Réf. : CE, 3° et 8° s-s., 18 mai 2005, n° 267087, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Sagal (N° Lexbase : A3517DI4)
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N5349AIX
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par Sophie Duval, Juriste-fiscaliste
le 07 Octobre 2010
Toutefois, cette règle n'est pas absolue.
En effet, l'article 209 B du CGI , d'une part, exclut, dans certains cas, l'application de ce régime de faveur lorsque la filiale est située dans un pays à fiscalité privilégiée. Bien que la filiale soit située au Luxembourg, pays à fiscalité privilégiée, l'article 209 B ne trouvait, cependant, pas, en l'espèce, à s'appliquer, car la participation de la société G. était inférieure au seuil de 25 % prévu par cet article dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, au-delà duquel l'application du régime des sociétés mères était écartée.
D'autre part, l'administration fiscale peut toujours s'opposer, sur le fondement de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U) à l'application du régime des sociétés mères toutes les fois que la création d'une filiale est purement fictive ou a pour seul objet de transformer des produits qui auraient été soumis en France à une imposition au taux normal en dividendes exonérés.
Bien que le champ d'application de la procédure d'abus de droit soit, en principe, strictement défini, il est de jurisprudence constante, et relativement ancienne (CE, contentieux, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ M. xxxxx N° Lexbase : A7572AKN ; CE, contentieux, 4 décembre 1981, n° 29742, M. X. c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4559AK3), que cette procédure peut, aussi, être mise en oeuvre dans des situations basées sur des actes réels, mais ayant pour but exclusif d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportée eu égard à sa situation et à ses activités réelles. Dans ces hypothèses, l'accent est mis par les juges sur le caractère exclusif du but fiscal de l'opération. Si elle répond, également, à d'autres préoccupations, l'abus de droit n'est caractérisé que si le caractère fictif des actes est établi.
L'administration fiscale a, donc, considéré que l'opération réalisée par la société G. était constitutive d'un abus de droit. A ses yeux, la société G. a fait une application abusive du régime des sociétés mères dans un but exclusivement fiscal, contre l'esprit de la loi. En effet, le régime des sociétés mères qui a pour finalité d'éviter une double impositions entre sociétés mères et filiales, n'avait pas de raison d'être appliqué en l'absence d'imposition de la filiale, l'activité de holding de participations financières étant au Luxembourg soumise à un régime d'exonération des bénéfices et des plus-values.
Cette analyse avait, néanmoins, été rejetée par la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 18 février 2004, n° 00NT01082, Société Sagal c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0793DCD), qui avait estimé que le but de l'opération n'était pas exclusivement fiscal puisque, comme l'indiquait la société G. sans être, d'ailleurs, contredite par l'administration sur ce point, la création de la société luxembourgeoise chargée de gérer la trésorerie de ses actionnaires s'expliquait par la volonté de réaliser des économies d'échelle et d'obtenir de meilleurs placements à moyen terme, objectif, par la suite, atteint.
Le Conseil d'Etat, quant à lui, a fait une tout autre analyse. En aucun cas, selon ce dernier, la création de la société F. n'avait eu pour effet d'améliorer le rendement des placements financiers réalisés par la société G. Bien au contraire, il estime que la société F. est restée sous l'entière dépendance de la banque à l'origine de sa création en ce qui concerne tant sa gestion que ses investissements, que la totalité de son actif était constituée de valeurs mobilières, qu'elle n'avait aucune compétence technique en matière de placements financiers, que ses actionnaires ne prenaient aucune part aux assemblées statutaires et, qu'ainsi, cette société était dépourvue de toute substance.
Dans ces conditions, le Conseil d'Etat a considéré que la société ne pouvait prétendre que le régime des sociétés mères lui était applicable de plein droit, ni que l'opération lui avait permis de réaliser de quelconques économies d'échelle. L'opération ne présentait, ainsi, aucun intérêt économique la concernant, dés lors qu'elle n'établissait pas que la localisation de la holding à l'étranger plutôt qu'en France lui avait procuré un quelconque avantage.
2. La procédure d'abus de droit et la liberté d'établissement
Par ailleurs, la Haute cour réaffirme la compatibilité de la procédure de l'abus de droit avec le principe communautaire de liberté d'établissement prévu à l'article 43 du Traité CE .
La société G. invoquait, en effet, la législation européenne, qui proscrit les restrictions de liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans un autre Etat membre. Cette interdiction s'étendant aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, la société requérante soutenait que les dispositions de l'article L. 64 du LPF étaient de nature à restreindre l'exercice de cette liberté d'établissement, en exerçant un effet dissuasif à l'égard des contribuables qui souhaitent s'installer dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, notamment, lorsque le projet d'établissement est inspiré par un motif d'ordre fiscal.
Rappelant que l'application de la législation sur l'abus de droit est strictement limitée aux cas où l'administration apporte la preuve que l'acte par lequel un contribuable s'établit à l'étranger revêt un caractère fictif ou simulé, ou à défaut, n'a pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder l'impôt et que l'objectif de cette législation consiste à exclure du bénéfice de dispositions fiscales favorables, les montages purement artificiels dont le seul objet est de contourner la législation fiscale, le Conseil d'Etat réaffirme avec force que l'article L. 64 du LPF ne peut être regardé comme apportant une restriction à la liberté d'établissement incompatible avec les stipulations du Traité de Rome.
Ce rappel du Conseil d'Etat est loin d'être anodin dans un contexte où le dispositif français de lutte contre l'évasion fiscale a été malmené, à plusieurs reprises, dans un passé récent, sur fond d'incompatibilité de certaines de ses dispositions avec le droit communautaire.
L'article 212 du CGI , tout d'abord, instaurant un dispositif destiné à lutter contre la sous-capitalisation, a été déclaré incompatible avec l'article 43 du Traité CE (CE, contentieux, 30 décembre 2003, n° 249047, SARL Coréal Gestion c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6490DAM et CE, contentieux, 30 décembre 2003, n° 233894, SA Andritz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie [LXB=6487DAI] ; lire Fabien Girard de Barros, L'incompatibilité de l'article 212 du CGI avec le droit communautaire et certaines conventions fiscales internationales, Lexbase Hebdo n° 102, du 7 janvier 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0037ABY).
Les articles 125-0 A et 125 A du CGI , instaurant un prélèvement libératoire sur les seuls revenus financiers dont le débiteur est domicilié ou établi en France, ont, également, été déclarés contraires aux articles 49 (N° Lexbase : L5359BCH) et 56 du Traité CE relatifs à la liberté de circulation des capitaux et à la libre prestation de services (CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française [LXB=A4317DB] ; lire Jean-Marc Priol, Prélèvement libératoire sur les revenus financiers et opérations transfrontalières : les articles 125-0 A et 125 A du CGI déclarés contraires aux principes de libre prestation de services et de capitaux, Lexbase Hebdo n° 111, du 10 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0838ABN).
Enfin, l'article 167 bis du CGI a été considéré, à son tour, comme s'opposant à l'article 43 du Traité CE , en ce qu'il instaurait, dans un but de prévention d'évasion fiscale, un mécanisme d'imposition des plus-values latentes sur titres possédés par des personnes transférant leur domicile fiscal à l'étranger (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de Lasteyrie du Saillant c/ Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5001DBT ; lire Jean-Marc Priol, Liberté d'établissement et présomption d'évasion ou de fraude fiscale, Lexbase Hebdo n° 113, du 25 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1015AB9).
Par ailleurs, il est à noter que l'article 209 B du CGI a été modifié en profondeur par la loi de finances pour 2005 (n° 2004-1484, 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5203GUA) (lire Fabien Girard de Barros, Le nouvel article 209 B : entre lutte contre l'évasion fiscale et liberté d'établissement, Lexbase Hebdo n° 151, du 19 Janvier 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N4306AB4).
Cette modification fait suite à l'arrêt "Schneider Electric" du 28 juin 2002 (CE, contentieux, 28 juin 2002, n° 232276, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Schneider Electric N° Lexbase : A0219AZ7), qui a fait apparaître l'opposition de nombreuses conventions signées par la France à l'application de l'article 209 B du CGI et, cela, avant que la Cour de justice des Communautés européenne ne condamne, comme c'était probable, ce dispositif au regard des principes de liberté d'établissement et de circulation des capitaux. Aussi, à compter du 1er janvier 2006, seules les sociétés dont le seuil de participation dans l'entité juridique étrangère excède 50 % seront, désormais, concernées par le dispositif prévu à l'article 209 B du CGI et les revenus de cette entité seront réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers ajoutés aux résultats de la société mère.
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