La lettre juridique n°190 du 17 novembre 2005 : Bancaire

[Jurisprudence] Le tiers-saisi peut-il exciper de l'insaisissabilité d'une créance cambiaire ?

Réf. : Cass. com., 27 septembre 2005, n° 02-16.902, Mme Sandrine Peluhet, épouse Aubergy c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Pyrénées-Gascogne, FS-P+B (N° Lexbase : A5752DKA)

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le 07 Octobre 2010

Le billet à ordre développe un contentieux de faible densité, ce qui rend d'autant plus intéressantes les décisions rendues à son sujet. Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient-elle de rendre un arrêt, en date du 27 septembre 2005 (1), qui affirme la nature insaisissable de la créance cambiaire et mérite, pour cela, une attention particulière. En l'espèce, de manière paradoxale, la simplicité des faits est venue compliquer la situation juridique. Une fille a souscrit quatre billets à ordre en faveur de sa mère. La banque de cette dernière a fait pratiquer une saisie-attribution sur le paiement des billets entre les mains de la fille en sa qualité de tiers-saisi. Celle-ci a refusé le paiement de la créance, à la banque saisissante, en invoquant une remise de dette à son profit. Pour contester la procédure d'exécution, la fille, tiers-saisi, invoque "l'irrecevabilité d'une opposition au paiement sur les billets à ordre hors les cas de perte ou de redressement ou liquidation judiciaire du porteur". En réponse, la banque considère que "le tiers-saisi n'a pas qualité pour soutenir un moyen personnel au débiteur afin de s'opposer au paiement". La cour d'appel confirme la prétention de la banque et juge, "peu important le fait que l'insaisissabilité de la créance causant le billet à ordre procède de la loi". La Cour de cassation casse et annule cette décision au motif que "le tiers-saisi, souscripteur d'un billet à ordre, dispose d'un intérêt à agir pour s'opposer au paiement d'une créance cambiaire par nature insaisissable et dont il pourrait répondre". Ce faisant, elle met en évidence deux problèmes qui méritent d'être analysés. Le premier présente la particularité de ne pas opposer les parties sur le fond, il s'agit de l'insaisissabilité de la créance cambiaire et, plus généralement, de l'opposition au paiement d'un effet de commerce. Le second manifeste, au contraire, une véritable divergence, il concerne l'intérêt pour agir du tiers-saisi.

I - L'opposition au paiement d'un effet de commerce

Bien que le billet à ordre manifeste des différences structurelles avec la lettre de change, comme la confusion sur la personne du souscripteur des qualités de tireur et de tiré, bien qu'il "fasse figure de parent pauvre dans la théorie des effets de commerce" (2), il n'en demeure pas moins que son régime juridique se moule dans celui de la lettre de change (3). Se trouve, de la sorte, applicable au billet à ordre, l'article L. 511-31 du Code de commerce (N° Lexbase : L6684AIE) selon lequel "il n'est admis d'opposition au paiement qu'en cas de perte de la lettre de change ou de redressement ou liquidation judiciaire".

Ce texte déroge au droit commun des obligations qui pose, dans l'article 1242 du Code civil (N° Lexbase : L1355ABS), que "le paiement fait par le débiteur à son créancier, au préjudice d'une saisie ou d'une opposition, n'est pas valable à l'égard des créanciers saisissants ou opposants".

La juxtaposition de ces deux textes conduit à préciser la nature de la créance de paiement et à s'interroger sur la notion d'opposition au paiement pour enfin préciser les restrictions opérées par l'article L. 511-31 du Code de commerce.

A - La nature de la créance de paiement

La créance de paiement, en matière d'effets de commerce, peut être double. S'agissant d'une lettre de change, le paiement peut, en effet, être dû au titre de la créance cambiaire ou au titre de la créance de provision pour une lettre de change non acceptée ou pour laquelle le droit cambiaire est devenu inopérant. En revanche, la question du dédoublement de la créance de paiement se pose pour le billet à ordre. En effet, si la confusion des qualités de tireur et de tiré sur la personne du souscripteur conduit à considérer que la souscription du billet produit les mêmes effets que l'acceptation de la lettre de change (4), en revanche, l'existence de la provision a fait débat (5).

La négation d'une provision du billet à ordre reposait sur le silence de l'article L. 512-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6737AID) (6) qui ne cite pas, dans son énumération de renvoi, les textes relatifs à la provision de la lettre de change (7). Ce principe, posé par la Cour de cassation (8) et approuvé assez largement par la doctrine (9), avait, notamment, pour conséquences que le porteur négligent du billet à ordre ne pouvait exercer le recours que lui donne l'article L. 511-49, II, du Code de commerce (N° Lexbase : L6702AI3), contre le bénéficiaire qui n'a pas fourni provision, ou encore que la prescription de l'action cambiaire laissait le tiers porteur sans recours contre le souscripteur (10).

La négation de la provision a suscité la réaction d'une partie de la doctrine qui a fait valoir, entre autres, qu'il n'y avait aucune raison de ne pas donner au porteur d'un billet à ordre les mêmes garanties que celles attribuées au porteur de la lettre de change, alors que les deux titres sont des effets de commerce dont le régime spécifique est destiné à sécuriser au maximum les paiements (11). Sans doute convaincue, la Cour de cassation est revenue sur sa position pour admettre que les règles relatives à la provision sont applicables à la créance fondamentale que détient le bénéficiaire à l'encontre du souscripteur et reconnaître que cette créance se trouve transmise aux porteurs successifs du billet à ordre (12).

A l'issue de cette évolution, il faut reconnaître au porteur du billet à ordre la double qualité de créancier : l'une au titre du rapport cambiaire et l'autre au titre du rapport fondamental de provision. Ainsi, pour le cas où la négligence ou la prescription viendrait à faire perdre au porteur ses recours cambiaires, celui-ci serait toujours à même d'exercer les recours qu'il tient de la provision (13). Dès lors, l'admission de la coexistence de la créance cambiaire et de la créance fondamentale conduit à considérer que l'opposition au paiement du billet à ordre concerne ces deux créances (14).

B - La notion d'opposition au paiement

L'opposition au paiement est l'acte par lequel un tiers interdit à un débiteur de se libérer de sa dette entre les mains de son créancier (15). L'article 1242 du Code civil stipule, à cet effet, que le paiement dû par un débiteur à son créancier peut être interdit par le créancier de ce dernier au moyen d'une saisie ou d'une opposition (16). Dérogeant à cette disposition du droit commun, l'article L. 511-31 du Code de commerce n'admet d'opposition au paiement que pour les cas de perte du titre ou de redressement ou liquidation judiciaire du porteur. La comparaison de ces deux textes, qui doivent se compléter comme un principe et son exception, montre que les termes utilisés ne sont pas identiques et n'ont donc pas le même sens. Plus précisément, l'opposition de l'article L. 511-31 du Code de commerce semble correspondre à la désignation générique de toute interdiction de payer faite au débiteur, alors que l'opposition de l'article 1242 du Code civil exprime un contenu plus technique qui vient en concours avec la saisie. Il faut cependant avoir à l'esprit, d'une part, que la rédaction de l'article 1242 date de la promulgation du Code civil et que le sens technique des termes utilisés a pu évoluer depuis et, d'autre part, que le terme d'opposition ne se rapporte à aucune procédure précise (17). Cela fait, l'opposition énoncée par l'article L. 511-31 recouvre deux situations, comme le suggère l'article 1242 du Code civil.

a) L'opposition au paiement peut, d'abord, consister dans l'exercice d'une mesure exécutoire qui permet à un créancier d'obtenir, par la contrainte, le règlement de sa créance (18). Il en est ainsi de la saisie-attribution par laquelle le créancier saisissant, muni d'un titre exécutoire, fait défense à un tiers-saisi de payer son propre débiteur et se fait attribuer les sommes correspondantes à concurrence du montant de la saisie (19). Dès la saisie opérée, le créancier saisissant se trouve investi d'un droit de propriété sur la créance saisie (20), ce qui signifie que la somme saisie a quitté le patrimoine du débiteur-saisi pour intégrer celui du créancier saisissant. Il s'agit là de l'effet translatif attaché à cette procédure exécutoire (21). On conçoit, alors aisément, que le paiement dû par le débiteur à son créancier ne puisse intervenir puisque la créance a été, en quelque sorte, interceptée par un tiers-saisissant avant qu'il ne se réalise. L'avis à tiers-détenteur (22) qui développe un effet translatif immédiat au profit du Trésor public, à l'instar de la saisie-attribution (23), constitue, également, une mesure exécutoire par laquelle peut s'exercer une opposition à paiement. Il existe, certes, d'autres mesures exécutoires comme, notamment, la saisie immobilière, la saisie-vente des meubles corporels, la saisie des rémunérations, mais leur domaine d'intervention les exclut du champ de l'article L. 511-31 du Code de commerce qui fixe le régime de l'opposition au paiement des seuls effets de commerce.

b) L'opposition au paiement peut, également, venir de l'exécution d'une mesure conservatoire dont l'objectif est de "conserver un droit ou un bien afin de protéger le créancier en évitant que son débiteur n'en dispose ou ne s'en dessaisisse" (24). Il s'agit seulement, au moins dans un premier temps, de geler la créance et bloquer le paiement qui doit intervenir. A l'évidence, relève de cette catégorie la saisie-conservatoire des créances (25). Mais ne faut-il pas, à cet effet, prendre en compte toute démarche visant à paralyser le paiement pour préserver la situation du créancier ? La réponse tient dans le double sens que revêt l'opposition au paiement. Lato sensu, elle traduit un résultat selon lequel le paiement ne peut avoir lieu au profit du créancier, quelle que soit la procédure utilisée, et c'est l'interprétation qu'il faut lui reconnaître dans l'article L. 511-31 du Code de commerce. Stricto sensu, l'opposition possède un sens plus technique, réservé à des hypothèses où le paiement se trouve bloqué en dehors de toute saisie, comme le suggère l'article 1242, qui fait référence, de façon concurrente, à la saisie et à l'opposition.

Pour inventorier les cas d'opposition, au sens technique et restreint du terme, susceptibles d'interdire au débiteur de payer sa dette, encore faut-il que leur existence et leurs modalités soient prévues et organisées par la loi. La jurisprudence confirme ces exigences lorsqu'elle décide que l'article 1242 du Code civil n'est pas applicable à la simple opposition d'un créancier (26). Il faut donc retenir les oppositions organisées par la loi. La plus évidente est certainement l'opposition des créanciers du vendeur de fonds de commerce au paiement du prix de vente par l'acquéreur (27). Plus discrète, l'acceptation d'une succession sous bénéfice d'inventaire permet aux créanciers du défunt de faire opposition afin qu'il soit établi une procédure d'ordre (28). L'opposition concerne encore la restitution ou le déplacement d'un bien ayant fait l'objet d'un dépôt (29). Mais ces cas d'opposition (30) n'assument pas tous une fonction conservatoire du paiement, qui plus est le paiement d'un effet de commerce. Seule l'opposition au paiement du prix de vente du fonds de commerce poursuit directement cet objectif lorsqu'elle concerne un billet de fonds émis pour permettre le règlement du prix.

La notion d'opposition étant ainsi un peu mieux cernée, l'affirmation de la nature insaisissable de la créance cambiaire, contenue dans l'arrêt du 27 septembre 2005, peut être analysée.

C - La nature insaisissable de la créance cambiaire

L'article 1242 du Code civil reconnaît aux créanciers un droit à l'opposition au paiement, entendue à la fois comme une mesure exécutoire et une mesure conservatoire, des créances appartenant à leurs débiteurs. Prenant le contre-pied de cette règle de droit commun, l'article L. 511-31 du Code de commerce pose le principe inverse de l'interdiction de toute opposition en matière d'effets de commerce, sauf exceptions.

Le fondement de ce principe peut être certainement différencié selon les différentes relations juridiques qui se greffent sur un effet de commerce (31), mais il est évident que l'article L. 511-31 pose une règle qui tend à sécuriser le paiement et le crédit, réalisés au moyen de ces instruments, au même titre que l'inopposabilité des exceptions. Il exprime la rigueur des obligations cambiaires qui ne doivent pas être entravées (32). L'interdiction intéresse le crédit public et possède, en conséquence, une portée générale quant aux créanciers opposants et, quant à la nature de l'acte d'opposition (33).

L'article L. 511-31 autorise, exceptionnellement, l'opposition au paiement de la lettre de change et du billet à ordre dans les seuls cas de perte du titre et de redressement judiciaire du porteur (34). Dans le premier cas, auquel il faut assimiler toute dépossession involontaire dont le vol (35), l'autorisation d'effectuer une opposition au paiement se justifie par la nécessité de protéger le titulaire dépossédé contre un porteur illégitime et de mauvaise foi. Dans l'hypothèse du redressement ou de la liquidation judiciaire du porteur, l'opposition a pour rôle d'empêcher le tiré de payer le porteur faisant l'objet d'une telle procédure afin que le règlement intervienne entre les mains de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur (36). Fondé initialement sur le dessaisissement du débiteur, en vigueur sous l'empire de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes (N° Lexbase : L7803GT8), l'extension de l'opposition à l'incapacité du porteur a été proposée (37), ce qui semble admettre que, malgré les termes restrictifs de l'article L. 511-31, d'autres cas d'opposition peuvent être admis, pourvu qu'ils se situent dans la mouvance de ceux énoncés dans ce texte. Cependant, la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises (N° Lexbase : L7852AGW) a modifié ce fondement en matière de redressement judiciaire, dans la mesure où le dessaisissement dépend de la mission confiée à l'administrateur judiciaire. Aussi, lorsque la mission consiste dans l'assistance ou la représentation du débiteur dans l'administration de son patrimoine, l'opposition au paiement de l'effet de commerce se conçoit. Lorsque la mission porte sur la surveillance de la gestion du débiteur, elle n'a plus les mêmes raisons de s'imposer (38). En réalité, il faut considérer que l'opposition faite au tiré de payer le porteur relève du principe d'égalité des créanciers qui sous-tend toute procédure collective et qui doit prendre l'ascendant sur celui de la sécurité du paiement d'un effet de commerce.

En dehors, donc, des deux cas autorisés par l'article L. 511-31 du Code de commerce, l'opposition au paiement d'un effet de commerce n'est pas recevable. C'est alors, tout à fait légitimement, que la jurisprudence reconnaît l'impossibilité d'effectuer une saisie-attribution ou un avis à tiers détenteur sur la créance due au porteur de l'effet par le tiré ou le souscripteur (39).

Dans son arrêt du 27 septembre 2005, la Cour de cassation confirme cette jurisprudence, mais ce faisant, elle donne l'impression de fonder sa décision sur la nature insaisissable de la créance cambiaire (40). Or, cette créance n'est pas spécialement ni intrinsèquement moins saisissable qu'une autre créance. Sa nature cambiaire n'entraîne pas un tel effet. Elle ne produit pas davantage un obstacle aux mesures conservatoires. Plus simplement, afin de sécuriser le paiement des effets de commerce, la loi, à travers l'article L. 511-31 du Code commerce, prohibe par principe les oppositions au paiement des effets de commerce et n'admet que deux dérogations : la perte de l'effet et l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du porteur. Ne relevant ni de l'une ni de l'autre, la saisie-attribution se heurte au principe de prohibition des oppositions au paiement.

D'ailleurs, ce principe de prohibition concerne, également, le paiement du chèque puisque l'article L. 131-35, alinéa 2, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9756DYY) dispose que l'opposition au paiement d'un chèque n'est admise qu'en cas de perte de vol, d'utilisation frauduleuse du chèque et de redressement ou liquidation judiciaire du porteur. Il se retrouve encore à propos de la carte de paiement, pour laquelle l'article L. 132-2, alinéa 2, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3484APQ) dispose qu'il ne peut être fait d'opposition au paiement qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse de la carte ou des données liées à son utilisation, de redressement ou de liquidation judiciaire du bénéficiaire. Or, la créance de chèque est exceptionnellement une créance cambiaire, il faut pour cela que le chèque circule et soit donc endossable. Quant à la créance de carte de paiement, elle n'est jamais cambiaire. Pour ces deux instruments de paiement, comme pour la lettre de change et le billet à ordre, l'insaisissabilité ne se rapporte pas à la nature de la créance, contrairement à ce que laisse entendre la Cour de cassation, mais elle relève du principe de prohibition des oppositions à paiement qui leur est propre et qui déroge au droit commun.

Cette analyse se vérifie en observant que le principe d'interdiction des oppositions au paiement d'un effet de commerce concerne, non seulement la créance cambiaire, mais également la créance de provision comme l'admet la jurisprudence (41), ce qui paraît, somme toute logique, dans la mesure où la provision participe à titre accessoire ou principal au règlement de l'effet. Cette interdiction a donc bien une portée générale indépendante de la nature de la créance et n'a de légitimité qu'en rapport avec la fonction de paiement de l'instrument.

Comment, alors, comprendre que la jurisprudence permette au porteur de consolider son droit sur la provision, soit en pratiquant une saisie entre les mains du tiré, soit en faisant défense au tiré de payer la provision (42) et contrevienne ainsi directement à la prohibition des oppositions au paiement formulée par l'article L. 511-31. L'explication se trouve dans le fait que la démarche du porteur envers le tiré ne constitue pas une opposition au paiement mais tend, au contraire, à préserver le règlement à son profit. Le principe de prohibition des oppositions au paiement contribue à conforter le règlement du titre au profit du porteur, or celui-ci parvient, lui-même, à un tel résultat en usant de la saisie ou de la défense de payer à l'égard de son débiteur. Ce qui revient à dire que l'opposition au paiement faite par le créancier à son débiteur n'entre pas dans le champ de l'article L. 511-31.

II - L'intérêt pour agir du tiers-saisi

Dans la relation triangulaire de la saisie-attribution, la situation du tiers-saisi paraît neutre. Sa position de débiteur le rend normalement indifférent quant au destinataire du règlement de sa dette, dans la mesure où il se trouve extérieur au litige qui oppose le créancier-saisissant et le débiteur-saisi (43). Il est seulement "tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur-saisi" (44).

La contestation de la saisie (45) appartient, principalement, au débiteur-saisi en raison de sa qualité de partie au rapport litigieux avec le créancier-saisissant. Son intérêt à agir est évident.

En revanche, la question se pose de savoir si le tiers-saisi dispose de la même faculté de contestation. Cette question était au coeur du litige dans l'affaire sur laquelle la Chambre commerciale de la Cour de cassation a statué par son arrêt du 27 septembre 2005. Les textes ne donnent aucune indication précise à ce sujet. L'article 45 de la loi de 1991, sur les procédures civiles d'exécution, se contente d'enfermer "toute contestation" dans le délai d'un mois et l'article 64 du décret du 31 juillet 1992 vise la contestation en cas de refus de paiement du tiers-saisi. Par conséquent, le tiers-saisi peut, comme n'importe quel autre tiers, contester la saisie (46). La Cour de cassation a même posé en principe (47), qu'il peut élever une contestation, sans avoir à respecter le délai d'un mois imparti à cet effet (48). Le tiers-saisi doit simplement posséder un intérêt pour agir.

L'intérêt pour agir s'entend comme le profit, l'utilité ou l'avantage que l'action peut procurer à une partie dans un contentieux (49). A l'égard du tiers-saisi, l'intérêt pour agir doit s'établir par rapport à sa qualité, ou si l'on préfère sa position, dans le rapport juridique qui l'oblige. Lorsque le tiers-saisi possède la qualité de tiré d'une lettre de change ou de souscripteur d'un billet à ordre, il se trouve, à l'égard du bénéficiaire ou du porteur, dans la situation de débiteur d'une obligation au titre de la créance cambiaire, au titre de la provision ou même au titre des deux, selon la situation développée par l'effet de commerce. Il doit le paiement au bénéficiaire ou au porteur de l'effet en cette qualité. Or, l'acte de saisie emporte un effet d'attribution immédiat de la créance saisie au profit du créancier-saisissant qui "rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation" (50). Devenu de ce fait débiteur du créancier-saisissant, le tiers-saisi possède, effectivement, un intérêt à agir pour contester la saisie.

Le tiers-saisi dispose de moyens de défense lui permettant de mettre à néant la prétention du saisissant. Il peut ainsi contester la validité de la saisie-attribution en invoquant, notamment, sa nullité ou sa caducité (51) ou encore de la prohibition des oppositions au paiement en dehors des cas prévus par la loi, comme vient de le faire la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté. Le tiers-saisi peut, également, se prévaloir à l'encontre du créancier-saisissant des exceptions personnelles qu'il tient du rapport de provision et qui lui permettent de ne pas payer le débiteur -saisi, telles, par exemple, la nullité, la compensation, l'inexécution ou la remise de dette comme cela a été invoqué dans l'affaire examinée (52).

Une fois de plus, la rencontre entre le droit cambiaire et les procédures civiles d'exécution exprime toutes les subtilités de la technique et de l'analyse juridique.

Jean-Pierre Arrighi
Professeur à l'Université de Nice-Sophia Antipolis


(1) D 2005, 2672 note X. Delpech.
(2) M. Jeantin, P. Le Cannu et Th. Granier, Instruments de paiement et de crédit. Titrisation, Dalloz, 7ème éd. 2005, n° 399.
(3) Article L. 512-3 du Code de commerce qui déclare, pour l'essentiel, applicable au billet à ordre les dispositions prévues pour la lettre de change.
(4) Article L. 512-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6740AIH).
(5) Sur la question, v. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 73-79.
(6) Ancien article 185.
(7) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 75.
(8) Cass. com. 15 décembre 1947, S 1948, I, 41 note P. Lescot, JCP éd. G., 1948, II, 4130, Banque 1948, 214 obs. X. Marin, RTD com. 1948, 288 obs. R. Houin ; Cass. com. 29 juin 1948, Bull. n° 170, RTD com. 1949, 139 obs. R. Houin.
(9) P. Lescot et R. Roblot, Les effets de commerce, Sirey 1953, t. II, n° 778 ; R. Roblot, Les effets de commerce, Sirey 1975, n° 474 ; Ripert et Roblot, Traité de droit commercial, LGDJ, t. 2, 17ème éd., 2004, par Ph. Delebecque et M. Germain, n° 2117; M. Jeantin, P. Le Cannu et Th. Granier, op. cit., Dalloz 7ème éd. 2005, n° 409.
(10) V., sur les conséquences de ce principe, J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 74.
(11) V. J. Hamel, G. Lagarde et A. Jauffret, Traité de droit commercial, t. 2, Dalloz 1966, n° 1496 ; J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 76.
(12) Cass. com. 3 mars 1987, n° 85-15.564, CIC c/ BPRNP (N° Lexbase : A6259CLE), D 1988, som., 6 obs. F. Derrida ; Cass. com. 5 mars 1991, n° 89-20.252, CIO c/ Sollac (N° Lexbase : A2817ABX), Bull. civ. n° 95, JCP éd. G 1992, II, 21888, note M. Crionnet, JCP éd. E, 1992, II, 289 et 289 bis note M. Crionnet, D 1992, som., 28 obs. M. Vasseur et 117 obs. A. Bénabent, LPA 29 juillet 1992, p. 39 note V. Roulet, Gaz. Pal. 26 novembre 1992, p. 2 note M. Leschemelle. V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 78-79.
(13) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 77.
(14) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 11.
(15) J. Flour, J.-L. Aubert, Y. Flour et E. Savaux, Les obligations, Le rapport d'obligation, A. Colin, 3ème éd., 2004, n° 141.
(16) V.- J. Issa-Sayegh, Juris-classeur civil, article 1235-1248, fasc. 50, n° 3 et suivants. 
(17) R. Perrot et Ph. Théry, L'épée de Damoclès (à propos des mesures d'exécution pratiquées en période suspecte), D 2005, 1842, note 4. Sur l'opposition comme nouveau cas de nullité de la période suspecte dans la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, v. J.-P. Arrighi, Les nouveaux cas de nullités de la période suspecte, Gaz. Palais 9-10 septembre 2005, p. 9, n° 36 et suivants. 
(18) M. Donnier et J.-B. Donnier, Voies d'exécution et procédures de distribution, Litec, 7ème éd., 2004, n° 587.
(19) Article 42 à 47 de la loi n° 91-650, du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L9124AGZ) ; article 53 à 79 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 (N° Lexbase : L3496AHX) ; M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 963 et suivants. 
(20) M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 964.
(21) Article 43, alinéa 1er de la loi du 9 juillet 1991.
(22) Article 263 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8283AEI).
(23) M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 989-993 ; S. Rezek, Recouvrement des créances : différences et ressemblances entre l'avis à tiers détenteur et la saisie-attribution, JCP éd. N, 2002, 1623.
(24) M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 379.
(25) Article 74 de la loi du 9 juillet 1991 ; M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 493 et suivants. 
(26) CA Aix en Provence, 10 avril 1991, Société Morey Provence Languedoc c/ Compagnie Abeille Paix.
(27) Article L. 141-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5679AI8).
(28) Article 808 du Code civil (N° Lexbase : L3429ABM).
(29) Article 1944 du Code civil (N° Lexbase : L2168ABW).
(30) Les oppositions à tiers détenteur de la mutualité sociale agricole (C. rur., art. L. 725-12 N° Lexbase : L1497ANR) et de la sécurité sociale (régime des travailleurs non-salariés des professions agricoles : C. sec. soc, art. L 652-3 N° Lexbase : L5530AD8) relèvent d'une procédure proche de la saisie-attribution.
(31) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 2-3.
(32) G. Gavalda et J. Stoufflet, Instruments de paiement et de crédit, Litec, 5ème éd, 2003, n° 128.
(33) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 6-12.
(34) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 17 et suiv.
(35) G. Gavalda et J. Stoufflet, op. cit., n° 125 et 128.
(36) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 81-83.
(37) R. Roblot, op. cit., n° 334 ; G. Gavalda et J. Stoufflet, op. cit., n° 128.
(38) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 81.
(39) Cass. com. 29 novembre 1982, n° 81-14005, SBCIC c/ SCASO (N° Lexbase : A5057CKI), Bull. civ. n° 374, D 1983, IR, 246 obs. M. Cabrillac ; CA Dijon, 23 mai 1973, RTD com.1973, 833 obs. M. Cabrillac et J.L. Rives-Lange ; Cass. com. 15 juin 1993, n° 91-14.201, Mer Montagne Vacances c/ CRCAM Ile de France (N° Lexbase : A5657AB7), Bull. civ. n° 245, D 1994, som., 181 obs. M. Cabrillac.
(40) V. les observations de X. Delpech au D. 2005, 2672.
(41) Cass. com. 29 novembre 1982, préc. ; Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-11.348, CIC Paris c/ Sté Sugamu Shinkin Bank (N° Lexbase : A9291C7A) ; CA Montpellier, 21 mars 1951, Banque 1951, 304 obs. X. Marin, RTD com. 1951, 549 obs. E. Becqué et H. Cabrillac et la doctrine (Ripert et Roblot, op. cit., t. 2, n° 1979-1 et 2075 ; Ch. Gavalda et J. Stoufflet, op. cit., n° 99 et 128).
(42) Cass. com. 24 avril 1972, n° 71-10. 080, SARL Les magasins Gervais c/ Société de banque et de crédit (N° Lexbase : A6742AXY), Bull. civ. n° 119, D. 1972, 686 note R. Roblot ; Cass. com. 3 mai 1995, n° 92-14.646, Société bordelaise de CIC c/ Meijas (N° Lexbase : A7863CLS), D. 1996, 292 note D. Gibirila.
(43) V. R. Perrot et Ph. Théry, Saisie-attribution : la situation du tiers saisi, D. 2001, 721, n° 19 (les arrêts du 5 juillet 2000).
(44)  Article 44 de la loi n° 91-650, du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution ; V.-M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 928 et suiv. ; J.M. Dellici, La réforme des procédures civiles d'exécution. Son application aux opérations de banque, Banque éditeur, 2ème éd., 1997, n° 279-280.
(45) Article 45 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ; article 65-68 du décret du 31 juillet 1992 ; V. M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 953 et s. ; R. Lauda, Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2001-2002, n° 5240 et s.
(46) V. M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 953-955; R. Lauda, Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2001-2002, n° 5240 et 5246 ; R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 20-22.
(47) Cass. civ. 2, 5 juillet 2000, arrêt n° 1, n° 97-22.512, Société Belluard et Gomis c/ Société Union Kovaska Industrija Zrece (N° Lexbase : A9085AGL), arrêt n° 2, n° 98-17.707, Receveur des Finances de Lisieuix c/ Société Générale (N° Lexbase : A9089AGQ), Bull. civ. n° 112, D. 2000, IR, 226, Ann. Loyers 2001, 548 obs. R. Martin, Procédures 2000, n° 197 obs. C. Laporte, RTD civ. 2000, 903 obs. R. Perrot ; v. aussi, R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 23-24.
(48) Article 45, alinéa 1er, de la loi du 9 juillet 1991.
(49) L. Cadiet, Droit judiciaire privé, Litec, 3ème éd., 2000, n° 843 ; P. Julien et N. Fricéro, Droit judiciaire privé, LGDJ, 2ème éd., 2003, n° 67.
(50) Article 43, alinéa 1er, de la loi du 9 juillet 1991. V. M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 964-967; R. Lauda, Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2001-2002, n° 5201.
(51) R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 20.
(52) V. R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 21.

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