La lettre juridique n°171 du 9 juin 2005 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] La justification sous conditions du rattrapage de la rémunération d'un dirigeant de société

Réf. : CAA Paris, 22 mai 2005, n° 01PA01232-01PA03949, Société Pentair Water France SAS c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A5583DIM)

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

Les modalités de détermination de la rémunération des dirigeants de sociétés interpellent, parfois, l'administration sous le contrôle du juge de l'impôt attentif tant aux justifications des services de contrôle, auxquels la charge de la preuve du caractère excessif de la rémunération incombe, qu'à celles apportées en réponse par les sociétés contribuables redressées. C'est, ainsi, que la cour administrative d'appel de Paris, dans une affaire en date du 22 mai 2005, a pu, en s'inscrivant dans la logique de la dialectique de la preuve (lire sur le sujet, Jean-Marc Priol, Déductibilité d'une redevance forfaitaire pour prestations d'assistance : la charge de la preuve, Lexbase Hebdo n° 80 du 17 juillet 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N8180AA9), reconnaître à la société contribuable qu'elle pouvait utilement faire valoir des circonstances antérieures à la période vérifiée pour justifier une augmentation de rémunération constitutive d'un rattrapage pour son dirigeant. Selon la cour, suivant les conclusions de son commissaire du Gouvernement M. Frédérik Bataille, la seule circonstance que la rémunération servie au dirigeant d'une entreprise a augmenté dans une proportion supérieure à celle de ses bénéfices ne saurait faire regarder cette rémunération comme excessive au sens de l'article 39-1-1° du CGI .

Aux termes de ces dernières dispositions, il est rappelé que "le bénéfice net établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, notamment : [...] les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, [...]", étant observé que "les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu". Cette disposition, poursuit le texte, s'applique "à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais".

A l'occasion du contrôle des frais généraux et des obligations des entreprises, les dispositions de l'article 33 de l'annexe II au CGI prévoient que l'administration peut demander à l'entreprise de justifier que les dépenses visées à l'article 54 quater du même code sont nécessitées par sa gestion :

- lorsqu'elles excèdent le montant des bénéfices imposables de l'exercice ;
- ou bien lorsqu'elles augmentent dans une proportion supérieure à celle de ces bénéfices.

Pour ce faire, l'article 35 de l'annexe II au même code  précise que la comparaison prévue au 2° de l'article 33 est faite par référence à l'exercice qui précède immédiatement celui au cours duquel les dépenses litigieuses ont été exposées.

L'article 34 de l'annexe II au CGI poursuit en rappelant que pour l'application des dispositions de l'article 33 susvisées, les bénéfices imposables sont déterminés en faisant abstraction des plus-values ou moins-values provenant de la cession des éléments de l'actif immobilisé, ainsi que des déficits reportables des exercices antérieurs.

Dans l'affaire rapportée, une société s'était vue remettre en cause une large fraction de la rémunération allouée à son dirigeant, au motif que la progression sur une très courte période, deux années, du chiffre d'affaires de l'entreprise, ne justifiait pas l'augmentation de plus de 95 % de sa rémunération antérieure.

La cour, rappelant que la charge de la preuve du caractère excessif de la rémunération d'un dirigeant incombe à l'administration, a considéré qu'il résultait de l'instruction que la société contribuable relevait, à bon droit, que cette rémunération se trouvait justifiée par l'évolution du chiffre d'affaires sur une période antérieure plus longue, cinq années, lequel avait plus que doublé, ainsi que par la multiplication par plus de sept du bénéfice fiscal sur la même période et par les conditions d'exploitation de l'entreprise et le rôle de son dirigeant cumulant la responsabilité des services commerciaux, marketing et technique (voir à titre d'exemples : CAA Bordeaux, 18 avril 2000, n° 97BX01325, SARL Laboratoire de cosmétologie moderne Arsène Valère c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4037AZK ; CAA Bordeaux, 3ème ch., 17 décembre 1996, n° 94BX01779, Société Agad c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3378A7A ; CAA Paris, 2ème ch., 11 juin 1998, n° 96PA00395, SARL Logitec c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie N° Lexbase : A9389BH9 ; CE, contentieux, 18 décembre 1992, n° 74206, M. Véron c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0894AIX ; CE, contentieux, 11 octobre 1991, n° 54616, SA "Union Internationale Immobilière" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9115AQN).

La cour, observant sur cette même période que la rémunération allouée par l'entreprise à son dirigeant était sans rapport avec ces évolutions (chiffre d'affaires et bénéfice) et les performances de l'entreprise, qui, selon cette dernière, pouvaient être regardées comme lui étant largement imputables, en a déduit que l'augmentation de la rémunération de son dirigeant ultérieurement constituait un rattrapage de rémunération non contestable.

Elle refusa, en revanche, de valider une nouvelle augmentation de 75 % de la rémunération du dirigeant sur la période suivant celle ayant fait l'objet des redressements annulés par son arrêt, dans la mesure où cette augmentation ne pouvait caractériser la poursuite d'un nouveau rattrapage, les conditions précitées ne se trouvant pas réunies.

En outre, la cour a jugé utile de poursuivre la motivation de sa décision en observant que l'administration n'apportait pas davantage la preuve, qui lui incombe, du caractère excessif de la rémunération du dirigeant de la société en se prévalant d'éléments de comparaison externes, pour lesquels elle n'a informé la société requérante ni au cours de la procédure d'imposition ni au cours de la procédure contentieuse du nom des entreprises concernées.

Il peut être observé qu'au terme de cet arrêt, l'administration peut valablement se fonder pour apprécier le niveau de rémunération servie par une entreprise à son dirigeant soit, sur des éléments internes à l'entreprise (importance des services rendus, évolution de la rémunération par rapport à celle des bénéfices de l'entreprise ou la modification des fonctions) soit sur des éléments externes à cette dernière fondés sur des termes de comparaison.

Il s'agit là en effet, de la réponse faite par la cour à la question posée par la société contribuable, de savoir si, en la forme, l'administration pouvait se contenter d'effectuer son redressement sur les seuls éléments internes de l'entreprise ou si elle devait impérativement accompagner cette première motivation d'éléments externes tirés des termes de comparaison explicites de rémunérations de dirigeants d'entreprises similaires.

Sur ce dernier point, la cour rappelle que l'insuffisance de motivation constatée au niveau des comparaisons externes que l'administration entendait opposer à la société contribuable ne suffit pas à regarder, pour autant, la notification de redressement insuffisamment motivée, dans la mesure où les éléments d'appréciation internes étaient susceptibles de suffire à établir l'exagération des rémunérations.

En effet, l'insuffisance de motivation d'un ou plusieurs motifs parmi d'autres ne suffit pas à faire regarder la proposition de rectification comme insuffisamment motivée si un des autres motifs se trouve suffisamment motivé, appliquant, en cela, la jurisprudence sur l'existence d'une motivation minimale (CE, 3° et 8° s-s., 21 décembre 2001, n° 221006, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ société Labesque VI (N° Lexbase : A9405AXM).

Reste que cette affaire permet de faire le point sur l'évolution de la jurisprudence afférente au bien fondée de la méthode de comparaison et à l'appréciation des résultats de cette dernière susceptible de justifier le caractère excessif de la rémunération d'un dirigeant.

Toutefois, cet examen est rendu complexe par l'opposition apparente de deux textes, le premier, l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5567G4X), qui précise que l'administration adresse au contribuable une notification de redressement devant être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation et, le second, l'article L.103 du même livre (N° Lexbase : L8485AEY), qui vise, quant à lui, l'obligation au respect du secret professionnel s'appliquant à toutes personnes appelées à l'occasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au CGI, laquelle s'étend à toutes les informations recueillies lors de ces opérations.

Si l'on peut penser que secret professionnel et motivation en la matière sur un sujet aussi délicat que l'appréciation de la rémunération des dirigeants ne font pas bon ménage, le respect du contradictoire et des droits de la défense a permis à la jurisprudence d'établir une solution médiane censée préserver à la fois les dispositions des articles L. 57 et L. 103 du LPF à la discrétion du juge de l'impôt.

C'est, ainsi, que dans un premier temps de la construction jurisprudentielle, à partir des années 1960, le juge de l'impôt a admis que l'administration ne fournisse que le chiffre d'affaires des entreprises servant de termes de comparaison sans révéler les noms de ces dernières (CE, 12 mars 1965, n° 58467, Société X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ; CE, 11 octobre 1965, n° 56673, Société X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie).

Par la suite, elle a admis progressivement que l'administration puisse révéler les noms des entreprises de référence en fournissant seulement que des moyennes de chiffre d'affaires (CE, contentieux, 14 janvier 1983, n° 25233, Société anonyme XXX c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9406ALX ; CE, contentieux, 20 juin 1984, n° 24403, SA Société d'exploitation des établissements Lecapitaine c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4475ALC).

Les deux méthodes pouvaient être, de cette façon, utilisées, l'une à défaut de l'autre, jusqu'à ce qu'un revirement de jurisprudence ne décide en 1987 (CE, contentieux, 2 mars 1987, n° 53608, Caron c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2734APX), dans le cadre de l'application des dispositions de l'article L. 60 du LPF (N° Lexbase : L8191AE4), à propos du contenu du rapport de l'administration à la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, de privilégier la seconde méthode.

Ainsi, si l'administration décide d'opposer au contribuable les termes de comparaison pour justifier son redressement, elle ne pourra communiquer que les seuls noms d'entreprises de référence, ainsi que des moyennes de chiffre d'affaires.

Ces conditions ne pourront être pleinement satisfaites pour l'application de l'article L. 57 du LPF que pour autant que l'administration expose au contribuable le mode de calcul permettant de déterminer le niveau normal de la rémunération du dirigeant sur la base des termes de comparaison qu'elle aura relevés (CE, 3° et 8° s-s., 23 janvier 2002, n° 216733, Société Protec c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1028AYQ).

A la question soulevée par les contribuables dans ce type de contentieux sur la conformité de cette pratique au regard l'article 6 § 1 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L7558AIR), le juge de l'impôt répond sans appel en opposant son inapplicabilité.

En effet, cette disposition est inapplicable aux litiges fiscaux portant sur la contestation des droits et des pénalités non constitutives de sanctions (voir CEDH, 12 juillet 2001, Req. 44759/98, Ferrazzini c/ Italie N° Lexbase : A7683AWH). Par ailleurs, elle ne saurait, en toute hypothèse, être invoquée en matière de procédure d'imposition portant sur le caractère non contradictoire de la procédure. L'article 6 § 1 de la Convention ne trouve à s'appliquer, en tout état de cause, qu'aux procédures suivies devant les juridictions.

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