La lettre juridique n°202 du 16 février 2006 : Bancaire

[Jurisprudence] Nature des sommes portées sur le compte personnel d'un époux

Réf. : Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 02-20.636, Société marseillaise de crédit c/ Hodara, FS-P+B (N° Lexbase : A3948DM8)

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le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 17 janvier 2006 (1), vient apporter une précision particulièrement intéressante sur le régime du compte personnel d'un époux marié sous le régime légal. L'éclairage nouveau qu'il donne ici à la nature des sommes inscrites sur un tel compte, lorsqu'un cautionnement a été souscrit par un conjoint sans le consentement exprès de l'autre, est en effet loin d'être neutre, ni pour le créancier poursuivant, ni pour le banquier tiers saisi. En l'espèce, un emprunteur s'était porté caution, sans le consentement de son épouse commune en biens, de deux prêts, qui n'ont pas été honorés. Le prêteur fait alors pratiquer deux saisies-attribution sur les comptes personnels ouverts au nom de celui-ci. Mais ces saisies-attribution sont privées d'efficacité par les juges du fond qui ordonnent leur mainlevée. Le prêteur forme subséquemment un pourvoi qui est finalement rejeté. Après avoir rappelé que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt contractés sans le consentement exprès de l'autre (2), la Cour de cassation vient, en effet, décider "que les sommes déposées sur les comptes litigieux étaient présumées communes en vertu de l'article 1402 du Code civil".

Le régime de la communauté appliqué au compte peut, a priori, paraître déconcertant. Les sommes et titres déposés sur un compte personnel en vertu de l'article 221 du Code civil (N° Lexbase : L2391AB8) sont réputés à l'égard du dépositaire, être à la libre disposition de l'époux déposant jusqu'à la dissolution du mariage. Par conséquent, le banquier dépositaire est dispensé de procéder à toute vérification de propriété ou de pouvoir au moment où ces fonds ou titres sont déposés et la présomption de communauté est, à son égard, tenue en échec (3). Mais cette règle, qui profite au banquier teneur de compte, ne produit pas ses effets à l'égard du banquier poursuivant, l'arrêt du 17 janvier 2006, aux visas des articles 1415 et 1402 du Code civil, lui opposant, au contraire, la présomption de communauté.

Cette combinaison des articles 1415 et 1402, appliquée au compte bancaire, est assez inédite. Elle est cependant d'inférence logique en s'insérant parfaitement dans l'ensemble de solutions relatives aux comptes des époux que la jurisprudence a patiemment dégagées. On rappellera, en effet, que cette même première chambre civile de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de se prononcer, à propos de la saisissabilité des comptes des époux, en distinguant selon le compte et la situation. C'est ainsi qu'un compte de dépôt, qui n'est alimenté que par les revenus de l'époux débiteur, est bien saisissable. Mais il n'en va pas de même d'un plan d'épargne logement et d'un compte de titres : en étant "des acquêts que le mari ne pouvait engager par un cautionnement contracté sans le consentement exprès de la femme", les juges du fond ne sauraient rejeter une demande de mainlevée. Et ce, même si, comme en l'espèce, il n'était pas contesté que lesdits comptes étaient alimentés par les seuls revenus du mari caution (4). La même observation peut être faite pour un compte joint alimenté par les revenus de chacun des époux, qui n'est pas non plus saisissable faute pour le créancier d'identifier les revenus de l'époux débiteur (5).

S'agissant du compte professionnel d'un époux emprunteur, le banquier ne peut opposer les engagements souscrits au conjoint n'ayant pas donné son accord, dès lors que le compte de l'emprunteur n'était alimenté que par ses seuls revenus (6). En présence d'un crédit consenti par découvert en compte courant (7), le banquier ne peut davantage demander à la communauté le paiement du solde débiteur du compte d'un époux sans avoir préalablement recueilli le consentement de son conjoint. Et lorsque le compte saisi est tout à la fois alimenté par les fruits des biens communs et par les revenus des époux, le solde créditeur ne peut être saisi que s'il est établi qu'il provient des seuls revenus du conjoint poursuivi (8).

Auparavant, la preuve du caractère commun des fonds avait été infléchie sur le terrain des récompenses. Dans un arrêt annonciateur, il avait ainsi déjà été jugé, qu'il n'était pas nécessaire d'"établir le caractère commun des deniers qui ont servi à acquitter une dette personnelle à l'un des époux, lesdits deniers étant, en application de [l'article 1402], réputés communs, sauf preuve contraire" (9). Et corrélativement, si des deniers propres sont encaissés sur un compte commun et utilisés par les époux, le conjoint qui rapporte la preuve que ses deniers propres ont profité à la communauté a droit à récompense (10).

L'arrêt rapporté du 17 janvier 2006, vient transposer la règle aux sommes déposées sur un compte personnel qui deviennent, conformément à l'article 1402 du Code civil, "présumées communes" et donc toujours, comme dans son arrêt précurseur du 7 juin 1988 précité, réputées communes, sauf preuve contraire. La nature réfragable de cette présomption ne faisait guère de doute, le législateur lui-même réputant tout bien acquêt de communauté "si l'on ne prouve qu'il est propre" (11). Mais la formulation impersonnelle employée posait quand même en filigrane la question du régime de cette preuve. En l'espèce, qui du banquier poursuivant ou du titulaire du compte saisi devait supporter la charge de cette preuve contraire ? Sur ce point, la première chambre civile de la Cour de cassation apporte une autre précision intéressante. En conformité du droit commun de la preuve imposant à celui qui invoque un fait la charge de le prouver (12), elle énonce que le compte est insaisissable faute pour la banque poursuivante "sur laquelle pesait la charge de la preuve contraire, d'identifier les revenus du [débiteur saisi]".

Si une telle solution ne peut qu'être approuvée, elle est toutefois de nature à singulièrement compliquer la tâche du créancier poursuivant. En effet, lorsque la saisie porte sur un compte bancaire, le banquier tiers saisi est -à la lettre-, tenu "de déclarer le solde du ou des comptes du débiteur au jour de la saisie" (13), sans qu'il puisse opposer un quelconque secret professionnel (14). Or, la communication du solde est une chose, celle de l'origine des sommes qui l'établissent en est une autre. Certes, le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier "l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur" (15) et de communiquer à l'huissier de justice "les pièces justificatives" (16). Mais comme il a été déjà jugé que le banquier tiers saisi n'avait pas à communiquer les relevés bancaires couvrant une période très antérieure à la saisie-attribution (17), il est permis de penser que seuls les relevés bancaires contemporains de la saisie doivent être fournis. Ils peuvent présenter quelque utilité si ceux-ci permettent de retracer l'origine des sommes inscrites. Mais si la recherche du caractère commun ou propre des fonds requiert une exploration plus poussée, comme c'est souvent le cas, la preuve mise ici à la charge du banquier poursuivant risque alors d'être assez diabolique à rapporter...

Richard Routier
Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var


(1) Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 02-20.636, Société marseillaise de crédit c/ Hodara, FS-P+B (N° Lexbase : A3948DM8).
(2) C. civ., art. 1415 (N° Lexbase : L1546ABU).
(3) Cass. ass. plén., 4 juillet 1985, n° 83-17.155, Consorts Edberg c/ Société européenne de Banque ex banque Rothschild (N° Lexbase : A4397AA4) ; D. 1985, p. 421, concl. J. Cabannes, note D. Martin ; JCP éd. G, 1985, n° 20457, Rapp. A. Ponsard.
(4) Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 00-16.078, Société marseillaise de crédit c/ X. (N° Lexbase : A6919A4Z), Bull. civ. I, n° 2.
(5) Cass. civ. 1, 3 avril 2001, n° 99-13.733, Bendenoun c/ Société Crédit immobilier AIPAL (N° Lexbase : A1747ATU), Bull. civ. I, n° 92 ; D. 2001, somm. p. 2933, obs. M. Nicod ; Defrénois 2001, p. 939, obs. P. Théry et p. 1129, note G. Champenois ; Banque et droit 2001, n° 4, p. 48, obs. F. Jacob.
(6) Cass. civ. 1, 18 février 2003, nº 00-21.362, Spire c/ CCF (N° Lexbase : A1832A7Y), Bull. civ. I, n° 48 ; D. 2003, somm. p. 1864, obs. V. Brémond ; RJPF juin 2003, n° 6, p. 15, note F. Vauville ; Defrénois 2003, n° 37825, p. 1356, obs. G. Champenois.
(7) Cass. civ. 1, 6 juillet 1999, n° 97-15.005, Proust c/ Banque régionale de l'Ouest (N° Lexbase : A8742AHA), Bull. civ. I, n° 224 ; D. 2000, Jur. p. 421, note R. Le Guidec ; JCP éd. G, 2000, II, n° 10237 ; JCP éd. E 2000, p. 947, note J. Casey.
(8) Cass. civ. 1, 17 février 2004, n° 02-11.039, X. c/ Crédit agricole de Savoie (N° Lexbase : A3201DB8), Bull. civ. I, n° 45 ; D. 2004, somm. p. 2260, obs. V. Brémond ; Banque et droit 2004, n° 4, p. 41, obs. F. Jacob et N. Rontchevsky .
(9) Cass. civ. 1, 7 juin 1988, n° 86-14.471, Mme Roch c/ M. Garnier (N° Lexbase : A1978AHQ), Bull. civ. I n° 178, JCP éd. G, 1989, 21341, obs. P. Simler.
(10) Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 00-21.108, Mme Claude Legrand c/ M. Gérard Lambert, F-P+B (N° Lexbase : A6887A4T), RJPF, avril 2003, n° 4, p. 14, note F. Vauville ; Defrénois 2003, art. 37791, p. 997, note G. Champenois.
(11) C. civ., art. 1402, al. 1er (N° Lexbase : L1533ABE).
(12) C . civ., art. 1315 (N° Lexbase : L1426ABG).
(13) Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, art. 47, al. 1er, portant réforme des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L9124AGZ) ; sur cette question v. C. Mouly, Procédures civiles d'exécution et droit bancaire, RTD civ. 1993 n° spéc., p. 65 ; H. Croze, Saisie-attribution bancaire, les mystères de l'article 47, LPA 6 janvier 1993, p. 70 ; H. François-Marsal, La saisie-attribution et le banquier tiers-saisi, LPA 6 janvier 1993, p. 74.
(14) Cass. civ. 2, 1er juillet 1999, n° 96-19.108, CRCAM de l'Yonne c/ Société Abers Touraine (N° Lexbase : A0129AUC) ; D. 1999, IR p. 210.
(15) Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, art. 44, précité.
(16) Décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, art. 59, instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L9125AG3).
(17) Cass. civ. 2, 28 septembre 2000, n° 98-13.428, Société Action chimique et thérapeutique c/ Banque française de l'Orient (N° Lexbase : A3627AUU).

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