La lettre juridique n°205 du 9 mars 2006 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Abus de droit et TVA (2de partie)

Réf. : CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A0045DNY)

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N5994AK9

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

La déduction de la TVA ayant grevé le prix de revient des biens et services commercialisés suppose la taxation de ces derniers (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2, a N° Lexbase : L9279AU9). Aussi, l'exonération de TVA interdit-elle de récupérer la TVA d'amont. Ce nécessaire lien direct entre la TVA d'aval et la TVA d'amont (CJCE, 6 avril 1994, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 21 N° Lexbase : A2996AUI, DF 1995, n° 20, comm. 1091 et n° 38, comm. 1779) ne peut que stimuler l'imagination des praticiens afin de créer les apparences d'une affectation de dépenses à des opérations imposables. Ils y étaient d'autant plus encouragés, jusqu'au 20 février 2006, que la Cour de Luxembourg n'avait pas encore révélé l'existence d'un principe communautaire d'interprétation interdisant de faire un usage abusif du droit communautaire (cf. Abus de droit et TVA (1ère partie) N° Lexbase : N5453AK8).
2. L'abus de droit exclut du droit à déduction de la TVA

2.1. L'affirmation d'un principe communautaire

Halifax soutenait que le droit communautaire de la TVA ne comportait aucunement une théorie d'abus de droit permettant à un Etat membre de rejeter des demandes de récupération ou de déduction de la TVA acquittée en amont. Le Royaume-Uni, la France, l'Irlande et la Commission argumentaient en sens inverse. Certes, avant l'arrêt "Halifax", la CJCE n'avait pas réellement affirmé l'existence d'un principe communautaire d'interprétation interdisant de faire un usage abusif des règles communautaires de TVA. Pourtant, elle avait déjà admis l'usage abusif du droit communautaire.

Ainsi, le 11 octobre 1977, le juge communautaire affirmait que la politique agricole commune en matière de montants compensatoires "ne saurait en aucun cas être étendue jusqu'à couvrir des pratiques abusives d'opérateurs économiques" (CJCE, 11 novembre 1977, aff. C-125/76, Entreprise Peter Cremer c/ Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung, quest. préj., § 21 N° Lexbase : A7139AUX ; CJCE, 27 octobre 1981, aff. C-250 /80, Anklagemyndigheden c/ Hans Ulrich Schumacher, Peter Hans Gerth, Johannes Heinrich Gothmann et Alfred C. Töpfer, quest. préj., § 16 et 18 N° Lexbase : A6148AUA ; CJCE, 3 mars 1993, aff. C-8/92, General Milk Products GmbH c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas, § 21 N° Lexbase : A9533AUM). Le 7 février 1979, à propos d'un droit à formation professionnelle, il considérait que les libertés fondamentales de libre circulation des personnes et de liberté d'établissement ne devaient pas permettre aux ressortissants d'un Etat membre de "se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale" (CJCE, 7 février 1979, aff. C-115/78, J. Knoors c/ Secrétaire d'Etat aux affaires économiques, quest. préj., § 25 N° Lexbase : A5737AUZ ; CJCE, 3 octobre 1990, aff. C-61/89, Procédure pénale c/ Marc Gaston Bouchoucha, § 14 N° Lexbase : A9485AUT ; CJCE, 7 juillet 1992, aff. C-370/90, The Queen c/ Immigration Appeal Tribunal et Surinder Singh, ex parte Secretary of State for Home Department, § 24 N° Lexbase : A9785AUX). De même, la protection sociale ne saurait résulter d'un comportement abusif ou frauduleux (CJCE, 2 mai 1996, aff. C-206/94, Brennet AG c/ Vittorio Paletta, § 24 N° Lexbase : A9986AUE).

Les contours de l'abus de droit communautaire apparaissent en 1998 lorsque, à propos de l'augmentation du capital d'une société décidée par une administration, la CJCE exclut l'utilisation du droit communautaire dans le but d'obtenir des avantages illégitimes et manifestement étrangers à l'objectif poursuivi par la disposition en cause (CJCE, 12 mai 1998, aff. C-367/96, Alexandros Kefalas e.a. c/ Elliniko Dimosio (Etat hellénique) et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE), § 28 N° Lexbase : A0439AW8). Dans une affaire similaire, la Cour réitère ce premier critère de l'abus de droit communautaire, le détournement de la règle, le 23 mars 2000 (CJCE, 23 mars 2000, aff. C-373/97, Dionysios Diamantis c/ Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE), § 33 N° Lexbase : A0548AW9). Elle esquisse le second le 14 décembre 2000, en matière de restitution de taxes, en évoquant la volonté d'obtenir un avantage résultant de la réglementation communautaire (CJCE, 14 décembre 2000, aff. C-110 /99, Emsland-Stärke GmbH c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas, § 53 N° Lexbase : A1844AW9). Entre temps, le juge communautaire avait admis qu'"un Etat membre est en droit de prendre des mesures destinées à empêcher que, à la faveur des facilités créées en vertu du traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale et que ne sauraient être acquis par un comportement abusif ou frauduleux" (CJCE, 9 mars 1999, aff. C-212/97, Centros Ltd c/ Erhvervs -og Selskabsstyrelsen, § 24 N° Lexbase : A7324AHQ ; CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-167/01, Kamer van Koophandel en Fabrieken voor Amsterdam c/ Inspire Art Ltd, § 136 N° Lexbase : A6924C9C), particulièrement en cas de recherche d'avantages fiscaux, en l'espèce un report d'imposition de plus-values (CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X c / Riksskatteverket, § 41 et 45 N° Lexbase : A0406A78).

La diversité du champ d'application de l'abus de droit communautaire ne permettait guère de douter de son extension à la TVA. Si l'arrêt "Fini H" précité attirait particulièrement l'attention par la reconnaissance du droit à déduction de la TVA malgré la cessation d'activité, il avait moins focalisé l'attention sur l'extension à la TVA de la prohibition des pratiques abusives. Par référence à la jurisprudence relative au droit des sociétés, la CJCE y affirmait, sommairement mais fermement "que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes communautaires" (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-32/03, I/S Fini H c/ Skatteministeriet, précité, § 32). L'arrêt "Halifax " réitère plus solennellement cette position en y consacrant un paragraphe 70, court et sans ambiguïté : "ce principe d'interdiction de pratiques abusives s'applique également au domaine de la TVA". En cela, la CJCE adopte une conception plus souple qu'en droit français puisque ce dernier s'appuie sur un texte protecteur des redevables par l'information préalable et la possibilité de saisir le comité consultatif des abus de droit (M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, préc., n° 2 500 et s.).

La CJCE se veut également protectrice des redevables. En effet, afin d'assurer la sécurité juridique des assujettis et de leur permettre d'évaluer les conséquences financières de leurs choix fiscaux (§ 72), l'assujetti ayant "le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale" (§ 73), la CJCE définit la pratique abusive. D'une part, il faut que "les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième Directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif poursuivi par ces dispositions" ( §74). D'autre part, "il doit également résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause est l'obtention d'un avantage fiscal" car "l'interdiction de pratiques abusives n'est pas pertinente lorsque les opérations en cause sont susceptibles d'avoir une justification autre que la simple obtention d'avantages fiscaux" (§ 75). Le droit invoqué doit découler d'activités économiques pour lesquelles il n'existe objectivement aucune autre justification que de créer le droit revendiqué. L'apparente vérité juridique doit servir un mensonge économique et fiscal.

L'administration fiscale devra, sous le contrôle du juge, d'abord établir un détournement de la règle communautaire de TVA. Cela suppose d'identifier la règle pertinente puis d'en dire la fonction. S'agissant du droit à déduction de la TVA, le principe de neutralité signifie que toute dépense directement affectée aux opérations taxables ouvre droit à déduction de la TVA d'amont (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2 ; arrêt "BLP Group", précité, § 21) ; cela, quels que soient les buts ou les résultats des activités du redevable (§ 78 ; CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën, précité, § 19 ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV, § 15 N° Lexbase : A9657AU9, RJF 1998, n° 359 ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98, Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT), § 44 N° Lexbase : A1997AIS, RJF 6/00, n° 872 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc, § 19 N° Lexbase : A2016AII, RJF 9-10/00, n° 1187 ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 24 N° Lexbase : A1648AWX, DF 2002, n° 13, comm. 278 ; CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-497/01, Zita Modes Sàrl c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, précité, § 38 ; CJCE, 12 janvier 2006, aff. C-354/03, Optigen Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 43). Inversement, l'absence de réalisation d'opérations imposables, notamment en cas d'exonération, comme en l'espèce, n'autorise pas à récupérer la TVA d'amont. Au point 80 de l'arrêt "Halifax", la CJCE souligne que "permettre à des assujettis de déduire la totalité de la TVA payée en amont alors que, dans le cadre de leurs transactions commerciales normales, aucune opération conforme aux dispositions du régime des déductions de la sixième Directive ou de la législation nationale le transposant ne leur aurait permis de déduire ladite TVA, ou ne leur aurait permis d'en déduire qu'une partie, serait contraire au principe de neutralité fiscale et, partant, contraire à l'objectif dudit régime".

A supposer le détournement de la règle de TVA établi, il restera une seconde preuve à rapporter : des opérations ayant pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal. Sous le contrôle du juge, l'administration fiscale devra établir "le contenu et la signification réels des opérations en cause", en prenant en considération, notamment, "le caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale" (§ 81 ; arrêt "Emsland-Stärke", précité, § 58). L'interdiction des pratiques abusives, en tant que principe d'interprétation, n'est pas invocable lorsque l'activité économique exercée est susceptible d'avoir une justification autre que la simple obtention d'avantages fiscaux.

L'arrêt "Emsland-Stärke" auquel se réfère la CJCE avait été précédé d'un arrêt permettant déjà de sanctionner "les montages purement artificiels dont le seul but serait de contourner la loi fiscale" (CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty' s Inspector of Taxes) N° Lexbase : A0410AW4, DF 1998, n° 48, chron. P. Dibout, p. 1475). Quoiqu'elle s'en défende en exigeant une appréciation objective des faits, la CJCE permet de balayer la multiplication des truchements de personnes et de circulation des biens ou service en cause, comme dans l'espèce, afin de révéler l'intention réelle de l'assujetti.

2.2. La portée de l'affirmation d'un principe communautaire

Quel que soit le montage, simulation et fraude ne sauraient résister à cette recherche du "contenu et la signification réels des opérations en cause". La distinction française entre mensonge juridique et mensonge économique importe peu (sur la notion d'abus de droit fustigé par l'art. L. 64 du LPF N° Lexbase : L5565G4U, M. Cozian, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 4ème éd., doc. 1 à 5 ; F. Deboissy, La simulation en droit fiscal, LGDJ, 1997 ; G. Goulard, L'abus de droit à la lumière du droit communautaire, A propos de l'arrêt CE, 18 mai 2005, SA Sagal [CE, 3° et 8° s-s., 18 mai 2005, n° 267087, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Sagal N° Lexbase : A3517DI4], DF 2005, n° 44-45, p. 1715 et comm. 726 ; L. Olléon, L'être, le paraître et l'abus de droit, RJF 4/03, p. 303). Observons également qu'en matière de TVA, l'administration fiscale ne pourra prétendre sanctionner un abus de droit sans le dire et respecter la procédure prévue par l'article L. 64 du LPF. La cour administrative d'appel de Lyon a justement refusé l'abus de droit rampant le 13 juillet 2005 (CAA Lyon, 2ème, 13 juillet 2005, n° 99LY02844, SA Igol Centre Etablissement Gallois c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3499DKS, adde, Y. Sérandour, Cadeau, réduction de prix et TVA, Lexbase Hebdo n° 184 du 6 octobre 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N9092AIL. Sur l'abus de droit rampant : J. Turot, RJF 8-9/89, p. 458 ; M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, op. cit, n° 2511).

Comparée au droit français, la notion communautaire de l'abus de droit apparaît à la fois restrictive et extensive. Restrictive en ce qu'elle suppose deux éléments constitutifs : détournement de la règle de droit pertinente et but essentiellement fiscal. Si notre droit interne ne vise que la simulation et la fraude, il n'exige pas aussi nettement cette double preuve. En revanche, lorsque le juge de Luxembourg se contente d'un but essentiellement fiscal, il adopte une conception extensive car l'abus de droit français, notamment par fraude se caractérise par le but exclusivement fiscal. Cette différence sera vraisemblablement source de litiges. Comment en effet identifier un but essentiellement fiscal ? L'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Lyon le 13 juillet 2005 illustre cette difficulté. Une société avait, à plusieurs reprises, facturé, en plus de ses produits habituels, des biens de nature totalement différente dont le prix apparaissait sensiblement équivalent à des avoirs émis concomitamment. L'administration fiscale y voyait une utilisation de la réduction de prix en vue de contourner l'exclusion du droit à déduction de la TVA sur les cadeaux. Elle a été déboutée pour avoir omis de respecter la procédure prévue par l'article L. 64 du LPF.

L'arrêt "Halifax" aurait-il apporté un soutien à l'administration fiscale ? Utiliser le droit de commercer et celui d'accorder une réduction de prix pour échapper à une exclusion du droit à déduction de la TVA et réaliser une libéralité constitue certainement un détournement des règles de TVA. Pourtant, le but essentiellement fiscal fait défaut. En effet, les parties ont d'abord entendu réaliser un véritable échange économique, dans le cadre de leurs relations d'affaires habituelles. L'artifice ne porte que sur une faible part de l'opération. Il n'y a donc aucun montage purement artificiel. De plus, le but essentiel de cette optimisation grossière est économique et stratégique : récompenser les clients et les inciter à renouveler leurs commandes. Compte tenu de la réalité des échanges économiques suscitant la réduction et sa proportion, le détournement apparaît mineur. La solution "Halifax" serait disproportionnée et contraire à l'article 27 de la sixième Directive-TVA dans la mesure où elle conduirait à déroger à l'article 11 A § 3 de la sixième Directive-TVA relatif aux réductions de prix et à l'article 17 § 2 posant le droit à déduction de la TVA grevant les dépenses affectées aux opérations taxées. Ledit article 27 prévoit que "1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout Etat membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale. 2. L'Etat membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d'appréciation". Le juge communautaire rappelle régulièrement ce texte aux Etats membres (CJCE, 21 septembre 1988, aff. C -50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 22 N° Lexbase : A7265AHK, DF 1988, comm. 2305, RJF 11/88, n° 1255 ; CJCE, 11 juillet 1991, aff. C -97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 35 N° Lexbase : A7275AHW, DF 1992, comm. 45, RJF 1991, 1325 ; CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/03, Hotel Scandic Gåsabäck AB c/ Riksskatteverket, précité, § 26).

Un deuxième argument invite à respecter la procédure de notification susmentionnée. En l'absence de montage non essentiellement destiné à éluder la TVA, les principes communautaires de sécurité juridique et de confiance légitime doivent permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l'étendue de leurs obligations (§ 72 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-396/98, Grundstückgemeinschaft Schlossstrasse GbR c/ Finanzamt Paderborn, § 44 N° Lexbase : A1801AWM, RJF 11/00, n° 1393 ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C -487/01, Gemeente Leusden c/ Staatssecretaris van Financiën, précité, § 58, 65 et 69 ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-17/01, Finanzamt Sulinge c/ Walter Sudholz N° Lexbase : A9948DB3, RJF 7/04, n° 832). Une remise en cause non encadrée des droits nés de la sixième Directive-TVA au prétexte d'un abus non essentiellement tourné vers l'obtention d'un avantage fiscal comporte un risque d'appréciation subjective par l'administration fiscale et le juge interne.

Enfin, le droit de choisir la voie la moins imposée lorsque plusieurs solutions s'offrent (§ 73) constitue un troisième argument en faveur du respect de l'article 27. Dans la mesure où un redevable de la TVA peut choisir de récompenser la fidélité par l'octroi d'une réduction de prix ou la remise d'un cadeau de faible valeur, voies admises par les articles 11 A § 3 a et 5 § 7 de la sixième Directive-TVA, lui interdire ce choix suppose un fondement de même valeur. Encore faut-il que soit admise l'existence d'un choix en cas de cadeau d'importance. Si le montant exclut le choix susmentionné, il reste à se demander si l'autre serait entre la réduction de prix et le droit de facturer un bien différent de ceux habituellement vendus avec réduction de prix déterminée en fonction du prix global.

Cette illustration, à partir d'un cas classique d'optimisation des règles de TVA, des difficultés inhérentes au deuxième critère de définition des pratiques abusives laisse présager de futurs litiges. L'administration fiscale devra d'autant plus apprécier l'opportunité d'invoquer l'abus de droit communautaire que sa démonstration oblige à replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant les opérations litigieuses (§ 94 et s). Le redressement ne doit atteindre que les auteurs des pratiques abusives et seulement dans la mesure exacte de l'avantage fiscal illicitement obtenu. La CJCE réitère la solution "Optigen" en écartant toute appréhension globale de la chaîne économique concernée. Il n'y a pas d'abus de droit par contamination.

Cette approche analytique de l'abus de droit amène à s'interroger quant à l'éventuelle extension de cette jurisprudence communautaire à la fiscalité directe. La fiscalité directe communautaire ayant inspiré l'interprétation de la sixième Directive-TVA pour révéler le principe d'interdiction de pratiques abusives, le phénomène inverse pourrait se produire en vue de préciser, comme en matière de TVA les critères de l'abus du droit communautaire des impôts directs. Si la CJCE devait ainsi évoluer et si le Conseil d'Etat a véritablement voulu, avec l'arrêt "Sagal", s'aligner sur la CJCE (G. Goulard, art. précité, n° 25), il devra exiger de l'administration qu'elle désigne très précisément les auteurs de l'abus de droit et qu'elle caractérise l'abus par les deux critères posés par le juge communautaire. L'affirmation devra suivre la démonstration et non en tenir lieu.

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