Réf. : Projet de loi n° 92 autorisant l'approbation de la Charte européenne de l'autonomie locale, adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, Sénat, session ordinaire de 2004-2005.
Lecture: 10 min
N4530AKY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
Dans le respect de la souveraineté des Etats et de leur organisation territoriale, cet instrument juridique multilatéral se veut une référence pour la définition et la protection des conditions d'une autonomie locale en Europe. Elle défend l'idée d'un régime démocratique indissociable de l'existence de collectivités locales et d'un droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques qui s'exerce le plus directement au niveau local (3). Une véritable démocratie, fondée sur une administration efficace et une participation citoyenne à la vie locale, dépend du degré d'autonomie politique, administrative et financière accordé aux collectivités territoriales (4).
La Charte est dépourvue de dispositif de contrôle juridictionnel, son application est suivie par le CPLR et chaque partie doit transmettre au Secrétariat général du Conseil les informations appropriées relatives aux dispositions législatives et autres mesures prises dans le but de se conformer aux termes de la Charte.
II. L'autonomie locale dans la Charte
La première partie de la Charte décline une série de principes. Le principe de l'autonomie locale doit bénéficier de garanties législatives et, "autant que possible", de garanties constitutionnelles (art. 2). Il se caractérise par l'exercice de compétences significatives, avec des moyens adéquats, par le biais de conseils élus et par le recours à la consultation des citoyens (art. 3).
La préservation et l'adaptabilité sont les principes directeurs relatifs aux compétences des collectivités locales. En cas de compétences d'attribution, elles doivent pouvoir développer des initiatives dans les domaines qui ne sont pas explicitement exclus, selon une logique de subsidiarité (art. 4). Le contrôle administratif doit se borner au strict contrôle de légalité (art. 8) et un droit de recours doit apporter une garantie juridictionnelle au respect de ces principes (art. 11).
L'adéquation entre les compétences et les moyens est nécessaire pour garantir l'autonomie locale. Les collectivités décident de l'organisation de leurs structures administratives internes (art. 6). Le statut des élus doit leur assurer le libre exercice de leur mandat, notamment, par une indemnisation et une couverture sociale (art. 7). Les ressources propres doivent être proportionnées aux compétences et provenir pour partie de redevances ou d'impôts dont les collectivités locales ont le pouvoir de fixer le taux (art. 9).
La coopération entre collectivités territoriales est affirmée par la Charte (art. 10), tant au sein d'un même Etat qu'avec des collectivités d'Etats étrangers.
III. Les obstacles, causes d'une ratification tardive
L'importance du délai entre la signature de la Charte et l'actuelle procédure de ratification nécessite une explication. Un précédent projet de loi portant approbation de la Charte avait contraint le Conseil d'Etat à conclure à une incompatibilité du texte avec l'ordre juridique national. L'avis négatif du 15 décembre 1991 à l'encontre de la Charte était fondé sur deux motifs (5) : certaines dispositions de la Charte avaient vu leur rédaction considérée comme ambiguë, d'autres avaient été considérées incompatibles avec le droit français. "L'examen attentif des stipulations de la Charte fait, en effet, apparaître que celle-ci comporte en réalité soit des ambiguïtés qui seront source de revendications inutiles, voire de contentieux avec tous les aléas que celui-ci suscite en longue période, soit des règles différentes de celles qui régissent actuellement les collectivités locales, ce qui implique des modifications aux textes en vigueur, alors qu'aucune nécessité ne justifie ces modification"(6).
L'ambiguïté présentait le risque de potentielles sources de revendications politiques et de contentieux. En premier lieu, la portée de l'autonomie locale, telle que conçue par la Charte (art. 4, § 4), entend que les compétences confiées aux collectivités locales soient "pleines et entières" et pose le principe de leur consultation dès lors que des questions les concernent directement lors des processus de planification et de décision. Ensuite, le statut des élus locaux "doit permettre la compensation financière adéquate des frais entraînés par l'exercice du mandat ainsi que, le cas échéant, la compensation financière des gains perdus ou une rémunération du travail accompli et une couverture sociale correspondante" (art. 7, § 2). En troisième lieu, la Charte énonce le principe de "ressources propres suffisantes", dont les collectivités locales disposent librement dans l'exercice de leurs compétences (art. 9, § 1). Enfin, la Charte affirme le droit d'association des collectivités locales, en particulier avec des collectivités d'autres Etats (art. 10) (7).
L'incompatibilité résidait dans l'exigence posée par la Charte d'une possible responsabilité des exécutifs locaux (art. 3, § 2), alors qu'une telle censure par les assemblées locales est exceptionnelle dans la pratique française et se trouve restreinte aux collectivités à statut spécifique.
Le refus d'influences extérieures a clairement motivé l'avis négatif du Conseil d'Etat à l'encontre de la Charte. Il entendait ainsi préserver l'équilibre et le consensus auxquels était parvenu le processus endogène de réformes décentralisatrices : "s'agissant d'un domaine qui touche, de manière essentielle et durable aux institutions de la République, il n'y a lieu de limiter les pouvoirs du Parlement, par la voie d'engagements internationaux qu'avec une très grande prudence et pour des motifs impérieux" (8). Une telle analyse était confirmée lors des débats devant la Haute Chambre : "Plutôt que la marque d'un jacobinisme persistant qui serait démenti par les faits, il faut voir dans cet avis la manifestation d'une réticence profonde de notre pays à subir une influence extérieure en matière institutionnelle et administrative" (9).
L'interprétation de cette attitude française se trouve confortée par le refus d'user, en 1991, de la faculté ouverte par l'article 12 de la Charte. Ses stipulations permettent aux parties de se considérer liées par un minimum de vingt paragraphes (sur les trente que compte la Partie I de la Charte), dont la moitié doit être choisie parmi une sélection de quatorze paragraphes. Les paragraphes écartés auraient pu ensuite être progressivement acceptés.
IV. Une compatibilité avec la décentralisation française
La poursuite du processus décentralisateur en France depuis 1991 a levé les risques majeurs d'incompatibilité des stipulations de la Charte avec notre droit positif. L'étude d'impact transmise par le Gouvernement pour l'information des parlementaires souligne que "l'entrée en vigueur en France de la Charte européenne ne nécessitera aucune modification du droit existant" (10). La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 consacre le caractère décentralisé de l'organisation de la République française (loi constitutionnelle n° 2003-276, 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République N° Lexbase : L8035BB9).
Le principe de subsidiarité figure à l'article 72 de la Constitution française (N° Lexbase : L1342A9L) depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. La rédaction de l'article 4, paragraphe 3, de la Charte comporte sans doute des critères plus précis mais introduit, dans le même temps, une certaine latitude qui en réduit la rigueur (11). La notion de "blocs de compétences" figure au deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution. L'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre est fixée par les quatrième et cinquième alinéas de cet article mais réserve la possibilité à la loi de prévoir par la voie de l'expérimentation des modulations dans l'exercice des compétences respectives des collectivités (12). Le principe d'une collectivité "chef de file" ouvre aussi la possibilité de prévoir la coordination par une collectivité territoriale d'actions communes à plusieurs niveaux de collectivités.
Le principe de consultation des collectivités territoriales pour toutes les questions les concernant directement ne serait pas inscrit dans les textes, mais dans une pratique ancrée dans les processus législatifs. Les garanties de l'élu local dans l'exercice de son mandat se trouvent, notamment, inscrites dans la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité (N° Lexbase : L0641A37).
Le principe de l'autonomie financière et celui de péréquation, inscrits dans l'article 72 de la Constitution par la réforme du 28 mars 2003, semblent prévenir le risque d'atteinte à l'autonomie locale en matière financière à la suite d'une modification de la fiscalité locale réduisant la part des ressources fiscales, ou à la suite de transferts de compétences insuffisamment compensés par des transferts financiers. Les notions de ressources propres et de compensation des charges apparaissent suffisamment précises pour offrir de véritables garanties. Ces dispositions constitutionnelles sont complétées et détaillées par la loi organique du 29 juillet 2004 (loi n° 2004-758, 29 juillet 2004, prise en application de l'article 72-2 de la Constitution, relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales N° Lexbase : L5037E4C).
La promotion de l'intercommunalité et de la coopération décentralisée par des réformes législatives satisfait au droit d'association des collectivités territoriales (13).
V. Trois déclarations interprétatives
La ratification française se trouve assortie de déclarations interprétatives qui ne constituent pas des réserves mais précisent le sens que la France entend donner à certaines formulations de la Charte afin d'en écarter l'ambiguïté.
Les collectivités auxquelles s'applique la Charte sont définies en référence aux articles 72, 73 (N° Lexbase : L1343A9M), 74 (N° Lexbase : L1344A9N) et au titre XIII de la Constitution ou qui sont créées sur leur fondement. Cette formulation permet d'inclure dans la ratification toute évolution ultérieure du statut des collectivités d'outre-mer ou de l'intercommunalité. Les établissements publics de coopération intercommunale se trouvent expressément exclus du champ d'application de la Charte puisque la déclaration rappelle qu'ils ne constituent pas des collectivités territoriales au regard du droit interne.
Le problème de la responsabilité des exécutifs devant les conseils locaux fait l'objet de la seconde déclaration interprétative. La terminologie de la Charte permet de ne pas l'entendre comme une obligation mais comme une simple faculté.
La troisième déclaration interprétative précise la conception française de la notion de péréquation : "la République française considère que les mesures de péréquation des ressources fiscales inégalement réparties entre les collectivités locales peuvent être mises en place, dès lors que lesdites mesures sont définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et n'ont pas pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entrave leur libre administration". Elle rappelle, ainsi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux principes devant présider à la mise en oeuvre du principe de péréquation des ressources fiscales des collectivités territoriales (14).
Nicolas Wismer
Collaborateur juridique à des associations de collectivités territoriales
Chargé d'enseignement en droit public à l'IEP de Lyon
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:84530