Réf. : Cass. 2ème civ., 8 mars 2005, n° 03-30.700, SA Dalle c/ URSSAF de Lille, FS-P+B (N° Lexbase : A2644DHE), Cass., avis, 2 septembre 2005, n° 05-00006, M. X c/ Urssaf (N° Lexbase : A5259DLD)
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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
le 07 Octobre 2010
Alors qu'actuellement de nombreuses entreprises font l'objet de procédures de redressement de la part des Urssaf pour avoir omis d'acquitter la CSG et la CRDS sur les salaires des travailleurs exerçant une activité professionnelle en France mais résidant dans un autre Etat membre de l'Union européenne, la Cour de cassation s'est prononcée sur l'assujettissement à ces deux contributions des salaires versés aux travailleurs exerçant une activité en France et résidant en Belgique, en se référant à la seule condition d'exercice d'une activité en France au sens de l'article 13 du Règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, qui dispose que "le travailleur occupé sur le territoire d'un Etat membre est soumis à la législation de cet Etat, même s'il réside sur le territoire d'un autre Etat membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre Etat membre".
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a repris la qualification de cotisations sociales donnée à ces contributions par un précédent arrêt rendu par la Chambre sociale de la même Cour (Cass. soc., 5 avril 2001, n° 99-18.886, Société Ideal Fibers c/ URSSAF de Lille N° Lexbase : A9764ATS), ceci en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 3° et 8° s-s., 7 janvier 2004, n° 237395, Mme Martin c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6765DAS) et du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2000-437 DC, du 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 N° Lexbase : A1162AIU). Rappelons à cet égard que, dans deux arrêts en date du 15 février 2000 (CJCE, 15 février 2000, aff. C-169/98, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A2801ATW et CJCE, 15 février 2000, aff. C-34/98, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A2802ATX), la CJCE n'avait pas position sur la qualification juridique de la CSG et de la CRDS, mais avait simplement considéré que la circonstance que ces contributions soient qualifiées d'impôts par une législation nationale ne faisait pas obstacle à ce qu'elles puissent relever du champ d'application du Règlement communautaire.
En effet, en vertu de l'article 13 du Règlement n° 1408-71 du 14 juin 1971, seule la législation du lieu d'exercice de l'activité professionnelle est retenue, lorsqu'il s'agit de soumettre les revenus issus de cette activité aux prélèvements sociaux destinés au financement de la Sécurité sociale. S'agissant, donc, de personnes résidant en Belgique mais exerçant une activité professionnelle en France, seule la législation française est applicable pour la soumission à la CSG et à la CRDS des revenus issus de cette activité.
Pourtant, dans son arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation n'a pas fait application des dispositions législatives concernées du Code de la sécurité sociale, à savoir l'article L. 136-1 (N° Lexbase : L4609AD3), qui font obligation au juge de déterminer le domicile fiscal des travailleurs en cause. En l'espèce, il y avait, donc, lieu de se référer aux articles de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 (Convention France-Belgique, Bruxelles 10 mars 1964 N° Lexbase : L6668BHG).
Or, selon un principe bien établi, les dispositions des conventions fiscales internationales ratifiées par la France priment sur la législation nationale (cf, notamment, QE n° 40691 de M. Ghysel Michel, JOANQ, 8 juillet 1996, p. 3604, min. Trav. et Aff. soc., réponse publ. 17 février 1997, p. 862, 10ème législature N° Lexbase : L2549HDR). Plus précisément, la notion de "résident" en droit conventionnel prime sur la notion de "domicile fiscal" en droit interne. Les dispositions de l'article 4 B du CGI relatives à la définition du domicile fiscal en droit interne ne sont, donc, applicables que sous réserve des conventions internationales. Dès lors, une personne considérée pour l'application d'une convention fiscale conclue par la France comme "résidente" de l'autre Etat contractant ne peut pas être regardée comme domiciliée fiscalement en France pour la mise en oeuvre du droit interne français, alors même qu'elle aurait son domicile fiscal dans notre pays au sens de l'article 4 B précité.
Il résulte de ce principe qu'une personne ne peut être à la fois domiciliée à l'étranger au sens d'une convention fiscale et domiciliée en France au sens des articles 4 A et 4 B du CGI.
Il y a, ainsi, lieu de faire une distinction entre "Etat de résidence fiscale" et "Etat d'imposition d'un revenu catégoriel". En effet, les stipulations des conventions fiscales ont pour but de définir l'Etat de la résidence fiscale, c'est-à-dire l'Etat d'imposition du revenu global. Cette définition conventionnelle ne fait, cependant, pas obstacle à ce que l'Etat de la source du revenu conserve, en application de sa propre législation, une compétence d'imposition qui s'exerce précisément sur les revenus à la source. A cet égard, il convient de renvoyer à un arrêt de la cour d'appel de Douai du 30 septembre 2003 (CA Douai, 30 septembre 2003, Fondation Institut Pasteur de Lille c/ Urssaf de Lille, RJS 4/04, n° 452), afférent à des salariés travaillant en France mais domiciliés en Belgique. La cour d'appel indique que les dispositions de l'article 11-1 de la convention franco-belge du 10 mars 1964, qui prévoient l'imposition en France des salaires perçus au titre d'une activité exercée dans ce pays, désignent, ainsi, "non pas l'Etat de la résidence fiscale, mais l'Etat de la source du revenu qui conserve une compétence d'imposition. [Toutefois], celle-ci s'exerce sur les revenus à la source et non de manière globale s'agissant de personnes non-résidentes". Par suite, si les dispositions de l'article 164 B du CGI ont pour objet de soumettre à l'impôt sur le revenu français des revenus de source française (notamment, des salaires) perçus par des résidents étrangers au sens des stipulations conventionnelles, cela est sans influence sur la définition du domicile fiscal de ces derniers. Or, les dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale, sur lesquelles nous allons, maintenant, nous pencher, font référence, pour l'assujettissement à la CSG et à la CRDS, à l'Etat de la résidence fiscale ou Etat d'imposition du revenu global et non à l'Etat de la source du revenu ou Etat d'imposition d'un revenu catégoriel.
2. L'application des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale doit conduire à ne pas soumettre à la CSG et à la CRDS les revenus d'activité de source française perçus par les Français résidant dans un autre Etat membre de l'Union européenne
Le fait d'exercer une activité professionnelle en France, et, ainsi, de remplir un des critères de domiciliation fiscale en France fixés par l'article 4 B du CGI, n'est pas incompatible non seulemennt avec une domiciliation fiscale à l'étranger, mais même, doit s'effacer devant celle-ci. En bref, la domiciliation fiscale à l'étranger prime sur l'exercice d'une activité professionnelle en France.
Il résulte, en outre, des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale issues de l'ordonnance n° 2001-377 du 2 mai 2001 (ordonnance n° 2001-377, 2 mai 2001, prise pour l'application du Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L5408AS4), qui combinent un critère fiscal et un critère social, que les personnes qui travaillent en France sans y être domiciliées fiscalement ne sont pas assujetties à la CSG et à la CRDS, mais sont seulement redevables des cotisations d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès aux taux particuliers prévus par l'article L. 131-7-1, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L4373ADC) (lire R. Pellet, Protection sociale, Editions du Juris-Classeur, fascicule 204-15, p. 7, mise à jour au 1er mai 2004).
Dans l'affaire jugée par la Cour de cassation, l'application de ces dispositions aurait dû conduire celle-ci à faire primer les stipulations de l'article 1-2 de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964, selon lesquelles "une personne physique est réputée résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer permanent d'habitation", sur les dispositions de l'article 4 B du CGI, selon lesquelles "1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : [...] b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle , salariée ou non [...]". En effet, les requérants disposaient bien en Belgique d'un foyer permanent d'habitation. Dès lors, l'application des dispositions de l'article L. 136 -1 du Code de la sécurité sociale, et en particulier de son "critère fiscal", aurait dû conduire la Cour à ne pas soumettre à la CSG et à la CRDS les revenus d'activité de source française perçus par ces derniers. La doctrine n'a, d'ailleurs, pas manqué de relever le caractère surprenant de cet arrêt (lire C. Tétard, La délimitation du champ d'application personnel de la CSG et de la CRDS : le cas des travailleurs exerçant une activité professionnelle en France et résidant en Belgique", JCP, éd. sociale, n° 5-10, 26 juillet 2005, p.14).
Il résulte de ce qui précède que la soumission à la CSG et à la CRDS des revenus d'activité de source française perçus par les Français domiciliés à l'étranger dépend in fine de l'application des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale. En effet, soit le juge judiciaire fait l'impasse sur ces dispositions et lesdits revenus sont soumis à la CSG et à la CRDS par le biais de l'article 13 du Règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 (notons, cependant, qu'en appliquant uniquement les dispositions de cet article, sans appliquer les dispositions de l'article L. 136 -1 du Code de la sécurité sociale, la Cour de cassation méconnaît la portée de l'article qu'elle applique puisque celui-ci (l'article 13) renvoie précisément à la législation française (et, en particulier, à l'article L.136-1 du Code de la sécurité sociale) en tant que législation du lieu d'exercice de l'activité), soit le juge judiciaire décide d'appliquer les dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale et les revenus d'activité de source française perçus par les Français domiciliés à l'étranger échappent à la CSG et à la CRDS en vertu de la primauté de la notion de "résident" en droit conventionnel sur la notion de "domicile fiscal" en droit interne.
Il faut, donc, en conclure que, dans l'état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation, les Français qui sont domiciliés à l'étranger, quel que soit leur lieu de résidence, doivent acquitter la CSG et la CRDS sur leurs revenus d'activité de source française.
3. Dans un avis du 2 septembre 2005 (Cass., avis, n° 05-00006, M. X c/ Urssaf [LXB=A5259DLD]), la Cour de cassation a soumis à la Cour de Justice des Communautés Européennes la question de savoir si les dispositions du Règlement n° 1408-71 peuvent faire obstacle à l'application des stipulations de la convention fiscale franco-britannique
Saisie par le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d'une demande d'avis, la Cour de cassation a décidé de soumettre à la CJCE la question de savoir "si le règlement n° 1408-71 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une convention, telle que la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968, prévoit que les revenus perçus au Royaume-Uni par des travailleurs indépendants résidant en France et assurés sociaux dans cet Etat sont exclus de l'assiette de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale prélevées en France". Notons que la Cour a, ce faisant, requalifié la demande d'avis formulée par le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris qui était, ainsi, libellée : "Les contributions de Contribution sociale généralisée et de Contribution pour le remboursement de la dette sociale doivent-elles être considérées comme des impôts au sens de la Convention fiscale franco-britannique ?". Il apparaît, ainsi, que la question préjudicielle posée à la CJCE par la Cour de cassation est justifiée par une éventuelle contrariété entre le droit communautaire et le droit conventionnel fiscal bilatéral quant à la qualification de la CSG et de la CRDS.
Bien que l'avis de la Cour de cassation ne le précise pas, il est permis de supposer que les travailleurs indépendants visés par cet avis sont ceux qui disposent de façon habituelle en Grande-Bretagne d'une base fixe pour l'exercice de leurs activités. L'imposition de ces travailleurs est prévue par les dispositions de l'article 14-1 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L6745BHB) aux termes desquelles : "Les revenus qu'un résident d'un Etat contractant tire d'activités indépendantes ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que ce résident ne dispose de façon habituelle dans l'autre Etat contractant d'une base fixe pour l'exercice de ses activités. S'il dispose d'une telle base, les revenus sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à ladite base fixe". Il résulte de ces stipulations qu'une personne résidant en France (c'est-à-dire fiscalement domiciliée en France) qui perçoit des revenus d'une activité indépendante exercée en Grande-Bretagne doit normalement être imposée en France au titre de ces revenus, mais sera imposée en Grande-Bretagne si elle dispose dans ce pays d'une base fixe d'où proviennent les revenus en cause.
La question préjudicielle posée par la Cour de cassation semble, donc, concerner les travailleurs indépendants résidant en France, mais disposant d'une base fixe en Grande-Bretagne pour l'exercice de cette activité indépendante, lesquels sont imposés dans ce dernier pays. Or, si les revenus en cause sont imposés en Grande-Bretagne, leur éventuelle soumission à la CSG et à la CRDS dépend de la qualification donnée à ces contributions.
En effet, si la CSG et la CRDS sont qualifiées de cotisations sociales, les stipulations de la convention fiscale franco-britannique ne peuvent faire obstacle à ce que des revenus imposés en Grande-Bretagne soient soumis à ces contributions, dans la mesure où les travailleurs concernés résident en France et sont affiliés dans ce pays à un régime obligatoire d'assurance maladie, remplissant, ainsi, les critères fiscal et social prévus par les dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale. Cette interprétation semble confirmée, a contrario, par les arrêts précités de la CJCE en date du 15 février 2000. La Cour avait, alors, jugé que la soumission à la CSG et à la CRDS des revenus d'activité et de remplacement des personnes travaillant dans un autre Etat membre de l'Union et relevant exclusivement du régime de sécurité sociale de cet autre Etat méconnaissait l'interdiction de double cotisation posée par l'article 13 du Règlement n° 1408-71.
En revanche, si, comme l'a envisagé le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, la CSG et la CRDS doivent être considérées comme des impôts au sens de la convention fiscale franco-britannique, les revenus des travailleurs indépendants basés en Grande-Bretagne, qui sont imposés dans ce pays, ne peuvent être soumis en France à la CSG et à la CRDS, puisque cela reviendrait à les imposer deux fois, une première fois en Grande-Bretagne et une seconde fois en France, ce contrairement à l'objectif même de la convention fiscale franco-britannique qui est d'éviter la double imposition des revenus perçus par les personnes entrant dans son champ d'application. En bref, les revenus en cause, imposés en Grande-Bretagne, ne sauraient être soumis en France au second impôt que constituent la CSG et la CRDS. Précisons, à cet égard, que les conventions fiscales internationales étant d'interprétation stricte (pour une illustration de ce principe CE, Contentieux, 6 mai 1996, n° 154217, Ministre du Budget c/ SA "Quartz d'Alsace" N° Lexbase : A9123AN9 ; lire les conclusions de G. Bachelier, BDCF 3/96, p. 44) qui se prononce sur la définition de la notion de "personnes physiques" au sens de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 (N° Lexbase : L6752BHK), le droit interne ne peut avoir pour effet d'étendre le champ d'application d'une convention fiscale bilatérale. Or, tel serait bien le cas si des revenus devant être imposés à l'impôt sur le revenu en Grande-Bretagne en vertu des stipulations de la convention fiscale franco-britannique étaient, également, imposés à la CSG et à la CRDS en France, alors même que le champ d'application de la convention, défini à l'article 1-1 de celle-ci, n'inclut pas ces "impositions sociales", les impôts français auxquels s'applique la convention étant, en effet, aux termes de l'article 1-1 b) de celle-ci l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et toutes retenues à la source, précomptes et avances décomptés sur ces impôts.
Soulignons, pour ne pas perdre de vue notre sujet, que cette application du principe de hiérarchie des normes a été essentielle dans la réponse donnée par le Conseil d'Etat à la demande d'avis présentée par le Tribunal administratif de Nice. En effet, la solution rendue par le Conseil est justifiée par le fait que l'imposition à la CSG et à la CRDS des nationaux français résidant à Monaco aurait pour effet d'étendre le champ d'application de l'article 7-1 de la convention franco-monégasque (lire Le droit interne peut certes modifier l'impôt sur le revenu mais non étendre le champ d'application d'une convention internationale, RJF 2/05, n° 163).
Au total, c'est la question de la compatibilité entre le droit communautaire et le droit conventionnel fiscal bilatéral qui est, ainsi, posée. Certes, la CJCE a jugé, dans les arrêts du 15 février 2000 précités, que "la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale ne signifie pas que, au regard du règlement n° 1408-71, ce même prélèvement ne puisse être regardé comme relevant du champ d'application de ce règlement et, partant, soit visé par la règle du non-cumul des législations applicables". Ainsi, le fait que la CSG et la CRDS relèvent du Règlement n° 1408-71 n'exclut pas qu'elles puissent être qualifiées d'impôts par une législation nationale et l'on pourrait supposer que cette "non-exclusivité" s'applique, également, aux conventions fiscales bilatérales.
Toutefois, cette compatibilité entre régime communautaire et qualification conventionnelle n'est possible que parce qu'elle ne remet pas en cause l'objectif du Règlement n° 1408-71, qui est d'éviter que les travailleurs des pays membres de l'Union Européenne ne soient frappés par une double cotisation. Au fond, les objectifs de ce Règlement et des conventions fiscales bilatérales sont, en quelque sorte, similaires : le premier vise à éviter les situations de double cotisation, tandis que les secondes visent à éviter les situations de double imposition. Dès lors, une convention fiscale bilatérale dont l'application conduirait à exempter certains travailleurs de toute cotisation méconnaîtrait l'objectif du Règlement n° 1408-71. Or, nous l'avons vu, si la CSG et la CRDS doivent être considérées comme des impôts au sens de la convention fiscale franco-britannique, elles ne peuvent frapper les revenus qui sont, déjà, imposés en Grande-Bretagne. Les travailleurs concernés, bien qu'ils résident en France et y soient affiliés à un régime obligatoire d'assurance maladie, échappent, ainsi, à toute "cotisation" (au sens communautaire du terme) au titre de ces revenus.
Au total, la qualification d'impôts donnée à la CSG et à la CRDS par la convention fiscale franco-britannique aboutirait, pour les revenus imposés en Grande-Bretagne, mais perçus par des résidents et affiliés français (plus précisément, par des personnes résidant en France et à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie), à une double absence de cotisation : absence en Grande-Bretagne, du fait de l'affiliation à un régime obligatoire français d'assurance maladie, et absence en France, du fait de l'interdiction de double imposition posée par la convention.
A supposer que la qualification conventionnelle donnée à la CSG et à la CRDS rejoigne, ainsi, la qualification nationale d'impôt donnée par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, la convention fiscale franco-britannique serait, dès lors, contraire au Règlement n° 1408-71 et devrait, semble-t-il, en vertu du principe de hiérarchie des normes, s'effacer devant lui. En l'espèce, les travailleurs indépendants imposés en Grande-Bretagne mais résidant en France et affiliés dans ce pays à un régime obligatoire d'assurance maladie devraient être assujettis à la CSG et à la CRDS au titre des revenus issus de leur activité indépendante. La conclusion que l'on peut en tirer est que si, en principe, le Règlement n° 1408-71 n'exclut pas que la CSG et la CRDS soient qualifiées d'impôts par des stipulations conventionnelles, il s'oppose, toutefois, à cette qualification en tant qu'elle aboutit à une double absence de cotisation.
La question préjudicielle posée par la Cour de cassation à la CJCE traduit, donc, les interrogations que pose l'incertitude quant à la qualification de la CSG et de la CRDS. Pour autant, et à supposer que la CJCE estime que ces contributions doivent être considérées comme des impôts au sens de la convention fiscale franco-britannique (ce qui nous semble improbable, à la fois au regard des implications qu'aurait une telle qualification sur les conventions fiscales conclues entre des Etats membres de l'UE et des Etats non-membres, dont l'application ne peut être bloquée par le Règlement n° 1408-71, et au regard de la "politique jurisprudentielle" de la CJCE, laquelle s'est, jusqu'à présent, gardée de se prononcer sur la nature juridique de la CSG et de la CRDS), la qualification de cotisations sociales donnée à ces contributions par la Cour de cassation dans ses arrêts précités du 5 avril 2001 et du 8 mars 2005 pourrait être remise en cause, même si la qualification conventionnelle ne vaudrait que pour les personnes entrant dans le champ d'application de la convention fiscale franco-britannique.
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