La lettre juridique n°171 du 9 juin 2005 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Des conséquences de la nullité d'un contrat qualifié de location-gérance sur sa requalification en bail commercial

Réf. : Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.835, Mme Marie Dominique Andreozzi c/ Société à responsabilité limitée Le Saint-Jean, FS-P+B (N° Lexbase : A3787DI4)

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N5260AIN

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

La nullité du contrat de location-gérance consenti par le loueur qui ne justifie pas de deux années d'exploitation du fonds fait obstacle à ce que le locataire-gérant demande la requalification de ce contrat en bail commercial. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 18 mai 2005 qui permet de revenir sur la distinction entre ces deux contrats, à laquelle cette décision vient apporter une limite. En l'espèce, le propriétaire d'un fonds de commerce de restaurant, pizzeria, crêperie, glacier, avait conclu, le 1er avril 1988, une convention intitulée "contrat de gérance". Son cocontractant l'avait, ensuite, assigné en sollicitant l'annulation de ce contrat et sa requalification en sous-bail commercial. Débouté de sa demande de requalification et déclaré occupant sans droit ni titre du fonds de commerce par les juges du fonds, il s'est pourvu en cassation.
  • La distinction du contrat de location-gérance et du bail commercial

Le contrat de bail commercial a pour objet un immeuble dans lequel est exploité un fonds de commerce (C. com., art. L. 145-1, al. 1 N° Lexbase : L5729AIZ). L'objet du contrat de location-gérance n'est pas l'immeuble où est exploité un fonds de commerce, mais le fonds de commerce lui-même (C. com., art. L. 144-1 N° Lexbase : L5716AIK). En raison même de cette différence essentielle, la Cour de cassation a précisé que les dispositions du statut des baux commerciaux ne s'appliquaient pas au contrat de location-gérance (Cass. com., 11 février 1963, n° 59-11.278, Epoux Denieau c/ Veuve Beau N° Lexbase : A0295AT4 ; voir encore, récemment, Cass. com., 12 avril 2005, n° 02-13.605, Mme Mireille Massiani, agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. Gianati c/ M. Giovanni Gianati N° Lexbase : A8586DHH).

Il arrive, cependant, en pratique, que le contrat portant en réalité sur les locaux soit qualifié de contrat de location-gérance par le prétendu loueur, dans le but, notamment, d'échapper aux dispositions, protectrices du locataire, du statut des baux commerciaux dont celle consacrant un droit au renouvellement. En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ), le juge requalifiera, dans une telle hypothèse, le contrat de location-gérance de bail commercial et y appliquera les règles afférentes (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-17.342, FS-P+B N° Lexbase : A8905AX4).

La jurisprudence donne de nombreux exemples de requalification du contrat de location-gérance en contrat de bail commercial. Les critères de cette opération de qualification se rattachent à la mise à disposition, ou non, du locataire-gérant de certains éléments du fonds de commerce comme, en premier lieu, la clientèle (Cass. com., 1er février 1984, n° 82-13.151, Monsieur Lecuyer c/ Epoux Lantsogh N° Lexbase : A0220AAE), mais également le matériel et les marchandises nécessaires à l'exploitation (Cass. com., 27 février 1973, n° 71-10.797, Jouenne c/ Société Total SA N° Lexbase : A6837AGC) ou le nom ou l'enseigne (Cass. civ. 3, 1er juillet 1975, n° 74-11.702, SARL Sportvil c/ SA l'Etoile Commerciale N° Lexbase : A7102AG7).

Il appartiendra à la partie qui demande la requalification de la convention de prouver que le prétendu contrat de location-gérance dissimule, en réalité, un bail commercial (Cass. com., 4 juin 2002, n° 00-11.412, F-D N° Lexbase : A8495AYB).

Sur le principe, s'agissant de l'arrêt commenté, la demande du sous-locataire, tendant à voir son contrat dénommé "location-gérance" qualifié de sous-bail commercial, avait donc des chances de prospérer, à condition, au regard de ce qui précède, qu'il apporte la preuve qu'aucun élément du fonds de commerce ne lui avait, en réalité, été donné à bail.

Cependant, en l'espèce, la Cour de cassation refuse le principe même de cette requalification, en affirmant que le contrat est nul sur le fondement de dispositions propres à la location-gérance. Comment, dès lors, en effet, tenter de requalifier un contrat nul pour lui voir appliquer certaines dispositions, alors qu'en raison de cette nullité, il est censé n'avoir jamais existé ?

Les prémices de ce raisonnement sont, cependant, a priori erronées. En effet, avant de pouvoir juger qu'une convention est nulle en raison de la violation d'une disposition propre à une catégorie de contrat, encore faut-il que cette convention puisse être rattachée à cette catégorie. L'opération de qualification est donc un préalable au prononcé de la nullité, au moins lorsqu'elle se fonde sur une disposition propre à un type de contrat. Sur ce point, l'article L. 144-1 du Code de commerce précise, d'ailleurs, que les dispositions du chapitre relatif à la location-gérance s'appliquent à la convention tendant à concéder à une personne la location d'un fonds de commerce. En l'absence de location de fonds de commerce, ce qui sera le cas en présence d'un bail commercial, la violation des dispositions propres à la location-gérance ne devrait pas entraîner la nullité du contrat.

Il faut donc rechercher si la solution ne se justifie pas eu égard à la teneur des dispositions concernées. En l'espèce, la nullité de la convention reposait sur les articles L. 144-3 (N° Lexbase : L3187DYP), L. 144-4 (N° Lexbase : L5719AIN) et L. 145-10 (N° Lexbase : L5738AID) du Code de commerce.

  • La nullité d'une prétendue location-gérance doit-elle faire obstacle à sa requalification en bail commercial ?

Afin de limiter le caractère spéculatif des opérations portant sur le fonds de commerce (sur ce point, voir M.-C. Campana et G. Carducci, Bail commercial, Location-gérance, Généralités, J.-Cl. Entreprise individuelle, Fas; n° 4700, spéc. n° 91 et ss.), le législateur exigeait, dans le cadre de la location-gérance, que le loueur soit un commerçant ou qu'il ait été immatriculé au répertoire des métiers pendant sept années, ou qu'il ait exercé, pendant une durée équivalente, les fonctions de gérant ou de directeur commercial ou technique. Il devait, également, avoir exploité, pendant deux années au moins, le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance. Ces exigences ont été considérablement assouplies par l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 (N° Lexbase : L4315DPI). L'article 10 de cette dernière a modifié, en effet, l'article L. 144-3 du Code de commerce, en limitant les conditions de la possibilité de consentir un contrat de location-gérance à celle tenant à la durée -deux années- de l'exploitation du fonds par le loueur. Une dérogation à cette condition peut toujours être obtenue judiciairement (C. com., art. L. 144-4).

L'article L. 145-10, alinéa 1er, du Code de commerce sanctionne la violation de ces conditions par la nullité du contrat de location-gérance, la jurisprudence ayant précisé que cette nullité est absolue (Cass. com., 4 février 1975, n° 73-13.617, Monleau c/ Chiariglione N° Lexbase : A7083AGG), même si, aux termes mêmes de ce texte, les contractants ne peuvent invoquer cette nullité à l'encontre des tiers. Rien, aux termes de cet alinéa premier, ne permet de prononcer la nullité d'un contrat qui ne serait pas une véritable location-gérance.

Cependant, l'alinéa 2 de l'article L. 145-10 du Code de commerce dispose que "la nullité prévue à l'alinéa précédent [alinéa 1er] entraîne à l'égard des contractants la déchéance des droits qu'ils pourraient éventuellement tenir des dispositions du chapitre V du présent titre réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d'immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal".

Or, ce texte vise les "cocontractants". Il ne vise donc pas seulement la déchéance du droit au renouvellement que le loueur du fonds de commerce, également preneur d'un local à usage commercial, pourrait opposer à son bailleur (pour un exemple de cette déchéance, voir Cass. com., 30 juin 1992, n° 90-15.912, Société K Life c/ Mme Gallien N° Lexbase : A4706ABW). Par conséquent, il vise, également, le locataire-gérant. Or, par définition, ce dernier ne peut invoquer l'application des dispositions du statut des baux commerciaux à sa convention. En évoquant, pourtant, les droits issus de ce statut, le législateur a nécessairement envisagé l'hypothèse où le contrat en cause serait, en réalité, un bail commercial.

La nullité du contrat conclu en violation des dispositions des articles L. 144 -3 et L. 144-4 du Code de commerce peut donc être étendue au contrat de bail commercial qui aurait été, à tort, qualifié de location-gérance.

Si la règle prévoyant que cette nullité entraîne la déchéance des droits issus du statut des baux commerciaux se comprend à l'égard du loueur-locataire principal, dans la mesure où le contrat qui le lie au bailleur n'est pas atteint pas cette nullité, elle se comprend plus difficilement en ce qui concerne le locataire-gérant. En effet, pourquoi préciser qu'il ne pourra se prévaloir des droits qu'il tient de ce statut alors que le contrat le liant au loueur serait nul ?

Ce qui rend envisageable de sanctionner par la nullité le bail commercial faussement intitulé location-gérance constitue, également, un obstacle à l'application de cette sanction.

Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation a mis fin à cette aporie, en affirmant que, lorsque le contrat de location-gérance est conclu en violation des articles L. 144-3 et L. 144-4 du Code de commerce, il n'y a pas lieu de rechercher s'il doit être qualifié de bail commercial puisque le contrat est nul.

Si la solution est discutable, elle a le mérite d'exister. Elle est sévère pour le locataire-gérant qui deviendra, en raison de la nullité du contrat, un occupant sans droit ni titre. Il lui appartiendra donc de vérifier cette condition relative à la durée d'exploitation du fonds, car il ne pourra pas compter sur une éventuelle requalification du contrat pour se maintenir en possession des lieux. Se dessine, ici, le caractère comminatoire de cette jurisprudence qui obligera le locataire-gérant au respect des dispositions de l'article L. 144-3 du Code de commerce.

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