Réf. : Cass. com., 18 mai 2005, n° 03-14.469, Directeur général des impôts c/ Mme Michèle Thiebaut, épouse Soalhat, FS-P+B (N° Lexbase : A3675DIX)
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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
le 07 Octobre 2010
L'article 885 O ter du CGI limite la portée de l'exonération, en tant que biens professionnels, des parts ou actions de sociétés en précisant que seule la fraction de ces dernières correspondant aux éléments utilisés pour les besoins de l'activité constitue un bien professionnel. Cette disposition est un texte "anti-abus" visant à empêcher les transferts dans le patrimoine de la société de biens ou valeurs dépendant du patrimoine privé des actionnaires. A défaut de cette règle de proportionnalité, un tel apport, rémunéré par la remise d'actions ou de parts, aurait permis d'obtenir indirectement l'exonération pour des biens issus du patrimoine non professionnel.
S'agissant des titres de placement et des liquidités détenues par une société, l'administration a précisé que de tels biens sont présumés constituer des biens professionnels, dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale ou résulte d'apports effectués sur des comptes courants d'associés, ces derniers étant des biens non professionnels pour leurs titulaires (Doc. adm. 7 S 3323, du 1er octobre 1999, n° 32).
2. ...sauf cas exceptionnels
2.1. La preuve contraire...
La présomption posée du caractère professionnel des liquidités de placement d'une société souffre la preuve contraire.
Selon le juge, la présomption s'applique, dès lors que l'acquisition des liquidités découle de l'activité sociale (Cass. com., 13 janvier 1998, n° 96-10.156, M. Maurice Lagasse c/ Directeur général des impôts, représenté par le directeur des services fiscaux de Paris-Nord, inédit au bulletin, Cassation N° Lexbase : A3461CSY ; Cass. com., 13 janvier 1998, n° 96-10.157, M. Maurice, Henri Lagasse et autres c/ Directeur général des impôts, représenté par le directeur des services fiscaux de Paris-Nord, inédit, Cassation N° Lexbase : A3462CSZ).
La même décision précise, également, que la charge de la preuve du caractère professionnel de ces liquidités ne peut être renversée, et peser, ainsi, sur le redevable de l'impôt, au seul motif de l'absence de réinvestissement immédiat dans des biens similaires à ceux vendus. Ainsi, l'absence de preuve contraire, c'est-à-dire la perte du caractère professionnel, n'a pas à être apportée par le redevable et il ne peut lui être imposé aucune condition de remploi immédiat ou à terme. Au cas particulier, les ventes, dont provenaient les titres et liquidités détenus par une société, étaient intervenues depuis de nombreuses années.
Selon l'administration, s'agissant d'une présomption simple, le service peut, dans des cas exceptionnels, démontrer que ces liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social (instruction du 12 janvier 2005, BOI n° 7 S-1-05 N° Lexbase : X8035ACL). Cette preuve a été considérée comme rapportée par les juges dans une affaire examinée successivement par le tribunal de grande instance de Paris, la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation (Cass. com., 8 février 2005, n° 03-12.421, F-D N° Lexbase : A6896DGI). La valeur comptable du portefeuille d'une société de conseil était comprise entre 8,9 millions de francs (1,3 millions d'euros) en 1989 et 6,9 millions de francs (1,05 millions d'euros) en 1994, soit, selon l'administration, hors de proportion avec l'activité sociale de la société, dont le chiffre d'affaires était compris entre 1,4 millions de francs (213 414 euros) en 1989 et 0,8 millions de francs (121 951euros) en 1994. Autrement dit, les titres de placement représentaient 6 à 7 fois le montant du chiffre d'affaires. De surcroît, ce portefeuille n'était pas utilisé pour couvrir les besoins de trésorerie, compte tenu d'un passif exigible à court terme de la société toujours inférieur au montant de ses créances. Enfin, l'activité de la société, conseil en industrie, ne nécessitait aucun investissement comme le confirmait la faiblesse de l'actif immobilisé. Ces constatations ont pu être jugées déterminantes par les juges successifs pour considérer que la preuve contraire à la présomption était apportée par le service des impôts. Cependant, il est permis de s'interroger sur la pérennité de cette jurisprudence dans la mesure où la Haute Juridiction a, dans sa décision du 18 mai, refusé de considérer que la preuve contraire à la présomption était rapportée, alors que la société disposait de très importantes liquidités. En l'espèce, une société en nom collectif, après avoir cédé son fonds de commerce d'hôtel, détenait des liquidités d'un montant de 95,5 millions de francs (14,6 millions d'euros). Ces liquidités avait été incorporées au capital sous l'intitulé "valeurs de placements". Pour écarter la présomption, le service invoquait une volonté insuffisante de la part de la SNC dans l'investissement des fonds, bien qu'un projet de réalisation d'un ensemble hôtelier n'ait pas abouti. Ce motif a été jugé impropre à renverser la présomption selon laquelle les valeurs de placements litigieuses étaient nécessaires aux investissements envisagés par la société dans le cadre de son activité commerciale. La décision du 8 février apparaît, donc, comme un arrêt d'espèce.
2.2. ...impossible ?
Aucune condition de remploi dans le temps n'étant imposée au redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune, il est permis de s'interroger sur la possibilité même de rapporter la preuve contraire à la présomption. En effet, sauf à pouvoir démontrer que la société a renoncé définitivement à utiliser les liquidités qui proviennent de son activité dans un investissement productif conforme à son but social, il y a, dans ce principe de preuve contraire, une entorse à la règle de non immixtion par l'administration dans la gestion des sociétés. La question est d'importance puisque, dans son instruction du 12 janvier 2005, l'administration reconnaît que le fait que les valeurs réalisables à court terme ou disponibles de la société excèdent largement le passif à court terme ne constitue qu'un indice de l'absence de caractère non professionnel des liquidités, ce qui équivaut à reconnaître, implicitement, la liberté de gestion de l'entreprise. Or, on sait que ce principe de liberté de gestion interdit à l'administration de s'immiscer dans la gestion, hormis le cas de l'appréciation du caractère normal ou anormal des actes de gestion, actes qui ont une influence sur le résultat de la société. Apprécier le niveau de liquidités et de titres de placement nécessaire à une entreprise qui vient de céder des actifs pour continuer à poursuivre son objet social ne relève pas d'une gestion anormale. Il pourrait, ainsi, être prétendu que l'administration ne peut critiquer l'existence d'importantes liquidités pour contester le caractère professionnel des parts détenues par le redevable de l'ISF. L'administration n'a pas à être juge du montant de liquidités nécessaire à une société pour réaliser son objet social, hormis l'hypothèse qui était celle de l'affaire ayant donnée lieu à la décision du 8 février 2005, dans laquelle il était prétendu que la nature de l'activité ne nécessitait aucun investissement.
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