La lettre juridique n°202 du 16 février 2006 : Recouvrement de l'impôt

[Le point sur...] La responsabilité pénale en matière fiscale des personnes morales et des dirigeants : la nouvelle donne à compter du 31 décembre 2005

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[Le point sur...] La responsabilité pénale en matière fiscale des personnes morales et des dirigeants : la nouvelle donne à compter du 31 décembre 2005. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208093-lepointsurlaresponsabilitepenaleenmatierefiscaledespersonnesmoralesetdesdirigeantsla
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

L'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales jusqu'à l'intervention récente des lois du 10 juillet 2000 (loi n° 2000-647, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, art. 8 N° Lexbase : L0901AI9) et 9 mars 2004 (loi n° 2004-204, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, art. 54 N° Lexbase : L1768DP8) n'était pas envisageable en raison de l'application du principe de la personnalité des peines. Seules les représentants légaux se trouvaient passibles personnellement des sanctions de peines de prison et d'amendes visées, notamment, par les articles 1741 et 1743 du CGI. Ce principe a été rappelé par la jurisprudence (TGI Paris, 8 décembre 1952), selon laquelle les déclarations frauduleuses ne sont pas faites "abstraitement par la personne morale", mais "très concrètement par la personne physique" qui les a signées (président directeur général ou gérant). Par ailleurs, pesait sur les dirigeants de sociétés une présomption de responsabilité (Cass. crim., 14 novembre 1994, n° 93-81.294, Reumaux Emmanuel c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2581AZM). L'article 121-2, alinéa 1, du Code pénal (N° Lexbase : L0401DZU), modifié par l'article 8 de la loi du 10 juillet 2000, a prévu que "les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 (N° Lexbase : L2205AMM) à 121-7 (N° Lexbase : L5525AIH), et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, par leurs organes ou représentants". L'article 121-2, alinéa 3, du Code pénal poursuivait en précisant que "la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 (N° Lexbase : L2053AMY)". L'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales ne pouvait, toutefois, pas être poursuivi en matière fiscale à défaut pour les textes fiscaux, édictant des sanctions pénales, de prévoir expressément une telle procédure, en sorte que les dirigeants personnes physiques continuaient à répondre seuls des délits imputables aux personnes morales dont ils assuraient la direction et l'administration.

La loi du 9 mars 2004 en ne subordonnant plus la responsabilité pénale des personnes morales aux "cas prévus par la loi ou le règlement", par la suppression de cette mention, devrait conduire, désormais, à rechercher cette responsabilité dans tous domaines, dont, notamment, le domaine fiscal, et ce, pour les infractions commises selon les dispositions de la loi à compter du 31 décembre 2005.

Cette modification devrait avoir pour conséquence, en premier lieu, de faire disparaître la présomption de responsabilité pesant sur les dirigeants personnes physiques.

En second lieu, la responsabilité des dirigeants sera, désormais, le plus souvent recherchée au sens de l'alinéa 3 de l'article 121-2 du Code pénal en qualité d'auteur, de co-auteur ou de complice.

Mais, il convient d'observer que les personnes morales dirigeantes d'autres sociétés devraient être, également, recherchées pour les mêmes infractions.

Pour ce qui concerne les personnes physiques dirigeantes, l'administration ou le ministère public devra, donc, apporter la preuve de leur participation personnelle et intentionnelle aux infractions commises.

Il est rappelé, à cet égard, que cette preuve est plus particulièrement exigée aux termes des dispositions de l'article L. 227 du LPF (N° Lexbase : L8326AE4) pour les poursuites pénales tendant à l'application des articles 1741 et 1743 du CGI visant, soit la soustraction, soit la tentative de se soustraire à l'établissement et au paiement des impositions visées par ces articles.

Le délit général de fraude fiscale visée à l'article 1741 du CGI consiste en la soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt, constitué par l'omission de dépôt de déclaration, la dissimulation volontaire, l'organisation d'insolvabilité, et par tout agissement à caractère frauduleux (manipulations comptables, création de sociétés fictives, majoration de charges, etc.).

Parmi les délits spécifiques de fraude fiscale, on notera ceux visés à l'article 1743 du CGI tenant à la comptabilité par l'omission de passation d'écritures ou la passation d'écritures inexactes ou fictives ou encore tenant à l'action des tiers par la voie de l'entremise ou à la fourniture de renseignements inexacts pour l'obtention d'agréments par exemple.

L'administration fiscale pour ce type de délit ne peut porter plainte directement auprès du procureur de la république sans avoir préalablement saisi pour avis la Commission des infractions fiscales (CIF, voir LPF, art. L. 228 N° Lexbase : L8327AE7) et obtenu de cette dernière un avis favorable.

Si la modification législative ne change rien à cette condition particulière d'engagement de la responsabilité pénale, il en sera de même pour les dirigeants personnes physiques de l'exonération de leur mise en cause dans les hypothèses de justification de délégation de leurs pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires.

Pour un exemple de cette justification ou "d'exception de délégation de pouvoirs", on se rapportera à la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle précise aux termes d'un arrêt du 11 mars 1993 que "hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise, qui n'a pas pris part personnellement à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de la responsabilité s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires" (Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-80.598, Berthy Raymond c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1522ATK).

Le dirigeant social peut, donc, combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui et laisser à l'appréciation du juge correctionnel en apportant la preuve de la réalité et de la portée de la délégation de pouvoirs, ainsi, consentie (voir, également, Cass. crim., 19 août 1997, n° 96-83.944, Balan Jean c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1277ACB).

La preuve de la réalité et de la portée de la délégation de pouvoirs doit être complète et sans équivoque selon la Haute cour. Ainsi, une délégation de pouvoirs, non contestable, consentie par le dirigeant d'une société à son expert-comptable, qui a commis les infractions relatives à la tenue de la comptabilité de la société et pour lesquelles il a été condamné, ne peut suffire dans la mesure où le dirigeant n'établit ni même n'allègue qu'il n'avait pas effectivement exercé ses responsabilités (Cass. crim., 3 décembre 1998, n° 97-85.615, Valet Guy c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4915AG7).

Les nouvelles dispositions ne trouvant à s'appliquer qu'aux infractions commises à compter du 31 décembre 2005, force est de constater que nous disposons, à ce jour, d'aucune visibilité sur ses conditions d'application que la doctrine et la jurisprudence viendront fixer dans un proche avenir.

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