le crédit d'impôt est imputé sur l'impôt sur le revenu après imputation des réductions d'impôt mentionnées aux articles 199 quater à 200 bis du CGI, des crédits d'impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires. Si ce crédit d'impôt excède l'impôt dû, l'excédent est restitué.


Ces trois mesures visent à donner aux agriculteurs une plus grande liberté au plan fiscal aussi bien au niveau de la pérennité des EARL que de leur transmission. En cela, elles répondent aux critiques formulées depuis des années par le monde agricole sur la trop grande rigidité du modèle juridique et fiscal qui leur était applicable. On peut regretter, néanmoins, sur un plan purement juridique que ces dispositions n'aient pas été plutôt incluses dans la loi de finances pour 2006. Les cavaliers "budgétaires" ayant pour fâcheuse conséquence de rendre délicate la mesure du coût pour le contribuable des différentes réformes fiscales adoptées.

newsid:85517