Réf. : Cass. soc., 8 juin 2005, M. Patrick Edline c/ SARL Imprimerie Mavit-Sival, pourvoi n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A6513DI3)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé de la décision
1° La prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail rompt ce dernier et l'initiative prise ensuite par l'employeur de le licencier est non avenue. 2° Le délai imparti conventionnellement à l'employeur pour renoncer à la clause de non-concurrence court au jour où il reçoit la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée par le salarié. |
Décision
Cass. soc., 8 juin 2005, M. Patrick Edline c/ SARL Imprimerie Mavit-Sival, pourvoi n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A6513DI3) Cassation partielle sans renvoi (cour d'appel de Montpellier, chambre sociale, 18 mars 2003) Texte visé : article 17 de l'Accord national interprofessionnel (ANI) des VRP du 3 octobre 1975 Mots-clés : rupture du contrat de travail ; prise d'acte ; effets ; clause de non-concurrence ; renonciation ; point de départ du délai Lien base : |
Faits
1° M. Edline a été embauché par la société Mavit Sival le 2 mai 1989 en qualité de VRP multicartes. Le 2 novembre 1994, un avenant a été conclu entre les parties fixant la rémunération et les modalités de celle-ci. Une clause de non-concurrence a été acceptée par le salarié. Le 19 décembre 1996, un autre avenant a été signé par le salarié concernant le taux des commissions. Le 26 janvier 1998, M. Edline a pris acte de la rupture de son contrat en raison de fautes imputées à l'employeur et le 10 mars 1998, l'employeur l'a licencié pour fautes graves. 2° L'arrêt attaqué a dit que son licenciement par la société Imprimerie Mavit Sival était justifié pour faute grave et l'a débouté, en conséquence, de ses demandes d'indemnité de préavis, de congés payés sur préavis, d'indemnité spéciale de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de commission sur retour d'échantillonnage et de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de la contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence contractuelle, la cour d'appel a énoncé que le salarié qui a été libéré de cette clause dans les 15 jours suivant la lettre de licenciement, conformément aux modalités conventionnelles applicables entre les parties, soit par lettre recommandée avec accusé de réception présentée et notifiée le 16 mars 1998, est mal fondé à réclamer une quelconque contrepartie financière. |
Problème juridique
A quelle date commence à courir le délai de renonciation à la clause de non-concurrence stipulée par l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 lorsque le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail ? |
Solution
1° "lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ; le contrat étant rompu par la prise d'acte du salarié, l'initiative prise ensuite par l'employeur de le licencier est non avenue" 2° "Vu l'article 17 de l'Accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 " ; "aux termes de ce texte sous condition de prévenir, par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les quinze jours suivant la notification par l'une ou l'autre des parties de la rupture, l'employeur pourra dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause de non-concurrence" "le point de départ du délai de quinze jours prévu par l'article susvisé était la date de réception par l'employeur de la lettre de prise d'acte de la rupture par le salarié" "la cour d'appel a violé le texte susvisé" |
Commentaire
1. La nature de la prise d'acte du contrat de travail
Le 25 juin 2003, la Chambre sociale de la Cour de cassation consacrait la prise d'acte comme un nouveau mode de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, F-P P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578 N° Lexbase : A8978C8Z ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8975C8W ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-40.235, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8974C8U, lire Christophe Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9951AAS). Ignoré formellement par le Code du travail, ce mode de rupture ne dispose d'aucun régime juridique propre et doit donc être rattaché à la démission ou au licenciement lorsqu'il s'agit de déterminer ses effets : si les fautes imputées par le salarié à son employeur sont avérées, la rupture produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; mais si elles ne le sont pas, alors la rupture produira les effets d'une démission. Le 19 janvier 2005, la Haute juridiction confortait cette analyse : la prise d'acte à l'initiative du salarié rompt bien le contrat de travail, privant ainsi l'employeur de la possibilité de prononcer ultérieurement le licenciement (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 : lire notre commentaire dans Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN). Dans cet arrêt, la Cour avait précisé que la lettre de licenciement envoyée postérieurement "importe peu", ce qui, on en conviendra, n'était guère précis. Ce nouvel arrêt, rendu le 8 juin 2005, tente de préciser sur le plan juridique le sort qu'il convient de réserver au licenciement prononcé postérieurement à la prise d'acte. Selon la Haute juridiction, "l'initiative prise ensuite par l'employeur de le licencier est non avenue". La formule n'est guère plus heureuse. En réalité, le licenciement du salarié postérieurement à la prise d'acte doit être considéré comme inexistant puisque le contrat a déjà été rompu.
Dans cette affaire, le salarié avait adressé à son employeur une lettre de prise d'acte le 26 janvier 1998 et ce dernier l'avait licencié pour faute grave le 10 mars 1998. La cour d'appel de Montpellier avait considéré que les prétendues fautes commises par l'employeur n'étaient pas établies, mais n'en avait pas tiré les bonnes conclusions puisqu'elle avait refusé de considérer le contrat de travail comme rompu par la prise d'acte et examiné le licenciement prononcé pour faute grave qu'elle avait considéré comme parfaitement justifié. Le raisonnement avait, par conséquent, ignoré totalement la nature même de la prise d'acte du contrat de travail qui constitue un mode de rupture du contrat de travail. Cette erreur était compréhensible dans la mesure où l'arrêt en cause datait du 18 mars 2003, c'est-à-dire avant le revirement intervenu le 25 juin 2003 (préc.). C'est sans doute, sans bien entendu l'avouer, pour cette raison que la Chambre sociale n'a pas censuré cette décision et décidé, au contraire, de la sauver. Cette mansuétude s'explique, également, techniquement, par le fait qu'une démission et un licenciement pour faute grave produisent le même effet sur un plan strictement indemnitaire. Dans les deux hypothèses, en effet, le salarié n'aura droit ni au préavis ni à l'indemnité de licenciement. Or, dans la mesure où la cour d'appel était saisie de demande tenant au paiement de ces indemnités, elle avait finalement bien jugé en déboutant le salarié, même si elle l'avait fait au prix d'un raisonnement erroné. Cette identité de régime entre la démission et le licenciement pour faute grave n'est toutefois pas totale. Si la rupture du contrat de travail s'analyse en effet en une démission, le salarié ne pourra pas prétendre au bénéfice des allocations de chômage, alors qu'il pourra en bénéficier s'il est licencié pour faute grave. Précisons, toutefois, que la Cour n'était nullement saisie dans ce contexte et que le salarié avait sans doute retrouvé du travail après sa prise d'acte (voire avant, ce qui expliquerait sa décision). Dans l'hypothèse où un salarié déciderait véritablement de mettre un terme à son contrat uniquement pour riposter à des comportements de son employeur considérés comme fautifs, il aurait tout intérêt à saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, puisqu'en cas d'échec, le rejet de sa requête entraînerait la poursuite de l'exécution du contrat de travail et nullement les effets d'une démission, ce qui est le cas si le salarié prend acte, à tort, de la rupture de son contrat de travail. 2. Les conséquences de la prise d'acte sur la renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence
L'ANI du 3 octobre 1975 relatif aux VRP, dans son article 17 , donne à l'employeur la possibilité de renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence "sous condition de prévenir le représentant dans les quinze jours suivant la notification, par l'une ou l'autre des parties, de la rupture (...)". Reste, bien entendu, à déterminer concrètement à partir de quel moment court ce délai.
Dans cette affaire, l'employeur avait exercé cette faculté dans les quinze jours qui avaient suivi le licenciement du salarié pour faute grave. Les juges du fond avaient considéré qu'il avait respecté le délai fixé par la convention collective, ce qui était logique, à condition d'admettre que le contrat de travail n'avait pas été utilement rompu par la prise d'acte effectuée auparavant. Dans la mesure où c'était bien la prise d'acte qui avait rompu le contrat, et non le licenciement, et ce indépendamment du caractère infondé des griefs du salarié, l'analyse des juges du fond ne pouvait plus être admise et la cassation s'imposait sur ce point.
Dans un arrêt en date du 9 mars 2005, la Cour de cassation avait pris soin de préciser comment il convenait de calculer ce délai. Selon la Haute juridiction, en effet, "le point de départ du délai de 15 jours prévu par l'article 17 de l'Accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 pendant lequel l'employeur peut dispenser le salarié de l'exécution de la clause de non-concurrence est la date de réception de la lettre de licenciement, c'est-à-dire, en l'espèce, le 7 octobre qui ne comptait pas dans la computation du délai" (Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-46.149, FS-P+B N° Lexbase : A2519DHR). Cette solution ne fait guère difficulté lorsque la rupture du contrat de travail résulte du licenciement du salarié puisque le Code du travail formalise la procédure et impose la notification écrite du licenciement. Mais en cas de démission ou de prise d'acte, la détermination du point de départ risque d'être délicate en l'absence de lettre adressée par le salarié (ce qui n'était pas le cas ici). Dans ces hypothèses, il appartiendra aux juges du fond de fixer souverainement la date à laquelle le salarié a rompu son contrat, au vu des éléments fournis par les parties. |
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