La lettre juridique n°172 du 16 juin 2005 : Sociétés

[Jurisprudence] Une délégation de pouvoirs peut cacher un mandat !

Réf. : Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-13.032, Société générale c/ M. Moyrand, F-P+B (N° Lexbase : A2986DH3)

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par Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 mars 2005 retiendra l'attention de la pratique, en ce qu'il rappelle le principe du maintien de la délégation de pouvoirs en cas de changement de président directeur général (PDG) délégant (Cass. com., 4 février 1997, n° 94-20.681, M. Pradeau c/ Banque La Hénin N° Lexbase : A1561ACS ; Bull. Joly 1997, p. 543, § 219), mais surtout, en ce qu'il laisse supposer que le maintien de la délégation s'accompagne du maintien du mandat inhérent à celle-ci. En effet, l'arrêt du 4 février 1997 était un arrêt de rejet et, comme tel, n'avait pas donné l'occasion à la Chambre commerciale de la Cour de cassation d'apporter les précisions nécessaires à la bonne organisation des délégations de pouvoirs (à propos des délégations de pouvoirs, voir S. Le Damany, F. Collin et J.-P. Dom, Mise en place et suivi des délégations de pouvoirs au sein des sociétés et des groupes, Actes Pratiques, Janvier-Février 2005, p. 3 et s.). Une question importante pouvait, jusqu'alors, subsister : le maintien de la délégation suppose-t-il celui du mandat ? En d'autres termes, le changement de PDG requiert-il, en dépit du maintien de la délégation de pouvoirs, un renouvellement du mandat par le nouveau PDG ? En pratique, en cas de changement de dirigeant, on renouvelle les délégations de signature (qui sont des mandats intuitu personae). Certains praticiens préconisaient, dans un souci de sécurité juridique, que le changement de dirigeant, bien qu'il ne remette pas en question l'existence des délégations de pouvoirs données par l'ancien, s'accompagne de mandats donnés par le nouveau dirigeant aux délégataires nommés par l'ancien. Selon eux, où la délégation pouvait perdurer, le mandat (imbriqué dans cette délégation) risquait de prendre fin. La délégation de pouvoirs est une création de la pratique qui, très tôt, a été entérinée par la jurisprudence (v. en ce sens qui évoque une jurisprudence de la fin du XIX, F. Marmoz, La délégation de pouvoir, Bib. dr. de l'entreprise, T. 43, Litec 2000, spéc. n° 10 et s., p. 6 et s. et les réf. cit.). Elle peut être utilisée, notamment, aussi bien pour représenter la société en justice (Cass. com., 28 juin 1983 n° 81-15494, SCI des Bas Moguichet, Anser c/ Trésorier Payeur Général du Val-de-Marne, publié N° Lexbase : A7200CII ; Bull. civ., n° 188 ; adde Piniot, Déclaration des créances et représentation d'une société en justice, RJDA 1/1994, p. 15, n° 7), que pour répartir des tâches spécifiques et techniques. En cas de délégation (voir, notamment, P. Le Cannu, Les précisions apportées par le droit des procédures collectives au régime de la délégation de pouvoirs dans une société, Bull. Joly 1997, p. 628), la responsabilité pénale du dirigeant de droit -le délégant- peut être écartée. Quatre conditions doivent, cependant, être remplies pour que le délégataire soit déclaré seul responsable : il doit être subordonné, avoir les moyens d'agir, être compétent et indépendant. La délégation de pouvoirs peut se révéler d'une efficacité médiocre lorsque ces conditions ne sont pas respectées. Il en va, notamment, ainsi, lorsque le dirigeant délégant prend personnellement part à l'infraction en s'immisçant dans la gestion des affaires du délégataire (Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-80.598, Berthy Raymond, publié N° Lexbase : A1522ATK ; Bull. Joly 1993, p. 666, note Y. Chartier).

La délégation de pouvoirs permet donc au délégant de se départir d'une sphère de sa compétence, de ses pouvoirs, de son autorité et de ses responsabilités en faveur du délégataire. L'action du délégataire suppose une chaîne de représentations. Le PDG (il pourrait encore s'agir d'un directeur général, d'un directeur général délégué, d'un directeur général unique ou d'un membre du directoire) représente la société, le délégataire représente cette même société en vertu de la délégation de pouvoirs donnée par le PDG.

La délégation de pouvoirs implique donc une représentation. Partant, différentes solutions sont envisageables pour expliquer l'existence de cette représentation.

I - En premier lieu, on pourrait considérer que la délégation de pouvoirs implique un mandat tacite du PDG au délégataire. Suivant l'article 1985, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2208ABE), l'acceptation du mandat peut n'être que tacite, et résulter de l'exécution qui lui a été donnée par le mandataire. Accepter le principe du transfert de responsabilités emporterait, alors, l'acceptation tacite du mandataire de la fonction de représentation inhérente à la délégation de pouvoirs.

Dans ce cas, la délégation de pouvoirs serait un curieux avatar du mandat. Le PDG délégant devant s'assurer de ce que le mandant a la compétence et les moyens de recevoir la délégation, le mandat serait, alors, intuitu personae et, comme tel, prendrait fin en cas de changement de PDG.

En 1997, l'argument avancé par le demandeur au pourvoi suivait une telle logique. Cependant, celle-ci était poussée à de tels extrêmes qu'une certaine confusion était faite entre le mandat et la délégation de pouvoirs. A l'époque, il était, en effet, fait grief au jugement d'avoir rejeté une demande en nullité, "alors, selon le pourvoi, que la délégation de pouvoirs donnée par le président du conseil d'administration d'une société anonyme à un autre que le directeur général de la société est un mandat conclu intuitu personae qui prend nécessairement fin lorsque le mandat cesse, notamment par démission, d'exercer les fonctions qui lui conféraient légalement les pouvoirs qu'il avait délégués". Ce pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation, aux motifs "que le tribunal a jugé à bon droit que la délégation de pouvoirs en exécution de laquelle avait agi M. Pradeau [le délégataire] avait été faite par le président au nom et pour le compte de la société, et non en son nom personnel, et que la banque était restée engagée par celle-ci, malgré le changement de président du conseil d 'administration, tant qu'elle n'avait pas été révoquée" (Cass. com., 4 février 1997, n° 94-20.681, préc.).

II - En second lieu, à partir de cet arrêt de 1997, il était possible de considérer que le mandat est donné directement par la société, et non par l'intermédiaire de son représentant légal (le PDG). Dans cette hypothèse, tout renouvellement de mandat entre le représentant légal et son délégataire serait inutile.

L'arrêt commenté du 15 mars 2005 est un arrêt de cassation qui apporte de nouveaux éléments de réponse. Comme tel, il contient un chapeau introductif. Celui-ci n'apporte rien au débat, car, à peu de choses près, il reprend les termes de l'arrêt de 1997 ("Attendu qu'une société reste engagée par la délégation de pouvoirs faite par un président du conseil d'administration agissant au nom et pour le compte de la société, et non en son nom personnel, à un préposé de celle-ci, malgré le changement de président du conseil d'administration, tant que cette délégation n'a pas été révoquée"). En revanche, ce chapeau suit le visa des articles L. 621-43 du Code de commerce (N° Lexbase : L6895AI9), 113 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu C. com., art. L. 225-51 N° Lexbase : L5922AI8), 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et 2003 (N° Lexbase : L2238ABI) du Code civil. La combinaison de ces textes est éclairante.

L'article L. 621-43 du Code de commerce concerne la déclaration de créances en cas de procédure collective. Celle-ci, suivant l'alinéa 2, "peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix".

L'article 113 de la loi du 24 juillet 1966 était relatif au pouvoir de direction général et de représentation sociale du président du conseil d'administration, avant que la loi n° 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (loi NRE N° Lexbase : L8295ASZ), n'intervienne pour permettre une dissociation entre le président du conseil d'administration et le directeur général, une même personne pouvant, néanmoins, exercer ces deux fonctions (C. com., art. L. 225-51-1 N° Lexbase : L2183ATZ).

L'article 1984 du Code civil définit le contrat de mandat. L'article 2003 du même code précise les circonstances dans lesquelles le mandat prend fin et fait, notamment, état de la révocation du mandataire.

Il y a donc bien un mandat : le mandataire (délégataire) peut faire la déclaration de créances (C. com., art. L. 621-43). Mais, à suivre le visa, celui-ci existe bien entre la société et le délégataire et non entre le dirigeant et le délégataire. En effet, le président du conseil d'administration (le DG ou le PDG depuis la loi NRE) représente la société dans ses rapports avec les tiers (L. 24 juillet 1966, art. 113). Le mandat permet la représentation (C. civ., art. 1984) et prend fin, notamment, en cas de révocation (C. civ., art. 2003).

En conséquence, si un mandat existe entre la société et le délégataire, peu importe le changement du représentant légal de la société. Il devient inutile de renouveler les mandats donnés par le PDG afin de pérenniser la représentation de la société.

III - Ce raccourci peut choquer à un double titre.

Tout d'abord, en matière de mandat, la transitivité n'a pas lieu d'être. Si A donne mandat à B (où représente légalement B) qui donne mandat à C, A n'a pas pour autant donné un mandat à C. Il y a simplement une chaîne de représentations. Si le mandataire légal représente la société, il agit, néanmoins, en tant que dirigeant. S'il y a un mandat entre la société et le délégataire, c'est bien le représentant légal qui le donne. C'est lui qui choisit personnellement le mandataire, en appréciant sa compétence et en s'assurant des moyens dont il dispose. Ce choix, un autre représentant légal ne l'aurait peut-être pas fait.

Ensuite, on pourrait considérer que, lorsque le délégant des pouvoirs n'est pas directement le représentant légal de la société (en cas de chaîne de délégations de pouvoirs, par exemple), la délégation est maintenue, mais pas le mandat.

L'arrêt du 15 mars 2005 ne peut pas vouloir dire cela. Il tend -comme l'ensemble de la jurisprudence en matière de délégation de pouvoirs- à assurer la sécurité juridique et à maintenir une répartition des pouvoirs et de la représentation tant que la délégation n'est dénoncée, ni par le délégataire (en cas de démission, par exemple), ni par le délégant (en cas de révocation, par exemple).

Il convient donc de rechercher comment le délégataire peut voir le mandat maintenu tant qu'il n'est pas révoqué ou qu'il ne l'a pas dénoncé. Deux explications paraissent envisageables.

Soit le mandat tacite est un accessoire de la délégation de pouvoirs et, cette dernière n'ayant pas à être renouvelée, le mandat est maintenu, nonobstant l'interruption de la chaîne de représentations.

Soit la délégation de pouvoirs implique, sui generis, un transfert de la représentation légale de la société et, par suite, un partage du pouvoir et de la responsabilité entre délégant et délégataire(s). Dans cette hypothèse, toute référence au mandat devient inutile (à moins de considérer, comme le fait encore la jurisprudence, notamment, en matière de révocabilité ad nutum, que les dirigeants de la société sont investis en vertu d'une forme de mandat). Cette dernière solution nous paraît plus conforme à la force de la délégation de pouvoirs. Comment expliquer qu'un mandat existe, alors que l'enjeu principal de la délégation de pouvoirs est de couper toute représentation entre le délégant et le délégataire.

La jurisprudence sera peut être, un jour, amenée à préciser ce point. En attendant, l'arrêt du 15 mars 2005 et son visa apportent, néanmoins, une certitude : les délégations de pouvoirs données par le représentant légal sont maintenues après que celui-ci ait changé, mandat compris !

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