Réf. : CE, 2° et 7° s-s., 7 octobre 2005, n° 278732, Région Nord-Pas-de-Calais N° Lexbase : A6994DKA
Lecture: 6 min
N0664AKS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Propos recueillis par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public
le 07 Octobre 2010
Maître Sudaka, Maître Kaladjian : L'arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre 2005 est un arrêt d'espèce ; il convient de l'interpréter en tant que tel, compte tenu de la spécificité des faits qui étaient soumis à l'appréciation du Conseil d'Etat.
Il n'en est pas moins intéressant puisqu'il s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence et de la doctrine précédentes, et notamment d'un arrêt du 23 février 2005, par lequel le Conseil d'Etat avait annulé le I de l'article 40 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L8746GYL) (CE 2° et 7° s-s., 23 février 2005, n° 264712, Association pour la transparence et la moralité des marchés publics (ATMMP) et autres [LXB=A7529DGX ]).
Ce texte dispensait des mesures de publicité permettant une mise en concurrence effective pour la passation des marchés visés :
- au I de l'article 28 (N° Lexbase : L8735GY8) ;
- à l'article 30 (N° Lexbase : L1101DYG) ;
- aux II et III de l'article 35 (N° Lexbase : L1079DYM).
Le Conseil d'Etat avait censuré l'exception prévue par référence à l'article 30 (cas de marchés selon procédure adaptée), aux motifs que :
"quel que soit leur montant, les marchés publics respectent les principes de liberté, d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures",
et que dès lors :
"le premier alinéa de l'article 30 ne pouvait, sans méconnaître les principes de la liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, dispenser de façon générale la passation de tous ces contrats d'une procédure adéquate de publicité et de mise en concurrence".
Dans ce précédent arrêt, le Conseil d'Etat avait constaté une contradiction entre :
- les dispositions de l'article 40-I en ce qu'elles faisaient référence à l'article 30, pour l'exclure de manière générale, des formalités de publicité ;
- les dispositions de ce texte qui prévoient explicitement : "les modalités de publicité et de mise en concurrence".
Le Conseil d'Etat a affirmé la prééminence de ces règles telles qu'elles figurent au titre I du Code des marchés publics.
L'arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre dernier ne fait que réaffirmer ces principes en estimant que, même s'agissant d'un marché passé selon une procédure adaptée, ceux-ci demeurent applicables. Les mesures de publicité mises en oeuvre par la région Nord-Pas-de-Calais ont, en conséquence, été jugées insuffisantes pour satisfaire au respect de libre accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats.
Il ne s'agit que de l'application des dispositions de l'article 28-I du Code des marchés publics.
L'arrêt répond aux dispositions de ce texte, après avoir procédé à une analyse factuelle.
Lexbase : Quelles conséquences tirez-vous, alors, des circonstances de l'espèce ? L'annulation de la procédure était-elle, selon vous, justifiée ?
Maître Sudaka, Maître Kaladjian : Dans le cas d'espèce, il s'agissait d'un marché public ayant pour objet la programmation d'une implantation d'une antenne du musée du Louvre à Lens (59), étant précisé que l'avis d'appel public à la concurrence exigeait des candidats des "références récentes en matière de conception et de programmation de grands musées".
Les mesures de publicité mises en oeuvre par la Région Nord-Pas-de-Calais, consistant en la publication de l'avis d'appel public à la concurrence dans le journal "La voix du Nord" et la mise en ligne sur le site internet du conseil régional pendant 15 jours, ont été jugées insuffisantes, par le Conseil d'Etat, pour assurer le respect des principes de libre accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats. Par ailleurs, la circonstance qu'indépendamment de la volonté de la personne publique, l'avis d'appel public à la concurrence avait été mis en ligne sur le site internet du journal "le Moniteur du bâtiment et des travaux publics" a été considérée sans incidence dans l'appréciation de la régularité des mesures de publicité auxquelles la personne publique a procédé.
Les faits étaient donc très particuliers. On peut en tirer quatre conséquences générales :
Il existait pour ce marché une distorsion entre son montant, qui était relativement peu élevé (35 000 euros HT), et son objet qui, lui, revêtait une certaine importance, puisqu'il s'agissait de la programmation de l'implantation d'une antenne du musée du Louvre. Le Conseil d'Etat a procédé à une application pure et simple de l'article 28 : la liberté offerte à la personne publique doit être adaptée à l'objet du marché.
Le montant estimé du marché ouvre la faculté, pour la personne publique, de disposer d'une certaine liberté pour définir les modalités de publicité. Cependant, ces modalités de publicité doivent être adaptées à l'objet du marché, qui peut constituer un tempérament important à la liberté résultant du montant de la commande publique, lorsque sa mise en oeuvre implique des mesures de publicité que son seul montant n'aurait pas justifiées.
La liberté de la personne publique est donc relative puisqu'elle demeure soumise à une obligation minimale : le respect des principes généraux applicables à la commande publique.
En effet, il faut rechercher dans les règles de la consultation (RPAO-règlement particulier de l'appel d'offres), quels sont les professionnels qui doivent être touchés par la mesure de publicité.
En l'espèce, les références exigées des candidats faisaient allusion aux "grands musées". Il fallait entendre par là, les musées nationaux ce qui impliquait, pour la personne publique, qu'elle procède à une consultation des candidats à un niveau national. En procédant à une publication dans un journal local, la personne publique a en quelque sorte "raté" l'objet même de sa consultation, alors qu'elle devait atteindre l'ensemble du marché des programmistes.
La consultation devait, au surplus, être d'autant plus large que le nombre de candidats potentiels était limité.
La consultation doit donc être organisée en recherchant une adéquation entre l'objet du marché et le "marché" des candidats potentiels à consulter.
La circonstance selon laquelle l'avis de publicité avait été mis en ligne sur le site internet du journal le "Moniteur du bâtiment et des travaux publics" a été considérée comme sans incidence sur l'appréciation de la régularité des mesures de publicité.
Il semble que le Conseil d'Etat ait voulu sanctionner la collectivité qui a méconnu les obligations qui pèsent sur elle à titre personnel.
Certes, tout le monde peut avoir accès au site internet de la collectivité. Mais il semble qu'il y ait une réelle confusion entre l'accès ouvert à tous via internet, et la publication qui doit atteindre tous les candidats potentiels : le flux d'information n'est pas le même. C'est la personne publique qui doit informer l'ensemble des candidats.
La seule publication sur son site internet par la personne publique n'est pas un moyen de publicité. En revanche, elle le serait si les candidats potentiels avaient été parallèlement informés de son existence.
Il peut en conséquence être conseillé aux personnes publiques de procéder à une publication de quelques lignes dans un journal ayant vocation à toucher l'ensemble des candidats potentiels, tout en renvoyant expressément à une publication complète sur leur site internet. Il pourrait s'agir d'un moyen économique, permettant de satisfaire à l'obligation de publicité c'est-à-dire d'assurer une publicité suffisante, tout en adaptant les modalités de cette publicité au montant du marché.
Pour conclure, cet arrêt du Conseil d'Etat, qui s'inscrit dans le prolongement de la jurisprudence et de la doctrine antérieures, nous semble parfaitement justifié.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:80664